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Peste noire au Kirghizistan: faut-il craindre une épidémie?

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En Europe, une épidémie de peste noire avait provoqué la mort de dizaines de millions de personnes au XIVème siècle. Aujourd’hui, si elle peut être traitée par antibiotique, la peste n’en reste pas moins mortelle dans les cas où elle ne serait pas détectée à temps.

JOL Press : Par quoi est provoquée la peste ?

Elisabeth Carniel : La peste est une infection due à une bactérie qui s’appelle Yersinia pestis, du nom d’Alexandre Yersin, qui a identifié cette bactérie à la fin du XIXème siècle.

C’est une maladie qui circule essentiellement parmi les rongeurs (rats, marmottes, chiens de prairie, gerbilles…). Elle n’a donc pas besoin de l’homme pour se répandre. Elle est transmise de rongeur à rongeur par les piqûres de puces.

L’homme est infecté lorsqu’il est piqué par une puce qui provient d’un rongeur porteur de la bactérie. L’homme va alors développer une peste que l’on appelle la peste bubonique. Si le bacille arrive dans les poumons de l’homme, il se met à tousser et en toussant il répand le bacille : dans ce cas-là, la transmission peut se faire d’homme à homme. Il s’agira alors d’une peste pulmonaire.

JOL Press : Quels sont les principaux symptômes ?
 

Elisabeth Carniel : Pour la peste bubonique, c’est le fameux bubon. Quand la puce va piquer l’homme, elle va injecter le bacille sous la peau qui va ensuite atteindre le ganglion lymphatique qui va gonfler et s’infecter, provoquant une fièvre très forte et une douleur au niveau du bubon.

Le bacille va ensuite se répandre dans tout l’organisme, provoquant un syndrome infectieux très sévère qui peut entraîner la mort de la personne atteinte. Le décès intervient en effet dans 40 à 70% des cas, en général en moins d’une semaine.

Pour la forme pulmonaire qui est 100% mortelle, la personne développe une fièvre et une douleur thoracique, crache du sang et meurt en trois jours.

JOL Press : Comment peut-on soigner cette maladie ?
 

Elisabeth Carniel : De nos jours, on a des traitements sous forme d’antibiotiques qui fonctionnent bien. Le seul problème, c’est qu’il faut qu’ils soient donnés le plus tôt possible. Si l’on intervient trop tard, cela peut être fatal.

JOL Press : Quelles sont les régions du monde particulièrement touchées ?

Elisabeth Carniel : Actuellement, l’Afrique est le continent le plus touché par la peste. Les deux plus gros foyers sont Madagascar et la République démocratique du Congo. Mais il existe également des cas d’infection dans d’autres parties du monde, notamment en Inde, en Chine, au Kazakhstan et en Ouzbékistan.

Il y a des foyers endémiques de peste dans le monde, où la maladie cause chaque année des cas humains en nombre variable (Madagascar, Pérou, Etats Unis, etc.), et d’autres endroits où la maladie peut rester silencieuse pendant plusieurs années, voire plusieurs décennies, avant de réapparaitre. Cela a été le cas notamment au Kirghizistan cette semaine, mais aussi en Algérie en 2003, en Afghanistan en 2007, en Libye en 2009, et en Jordanie où la peste est revenue après 80 ans d’absence, en 1997.

Le fait qu’elle réapparaisse au Kirghizistan après des décennies de silence n’est donc pas quelque chose de surprenant. Par ailleurs, on a souvent tendance à ne parler que des cas humains, mais l’absence de personnes infectées par la peste ne veut pas dire que la peste a disparu. Elle peut continuer à se répandre parmi les rongeurs.

JOL Press : Doit-on craindre, en France, une expansion de l’épidémie qui touche actuellement le Kirghizistan ?
 

Elisabeth Carniel : Non, on ne doit pas craindre une telle expansion. La France n’a pas plus de chance d’être touchée par cette épidémie du Kirghizistan que par des épidémies qui frapperaient des pays voisins. La France aurait plus à craindre d’une épidémie provenant d’un foyer comme l’Algérie par exemple, qui est plus proche de nous.

Quant au Kirghizistan même, une fois la peste identifiée, le pays va mettre en place des mesures publiques de désinsectisation et d’assainissement de l’environnement pour que les gens minimisent les contacts avec les rongeurs infectés.

JOL Press : A-t-on connu en France d’autres cas de peste depuis la grande peste survenue au Moyen-Âge ?
 

Elisabeth Carniel : Oui, il y a notamment eu le cas de la peste des chiffonniers en 1920 à Paris, venue par un bateau qui arrivait du Moyen-Orient sur lequel se trouvaient des rats infectés. Le dernier cas français date de 1945, en Corse.

Il faut bien rappeler que la peste n’a jamais disparu ; il y a par exemple tous les ans des cas de peste aux États-Unis. Concernant les maladies anciennes qui reviennent, à part la variole qui a été éradiquée, aucune n’a disparu.

JOL Press : La multiplication des flux migratoires accélère-t-elle l’expansion de telles épidémies ?
 

Elisabeth Carniel : Au Moyen-Age, la pandémie était limitée à la partie Asie-Europe-Afrique : elle arrivait par les bateaux à voile, qui avançaient lentement,  mais également par voie terrestre (route de la soie). Si elle s’est répandue lors de la troisième pandémie à la fin du XIXème siècle, c’est qu’elle est arrivée beaucoup plus rapidement, par les bateaux à vapeur.

De nos jours, il est vrai que l’avion peut accélérer le processus. Un malade en phase d’incubation aura plus de risques de répandre rapidement la maladie dans d’autres régions du globe.

Mais les mesures sanitaires internationales sont aussi beaucoup plus efficaces, il y aura donc beaucoup moins de risques que les animaux transportés à bord d’un bateau par exemple soient infectés. Par contre, dans le cas de la grippe transmise par les oiseaux migrateurs par exemple, c’est évidemment plus difficile de lutter contre une épidémie.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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