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Retraites: pourquoi le dialogue avec les partenaires sociaux risque d’être difficile

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A l’heure où le Premier ministre rencontre les partenaires sociaux à Matignon, pour une ultime consultation avant la présentation officielle de la réforme des retraites, le message du Medef est clair : « taxer n’est pas réformer ». « Il faut faire des réformes structurelles profondes en France, y compris pour la retraite », a résumé Pierre Gattaz sur France Info, le 23 août dernier.

De leurs côtés, quatre syndicats (CGT, FO, la FSU et Solidaires) ont appelé à une journée de mobilisation le 10 septembre, dont l’ampleur pourrait être déterminante. « Le point de blocage majeur, c’est l’augmentation de la durée d’activité », a jugé Philippe Pihet (FO). Dans ce contexte, les conditions sont-elles réunies pour un bon dialogue social ? Eléments de réponses avec Patrice Laroche, auteur de « Gérer les relations avec les partenaires sociaux » (Dunod). Entretien.

JOL Press : Les conditions sont-elles réunies pour un bon dialogue social ?
 

Patrice Laroche : La conjoncture actuelle n’est vraiment pas favorable au dialogue social. La politique d’austérité menée par le gouvernement Ayrault – critiquée par la plupart des syndicats de salariés – ainsi que le sentiment de trahison ressenti par certains syndicats (notamment la CGT et FO) après l’adoption de l’Accord National Interprofessionnel (ANI)  du 11 janvier 2013 sur la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés , a créé un climat hostile au dialogue social.

A cela s’ajoute un discours patronal, porté par le nouveau dirigeant du Medef Pierre Gattaz, très libéral et assez virulent à l’égard de certains syndicats. Les incompréhensions et les maladresses des uns et des autres ont donc particulièrement affecté le dialogue social ces derniers mois et la confiance est brisée entre les syndicats, le patronat et le gouvernement.

JOL Press : Les syndicats sont-ils prêts à faire des concessions ?
 

Patrice Laroche : Les principaux syndicats français ne sont pas prêts à faire des concessions, notamment sur la question de l’allongement de la durée de la cotisation. La CGT-FO par la voix de son secrétaire général, Jean-Claude Mailly, a déjà fait savoir qu’elle entendait faire reculer François Hollande sur cette question. Le leader de FO juge, à l’instar de son homologue de la CGT, Thierry Le Paon, que cette réforme obéit à l’austérité européenne et qu’elle vise davantage à faire plaisir au marché financier qu’à sauver le système de retraite de notre pays. Il faut donc s’attendre à une mobilisation de plusieurs syndicats sur la réforme des retraites.

La CFDT est plus modérée et souhaite une réforme de fond afin de consolider le système de retraite.  Elle souhaite plus particulièrement corriger les inégalités que le système de retraite actuel génère (pénibilité, égalité hommes-femmes,…) et s’avère prête à faire des concessions. Elle regrette cependant le manque de propositions du gouvernement en la matière.

La CFTC et la CFE-CGC sont certainement les deux organisations syndicales les plus enclines à discuter et à faire des concessions. Elles ne sont pas farouchement opposées à l’allongement de la durée de cotisation si le gouvernement prend en compte un certain nombre de leurs exigences. En définitive, les syndicats sont assez partagés sur les concessions à accepter pour sauver le régime de retraite à la française.

[image:2,s]JOL Press : Pensez-vous que la réforme des retraites va engendrer un mouvement de contestation d’une aussi grande ampleur que sous Sarkozy ?
 

Patrice Laroche : Il est difficile de répondre à cette question.  On sait que les syndicats font généralement preuve d’une plus grande mansuétude à l’égard des gouvernements de gauche.  Cela étant, une grande partie des salariés et leurs organisations syndicales se sentent trahies par la politique menée par François Hollande qu’elles considèrent finalement comme une politique assez peu différente de celle de Nicolas Sarkozy. On constate ainsi une mobilisation de plus en plus forte à l’extrême gauche et à l’extrême droite (deux partis politiques bien ancrés dans la catégorie des ouvriers et des employés) contre la politique menée par le gouvernement Ayrault.

Dès lors, on peut envisager une forte mobilisation des salariés contre cette réforme des retraites. Soulignons toutefois que l’ampleur du mouvement de contestation va surtout dépendre du mot d’ordre syndical et de la démarche unitaire des organisations syndicales. En effet, il est de plus en plus difficile de mobiliser les salariés si les revendications ne sont pas clairement identifiées et si les syndicats n’agissent pas de façon concertée.

JOL Press : Le dialogue sur une réforme de ce type menée par un gouvernement de gauche, est-ce encore plus violent pour les partenaires sociaux ou au contraire plus facile ?

Patrice Laroche : Ni l’un, ni l’autre. Les syndicats ont le sentiment que depuis maintenant plusieurs décennies, les gouvernements de gauche comme de droite mènent des politiques économiques et sociales relativement similaires. A partir du moment où François Hollande a finalement renoncé à renégocier le traité européen, le gouvernement actuel n’a pas eu d’autres alternatives que de suivre une politique d’austérité dont la réforme des retraites est l’une des conséquences.

JOL Press : Quelles solutions pourraient apporter le gouvernement pour maîtriser la contestation à venir ?
 

Patrice Laroche : Avant toute chose, le gouvernement Ayrault doit informer et communiquer. Il est important d’élaborer un diagnostic pertinent de la situation actuelle et de définir des actions permettant de prendre en considération l’ensemble des préoccupations des acteurs concernés. Or, la réunion de concertation du 4 juillet dernier n’a manifestement pas apporté beaucoup d’éléments sur les intentions du gouvernement susceptibles de rassurer les partenaires sociaux.

Au regard des événements de ces derniers mois, il conviendrait aussi de rétablir un climat de confiance entre les partenaires sociaux, de manière à ce que chacun respecte l’autre et ses points de vue.  Pour rétablir ce dialogue social, il faut reconnaître le rôle des syndicats et rappeler aux acteurs patronaux et syndicaux qu’ils doivent sortir de leurs postures idéologiques.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Docteur en sciences de gestion, Patrice Laroche est professeur à l’Université Nancy 2 (co-responsable du Master Ressources humaines) et a enseigné dans de nombreuses institutions : Montpellier 1, Metz, Strasbourg, Paris I, ICN-Ecole de Management. Il est spécialiste des relations sociales dans l’entreprise et a exercé plusieurs missions de consultant au sein du cabinet d’expertise-comptable Secafi-Alpha (mandaté par les CE).

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