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Affaire Bettencourt: la procédure validée, que risque Nicolas Sarkozy?

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L’examen médical de Liliane Bettencourt, le 7 juin 2011, était-il juridiquement valable ? Oui, c’est la question qu’a donné la Cour d’appel de Bordeaux, ce mardi 24 septembre. L’expertise médicale qui a conclu que la nonagénaire est en état de faiblesse depuis septembre 2006 a été validée et Nicolas Sarkozy reste mis en examen. 

Le délit d’abus de faiblesse est passible de trois ans d’emprisonnement, de 375 000 euros d’amende et d’une inégibilité allant jusqu’à cinq ans. Les enjeux sont donc conséquents. Mais le 28 juin, le parquet de Bordeaux annonçait avoir requis un non-lieu en faveur de l’ancien président de la République. Que risque donc Nicolas Sarkozy ? Eléments de réponse avec Ian Hamel, auteur de Les Bettencourt, derniers secrets (Archipel).

Hier, lundi 23 septembre, avant que la cour d’Appel rende sa décision, Ian Hamel nous confiait son analyse de l’affaire.

JOL Press : Si la chambre de l’instruction décidait d’annuler l’expertise, quelles seraient les conséquences ?
 

Ian Hamel : Les trois juges d’instruction en charge du dossier, Jean-Michel Gentil, Cécile Ramonatxo et Valérie Noël, ont l’intime conviction que Liliane Bettencourt a donné de l’argent à Nicolas Sarkozy pour sa campagne mais ne peuvent pas le prouver. Depuis sa création, L’Oréal a toujours défendu l’idée selon laquelle pour être les meilleurs, il faut avoir de bons produits et un marketing excellent, mais surtout être proche du pouvoir. L’Oréal a toujours donné de l’argent à la classe politique. Dans ces conditions, pourquoi Liliane Bettencourt n’aurait-elle pas donné d’argent au candidat à la présidentielle de 2007 ?

Cette affaire d’expertise médicale a son importance, mais elle n’est pas essentielle. Le vrai souci des juges d’instruction, c’est qu’ils n’ont pas la preuve de ces transactions, ni photos, ni témoins. L’intime conviction d’un magistrat ne suffit pas. Certes, l’ancien homme de confiance de la milliardaire, Patrice de Maistre, a rencontré Eric Woerth, et Nicolas Sarkozy s’est rendu chez les Bettencourt ; mais cela ne suffit pas à prouver une transaction et encore moins un « abus de faiblesse ».

JOL Press : Le fait que Sophie Gromb soit le témoin de mariage du juge Jean-Michel Gentil ne pose pas de véritable problème, selon vous ?
 

Ian Hamel : Dans les villes moyennes, les gens se connaissent, ce n’est donc pas si choquant. C’est une imprudence de la part du juge. Quand on a en main un dossier sensible, on s’arrange pour ne pas être pris en faute, mais le parquet général de la cour d’appel de Bordeaux a d’ores et déjà pris la défense de l’expertise médicale. Que la cour d’appel de Bordeaux dise sensiblement la même chose ce mardi ne m’étonnerait pas.

J’imagine mal, même en cas d’invalidation de l’expertise, l’instruction reprendre depuis le début. Nicols Sarkozy risque d’être blanchi dans cette affaire.

JOL Press : Que reproche-t-on concrètement à Nicolas Sarkozy ?
 

Ian Hamel : Pendant la campagne présidentielle de 2007, il s’est rendu chez les Bettencourt et les juges le soupçonnent d’avoir perçu de l’argent. Et comme Liliane Bettencourt est supposée ne pas « avoir toute sa tête » à cette époque, on avance qu’il a profité de sa faiblesse pour lui soutirer de l’argent. Si l’expertise qui prouve cette « faiblesse » tombe, il ne restera rien contre Nicolas Sarkozy. Qui relancerait un dossier qui tient en grande partie sur une intime conviction ? Quand Patrice de Maistre appelle l’avocat qui gère le compte des Bettencourt à Genève et que de l’argent est viré, on peut supposer que l’argent a servi à financer une campagne électorale, mais on ne peut pas le prouver.

Ce qui est aussi très difficile à définir dans cette affaire c’est depuis quand Liliane Bettencourt n’a plus « toute sa tête ». C’est très compliqué à démontrer. L’ « abus de faiblesse » est un argument léger. Comment prouver, après plusieurs années, la date exacte d’un état de faiblesse. Comment faire le tri entre les moments de lucidité et ceux où elle était plus faible ? C’est d’autant plus difficile à établir qu’à l’époque de la campagne de 2007, son mari était toujours vivant.

JOL Press : Alors pour quelles raisons le juge Gentil persiste-t-il ?
 

Ian Hamel : Parce qu’il est convaincu que Nicolas Sarkozy a touché de l’argent des Bettencourt. L’ancien avocat suisse des Bettencourt, René Merkt, a déclaré, pendant l’instruction, que jamais, par le passé, les Bettencourt n’avaient retiré d’argent liquide, jusqu’à cette période de campagne. Quand on sait que  Patrice de Maistre a appelé cet avocat et qu’il a rencontré ensuite Eric Woerth, on peut se poser des questions. Mais ces suppositions ne sont pas des preuves.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Journaliste d’investigation, Ian Hamel suit l’affaire Bettencourt pour Le Point et L’Agefi, quotidien de la finance à Lausanne. Parmi ses nombreuses enquêtes : Sarko et Cie, la République des copains et des réseaux (L’Archipel, 2011).

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