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Législatives en Allemagne: le pragmatisme d’Angela Merkel, une arme redoutable

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JOL Press : Comment jugez-vous le début de campagne d’Angela Merkel ?
 

Florence Autret : Angela Merkel semble adopter un positionnement très centriste. C’est d’ailleurs ce que lui reproche certains, tant dans l’opposition que dans son propre parti, que de chasser sur les terres du SPD en parlant, par exemple, de salaire minimum – un « no go » absolu pour son allié de coalition du FDP… Elle est sortie du nucléaire, après Fukushima, ce qui l’a rapprochée des Verts.

Elle a aussi choisi de mener une campagne très dynamique. Ce n’est pas parce qu’elle est extrêmement populaire et que la CDU est en tête dans les sondages qu’elle ne doit pas faire campagne.

JOL Press : Certes, mais, compte tenu de sa popularité et de sa position dans les sondages, elle aurait pu choisir de ne, pour ainsi dire, pas faire campagne. Ce volontarisme, cette détermination, cette combativité, est-ce que ceci s’explique par des traits de caractère d’Angela Merkel ?
 

Florence Autret : Il faut noter qu’elle a pris le temps de prendre des vacances. Elle reprend à peine sa campagne à un mois du scrutin. C’est quelqu’un de très prudent, qui ne part pas gagnant. Elle a sans doute raison car le système allemand repose sur un scrutin à la proportionnelle intégrale et, en conséquence, même si son parti est en tête et qu’elle est en position de devenir – ou rester – chancelière au lendemain du scrutin, il lui faudra trouver une coalition, un ou plusieurs alliés avec lesquels former une majorité et gouverner. Elle va devoir être convaincante.

Malgré des sondages aujourd’hui favorables à Angela Merkel, il suffirait que l’écart final soit un peu moindre que ce qui est actuellement annoncé pour qu’on lui interdise de faire cette coalition : le SPD pourrait refuser une grande coalition et, dans certaines conditions – assez improbables -, une coalition de gauche entre le SPD, les Verts et l’extrême-gauche de Die Linke pourrait s’imposer.

La chancelière en tient certainement compte. C’est une femme très rationnelle, qui a toujours dû se battre pour obtenir ce qu’elle a voulu et elle n’agit jamais avec légèreté. Sur ce point, elle est très différente de son prédécesseur Gerhard Schroeder qui avait un côté « fort en gueule », qui était sans doute plus imprudent et qui a, en conséquence, vu lui échapper de justesse la chancellerie en 2005 –  il s’est d’ailleurs, à l’époque, montré très mauvais joueur… refusant un temps de céder la place.

JOL Press : Aujourd’hui, à en croire les sondages, Angela Merkel est créditée de 65% d’opinions favorables, près de 20 points de plus que le score annoncé de son parti. Une telle popularité après huit ans à la chancellerie, c’est inédit ?
 

Florence Autret : L’excédent de sympathie dont elle jouit par rapport à son parti, la CDU, est proprement exceptionnel. Helmut Kohl, par exemple, chancelier de 1982 à 1998, a terminé avec une côte de popularité en berne alors que son parti résistait plutôt bien à l’usure du pouvoir.

Un des paradoxes des mandats d’Angela Merkel, c’est que la CDU a tendance à reculer tandis que l’adhésion à la chancelière reste incroyable, particulièrement élevée. Ainsi, il y a toute une frange de l’électorat de gauche qui souhaite la voir réélue, qui va voter vert ou qui va voter social-démocrate tout en espérant qu’elle reste chancelière. Pourquoi ? Parce qu’elle ne fait pas la politique de la CDU, mais une politique très centriste, très consensuelle et très articulée autour de l’Allemagne et des intérêts des Allemands. Elle valorise son pays, elle valorise ses concitoyens et ils apprécient majoritairement au-delà des préférences idéologiques.

JOL Press : Comment s’explique ce positionnement centriste ? Faut-il y chercher des explications dans l’histoire personnelle d’Angela Merkel ?
 

Florence Autret : Je pense que cela est, pour beaucoup, dû à son histoire personnelle et le fait qu’elle soit originaire de l’Allemagne de l’est. Contre tout ce qui ressemble à une forme de dogmatisme, elle est vaccinée.

Ensuite, il ne faut pas perdre de vue qu’intrinsèquement le système allemand favorise le consensus. La chancelière est, avant tout, membre du Bundestag, elle participe aux travaux de l’assemblée et doit trouver en permanence des majorités, des coalitions pour soutenir sa politique. Cela invite à gouverner au centre.

Par ailleurs, on lui reproche souvent de ne pas avoir d’idéologie. Elle a quelques principes généraux qui s’articulent, qu’elle puise dans sa culture protestante, des principes de liberté, de responsabilité et, jusqu’à un certain point, de solidarité. C’est sa base. Et puis il y a son attachement à la loi fondamentale allemande, le respect du Bundestag, la conscience qu’elle est au milieu du système et non pas au-dessus. Tout cela lui donne quelques lignes rouges mais cela ne détermine pas des options politiques très précises.

Pendant sa première campagne en 2005, elle s’était essayée à un discours très libéral. Elle avait même été recruter un conseiller fiscaliste partisan d’une flat tax – un taux d’imposition unique pour tous les contribuables -, une idée des plus libérales. Cela a duré quelques semaines et puis, à la vue des réactions des uns et des autres, elle a changé de direction et elle est revenue à une politique beaucoup plus redistributive, beaucoup plus traditionnelle. Même les libéraux n’avaient jamais proposé cela. Elle tâtonnait, c’était sa première candidature… Elle peut avoir – sans doute un peu moins maintenant – un réflexe assez libéral. De sa jeunesse à l’est, elle a conservé une vision un peu idéalisée des Etats-Unis, du marché, du libéralisme politique et économique. Mais cela lui a passé, elle gouverne essentiellement au centre…

Elle cherche avant tout des majorités larges au parlement et, du coup, elle est taxée d’opportunisme.

JOL Press : Est-ce qu’après tout, plus encore que le fait d’avoir grandi à l’est ou d’être fille de pasteur, ce ne serait pas son esprit de scientifique qui la caractériserait le mieux et expliquerait son pragmatisme ?
 

Florence Autret : Oui, je crois que c’est quelqu’un qui va aisément changer de position quand les données du problème changent. Elle ne se place pas au-dessus des faits.

C’est ainsi ce qui s’est passé dans l’évolution de sa position sur la question du nucléaire. Certains considèrent qu’elle a fait preuve d’opportunisme en décidant la sortie du nucléaire dans la foulée de l’accident de Fukushima alors que son accord de coalition avec les libéraux stipulait qu’il y aurait un prolongement de la durée de vie des centrales.

A l’automne 2010, elle avait sa loi sur le prolongement des centrales. En mars 2011, il y a Fukushima et, très vite, elle refait ce qu’avaient fait le SPD et les verts en 1999 en faisant voter une loi qui programme la fin du nucléaire. Est-ce bien ou est-ce mal ? En fonction des faits – un accident, une pollution, des morts -, elle a réévalué le risque nucléaire et estimé qu’il était, en réalité, trop important et a souhaité changer de cap. Et pourtant, elle était une scientifique très pro-nucléaire, et son mari est connu pour ses positions pro-nucléaires. Mais, les faits avaient changé…

Elle a une culture scientifique assez réaliste d’évaluation des risques, pas une culture du principe de précaution. De plus, lors de son passage au ministère de l’environnement, de 1994 à 1998, où elle avait côtoyé les lobbys nucléaires, elle avait sans doute réalisé à quel point les Allemands dans leur majorité sont opposés au nucléaire. SI elle avait accepté le principe du prolongement de la durée de vie des centrales en 2009, c’était uniquement pour obtenir un accord de coalition avec les libéraux du FDP. Sa décision de 2011 n’était sans doute pas un coup de tête.

Elle a la réputation d’être une grande travailleuse, de lire les notes de ses conseillers et de tenter de comprendre les faits pour en tirer les conséquences. Cela a été le cas au début de la crise financière car les faits allaient à l’encontre de ses intuitions ou de sa conviction que les marchés s’autorégulaient. Elle inspecte les faits, elle lit des scientifiques pour comprendre et arrêter ses décisions.

JOL Press : Vous indiquez précédemment qu’elle est au milieu – et non au-dessus – du jeu politique. Pourtant, avec une telle popularité et malgré le poids de l’histoire allemande, n’y a-t-il pas un risque de personnalisation du pouvoir ?
 

Florence Autret : Sûrement qu’il y a une tendance à la personnalisation du pouvoir. Mais elle s’efforce de s’en prémunir. Ainsi, elle résiste à sa « people-isation », en ne livrant que très peu de sa vie privée, autant qu’il faut pour montrer qu’elle n’a rien à cacher. On connait son mari, on sait où elle passe ses week-ends, où elle part en vacances. Elle a une stratégie de communication bien arrêtée, a minima.

Au-delà, exerce-t-elle un pouvoir personnel ? Ce pouvoir personnel, elle l’exerce pour conserver le pouvoir pas et non dans sa manière de diriger l’Allemagne. Quand il s’agit de prendre des décisions politiques, elle est vraiment dans la collégialité et elle se laisse travailler par son parti. Elle peut être brutale quand il s’agit d’éliminer un concurrent, elle l’a prouvé.

Ce n’est pas une « dame de fer », ce n’est pas une Margaret Thatcher avec un agenda, une idéologie très précise. Pour autant, elle a une influence forte sur son parti…

Prenez, par exemple, ce qui s’est pas passé au début de la crise de l’euro, lorsqu’on a reproché à l’Allemagne de tarder à accorder des prêts à la Grèce, notamment. Elle a fait alors trois à quatre discours au Bundestag dans lesquels elle impose une doctrine de l’intervention qu’elle fonde, économiquement, juridiquement, politiquement, historiquement et elle invente une politique européenne. Mais, si elle a tardé, c’est parce qu’elle a réfléchi à la manière de justifier ce pas autrement que dans l’urgence et elle a inventé avec ses conseillers une doctrine allemande de l’intervention.

JOL Press : Angela Merkel a 59 ans. Jusqu’à quand peut-elle, va-t-elle, compte-t-elle rester au pouvoir ?
 

Florence Autret : Il y avait des rumeurs selon lesquelles elle céderait la main à mi-mandat, en 2015, après dix ans à la chancellerie. Mais à qui ? Personne ne sait…

Elle n’a jamais dit qu’elle arrêterait à tel ou tel âge mais elle a déclaré un jour que les femmes avaient plus de facilité à quitter la vie politique car elles auraient davantage de centres d’intérêt et seraient plus détachées du pouvoir. C’est très sibyllin…

> Des propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

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Angela Merkel – Une Allemande (presque) comme les autres – Editions Taillandier

Florence Autret est journaliste. Elle a vécu et travaillé en Allemagne, comme diplomate, à la fin des années 1990. En poste à Bruxelles depuis 2006, elle a couvert la crise de l’euro pour les publications de L’Agefi et La Tribune. Elle est l’auteur de Terminus pour l’euro, fiction publiée en 2011 par le quotidien Le Monde et de plusieurs essais dont L’Amérique à Bruxelles (2007), Grand Prix des dirigeants d’entreprise L’Expansion -EAP/ESCP.
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