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Ce que Florange révèle de la ligne politique de François Hollande

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François Hollande n’a pas pu sauver les hauts fourneaux du site d’ArcelorMittal. Mais il tient sa promesse, celle de retourner sur le site dont les hauts fourneaux ont été arrêtés avant l’été, après plusieurs mois de lutte de ses salariés. L’Elysée précise qu’il visitera également une usine du groupe Crown Bevcan de la ville de Pompey pour faire la promotion de la reconversion industrielle de cette ville dévastée par la crise de la sidérurgie. A quoi faut-il s’attendre ? Eléments de réponses avec Elsa Freyssenet, co-auteure avec Valérie Astruc, de Florange, la tragédie de la gauche (Plon). Entretien.

JOL Press : Florange n’est-il pas devenu le symbole de cette gauche qui a abandonné les ouvriers ?
 

Elsa Freyssenet : Il peut tout-à-fait le devenir. La lutte des métallurgistes de Florange a eu une résonnance très importante dans le pays. François Hollande avait fait des promesses en 2012, prudentes certes, mais des promesses qu’il n’a pas su tenir puisqu’il n’a pas pu empêcher l’extinction définitive des hauts fourneaux.  A l’Elysée, on sait tout cela et c’est pour cette raison que le chef de l’Etat veut retourner, sans plus attendre, à Florange. S’il est conscient du risque, il souhaite recouvrir les images négatives d’un Edouard Martin dénonçant une trahison ou de la fermeture des deux derniers hauts fourneaux de Lorraine, par une image positive. Avec cette visite, François Hollande ne s’adresse pas qu’aux Lorrains, il s’adresse à tous les Français, aux catégories populaires qui lui tournent désormais le dos et à tous ceux qui se sont intéressés à ce conflit social

JOL Press : Quels sont les enjeux pour François Hollande ? Veut-il uniquement honorer sa promesse ou a-t-il un message à faire passer ?
 

Elsa Freyssenet : Les deux. Depuis le début de cette histoire, l’obsession de François Hollande est d’apparaître comme l’anti Nicolas Sarkozy. Il ne veut pas que le souvenir de Florange soit le même que celui de Gandrange, ville marquée par la fermeture de l’aciérie ArcelorMittal, en mars 2009. Nicolas Sarkozy n’était jamais revenu à Gandrange. Alors, certes François Hollande veut tenir sa promesse, mais il veut surtout montrer que contrairement à son prédécesseur, il n’est pas « interdit de séjour » à Florange. Plus globalement François Hollande veut montrer que même si l’accord conclu entre l’Etat et ArcelorMittal a été contesté sur place, il permet de donner un avenir à Florange contrairement à ce qui s’est passé à Gandrange.

C’est une visite qui est, par ailleurs, très cadrée. Le président rencontre les syndicats à huit-clos et l’un de ses conseillers est allé fin août rencontrer les organisations syndicales pour prendre la température. François Hollande prend un risque mais c’est un risque mesuré. Il ne pourra sans doute pas échapper à quelques sifflets – la CGT a, d’ores et déjà, appelé à manifester – mais l’entourage du Président espère que celui qui a incarné, sur place, la lutte des métallurgistes, le représentant de la CFDT Edouard Martin, sera plus positif.

JOL Press : Et à quoi faut-il s’attendre de sa part ?
 

Elsa Freyssenet : Edouard Martin a dit que le Président ne pouvait pas se contenter de venir à Florange pour faire un exercice de communication. Il a prévenu les conseillers du chef de l’Etat qu’il ne pouvait pas non plus arriver les mains vides. Il ne pourra donc pas se contenter de constater qu’il n’y a pas eu de licenciements ou que les investissements promis commencent à arriver. Or l’accord sur le site de Florange, conclu entre ArcelorMittal et le gouvernement, le 30 novembre 2012, comporte un point sensible : le haut fourneau du futur économe en CO2. ArcelorMittal s’est engagé à poursuivre les recherches, pas plus. C’est un point qui inquiète les syndicalistes et les élus sur place d’autant que l’industriel ne croit pas à la rentabilité du projet au projet. C’est peut-être sur le front de la recherche sidérurgique que le chef de l’Etat a une marge de manœuvre.

Globalement, cette visite recouvre un triple enjeu pour François Hollande et les socialistes. Elle est importante pour l’image du Président, notamment auprès des catégories populaires, mais aussi pour justifier sa ligne politique et économique. Entre concluant un accord avec Laskhmi Mittal plutôt que de nationaliser Florange comme le lui recommandait Arnaud Montebourg,  François Hollande a montré qu’il préfère un Etat coordonnateur plutôt qu’interventionniste, qu’il goûte plus la négociation que l’affrontement.  Il va devoir prouver que son choix est le plus efficace pour les ouvriers sur place. Enfin, il ne faut pas oublier l’enjeu électoral, à six mois des municipales.

JOL Press : En parlant de nationalisation, pourquoi, selon vous, Arnaud Montebourg n’a pas été associé à cette visite ?
 

Elsa Freyssenet : C’est une excellente question…  à poser à l’Elysée ! Fallait-il que François Hollande soit accompagné ? Si oui, de qui ? Jean-Marc Ayrault qui a conclu l’accord avec ArcelorMittal? Ou Arnaud Montebourg qui n’en voulait pas? Les deux hommes s’étant affrontés publiquement, le président ne pouvait pas privilégier l’un ou l’autre. Et puis, emmener seulement son ministre du redressement productif, c’était courir le risque de raviver, sur place, le regret de l’abandon de la nationalisation.  

JOL Press : « Depuis sa victoire à la présidentielle, les fameuses promesses aux travailleurs ont malheureusement fondu comme neige au soleil », a déploré Fabien Engelmann, investi par le FN en Moselle pour les municipales. Ce discours est-il à même de séduire les ouvriers de Florange ?
 

Elsa Freyssenet : Je ne sais pas si les ouvriers sont séduits par le Front national, en revanche, une éventuelle percé du parti d’extrême droite suscite l’inquiétude des syndicats sur place et des élus locaux.

JOL Press : Doit-on parler d’impuissance de l’exécutif dans cette affaire ou d’un manque de volonté politique ?
 

Elsa Freyssenet : L’affaire Florange a révélé – c’est ce qu’on explique avec Valérie Astruc  dans Florange, la tragédie de la gauche (Plon) – toutes les contradictions et les difficultés de la gauche face au marché. Il existe, à gauche, une volonté forte de rétablir le pouvoir politique face au pouvoir des groupes multinationaux et de la finance. Mais comment s’y prend-on ? La ligne Montebourg recommandait de faire un exemple avec Florange en nationalisant et la ligne Ayrault/Hollande considérait que c’était plus sûr de passer par une négociation dont on surveille la mise en œuvre. C’est à la fois un débat sur les moyens de la gauche de gouvernement mais aussi sur la sur les orientations profondes de François Hollande.

Depuis le pacte de compétitivité, François Hollande a fait le pari que, pour inverser la courbe du chômage, il fallait redonner des marges aux entreprises. C’est une politique de l’offre qui tranche par rapport à la traditionnelle politique de la demande du PS.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Elsa Freyssenet est chef adjointe du service politique des Echos, chargée du suivi du gouvernement et de la majorité.

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