Site icon La Revue Internationale

Ras-le-bol fiscal: comment sortir de l’impasse?

[image:1,l]

Entre la création d’une nouvelle tranche d’impôt à 45%, l’abaissement du plafond du quotient familial ou encore le gel du barème de l’impôt sur le revenu, plus de la moitié des contribuables devraient payer en moyenne 200 euros d’impôts en plus cette année, selon Europe 1.

L’augmentation était-elle la seule solution pour le gouvernement ? Eléments de réponses avec l’économiste Guillaume Allègre. Entretien.

JOL Press : « Les hausses d’impôts en France ont atteint un seuil fatidique », a affirmé le commissaire européen aux Affaires économiques, le Finlandais Olli Rehn, dans un entretien au Journal du Dimanche. Est-ce que cela a un sens, d’un point de vue économique, de parler de seuil ?
 

Guillaume Allègre : Aucun « seuil », en matière de fiscalité, n’a été établi jusqu’ici et certainement pas en termes de taux d’imposition moyen. Le taux de prélèvement obligatoire peut varier en France de 45% à 50%, selon les méthodes de calcul. Faire des moyennes en matière de fiscalité n’a pas vraiment de sens. Normalement ce que l’on observe en économie c’est l’impact éventuel de la fiscalité sur les comportements des personnes.

Il n’y a aucun consensus sur le sujet. On dit que l’augmentation des impôts peut avoir des conséquences sur le taux de chômage mais on se rend compte que les pays scandinaves qui sont les pays, avec la France, où les taux de prélèvements obligatoires sont les plus élevés au monde, sont aussi les pays où les taux d’emploi sont les plus élevés au monde. Après on peut étudier comment les pays utilisent l’impôt. Dans les pays scandinaves, les prélèvements obligatoires peuvent servir à financer les crèches, ce qui est plutôt favorable à l’emploi.

JOL Press : Conformément aux promesses de François Hollande, une tranche d’impôt supplémentaire a été créée. Les revenus au-delà de 150 000 euros par part sont désormais imposés à 45%. Comment s’explique cette escalade fiscale, commencée déjà sous Nicolas Sarkozy ?

Guillaume Allègre : Face à la crise, les pays européens se sont engagés à réduire leur déficit. A croissance constante, réduire les déficits ne peut se faire que deux manières : soit en augmentant les impôts, soit en réduisant la dépense publique. Or, en période de crise économique, il est plus facile d’augmenter les impôts que de réduire la dépense car réduire la dépense demande des réformes structurelles. On préfère augmenter les impôts que réduire le nombre de professeurs, policiers ou infirmiers. C’est plus efficace et plus rapide.

Par ailleurs, augmenter les impôts peut avoir un effet récessif moins important : réduire la dépense entraîne une augmentation du chômage alors que si vous jouez sur les impôts, vous pouvez espérer que les gens réduisent leur épargne, surtout si l’impôt est ciblé sur les plus aisés, mais continuent à consommer autant.

JOL Press : 16 millions de foyers ont vu leur impôt augmenter. Quelles sont les conséquences sur les comportements ? Une baisse de la consommation des ménages ou une baisse de l’épargne ?
 

Guillaume Allègre : Ce gouvernement et le gouvernement précédent ont plutôt eu tendance à cibler les impôts plutôt que les dépenses publiques en espérant ne pas trop affecter la consommation. Mais, dans les faits, la consommation et l’épargne sont touchées par les augmentations d’impôts. Suivant les personnes que vous ciblez vous aurez plus ou moins de baisse de la consommation : si vous augmentez la TVA, il faut plutôt s’attendre à une baisse de la consommation alors que si vous touchez les revenus les plus élevés, l’épargne va baisser.

JOL Press : Augmenter les impôts paraît en effet efficace à court terme n’est-ce pas toxique à long terme ?
 

Guillaume Allègre : Si vous vous projetez dans le long terme, la question est de savoir quels impôts vous voulez augmenter et pour quoi faire. Le mieux étant de viser les impôts qui ont une assiette large et des taux les plus faibles possible pour éviter au maximum les changements de comportement des consommateurs et des épargnants et éviter l’évasion fiscale, par exemple. Après, tout dépend de comment vous dépensez cet argent. Faut-il privilégier l’investissement social et éducatif ou financer l’administration ?

JOL Press : Certains impôts sont-ils plus indolores que d’autres ?

Guillaume Allègre : Si c’est le cas, c’est avant tout psychologique : une augmentation de la TVA affecte autant le pouvoir d’achat qu’une augmentation de l’impôt sur le revenu. Après ce ne sont pas les mêmes ménages qui sont concernés. La TVA touche les ménages de façon relativement proportionnelle en fonction de leur revenu alors que l’impôt sur le revenu est un impôt progressif qui touche davantage les plus aisés.

JOL Press : Que faudrait-il aujourd’hui pour que les impôts baissent ?
 

Guillaume Allègre : Pour que les impôts baissent, soit on décide de ne pas respecter nos engagements en termes de déficit public, mais à terme cette solution pourrait poser problème, soit on réduit la dépense publique. Après le gouvernement doit faire un arbitrage pour évaluer ce dont les Français ont le plus besoin en ce moment : les ménages ont-ils davantage besoin des dépenses publiques de type santé ou éducation ou de dépenses privées. C’est un arbitrage avant tout politique. La dernière solution est celle de la croissance : si elle revient, les Français pourront espérer voir leur taux d’imposition baisser.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Economiste au département des études de l’OFCE depuis 2007, les travaux de Guillaume Allègre portent sur la microsimulation, la fiscalité et les transferts sociaux, les incitations au travail, les inégalités et la pauvreté.

Quitter la version mobile