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Chili: 40 ans après, le projet d’Allende dans toutes les consciences

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Santiago, 11 septembre 1973. Trois ans après avoir pris la tête du Chili, le président Salvador Allende s’adresse une dernière fois à la population chilienne. En plein coup d’État organisé par l’armée menée par le général Augusto Pinochet et appuyée par la CIA, il remercie son peuple et annonce qu’il combattra jusqu’à la mort.

« Je paierai de ma vie la défense des principes qui sont chers à cette patrie », déclare-t-il à la radio. « En ce moment des avions sont en train de passer, ils pourraient nous bombarder. Mais sachez que nous sommes là pour montrer que dans ce pays, il y a des hommes qui remplissent leurs fonctions jusqu’au bout. Moi, je le ferai, mandaté par le Peuple et en tant que président conscient de la dignité de ce dont je suis chargé ».

Quelques heures après, le palais présidentiel de la Moneda est envahi par les putschistes. Mais Salvador Allende est déjà mort : il s’est suicidé avec une arme qui lui avait été offerte quelques temps plus tôt par Fidel Castro.

« On a tous entendu parler de Pinochet. D’Allende, un peu moins »

Thomas Huchon, jeune journaliste français, est parti enquêter au Chili sur ce président qui mena pendant trois ans la première tentative de révolution socialiste et pacifiste en démocratie. Balayé par dix-sept ans de dictature sanglante, le projet politique de Salvador Allende retrouve, quarante ans plus tard, un nouvel écho dans la voix des étudiants chiliens qui manifestent depuis maintenant deux ans pour faire valoir leurs droits. Des jeunes qui, s’ils n’ont pas connu la dictature, n’en ressentent pas moins ses lourdes conséquences.

En France, « on a tous entendu parler d’Augusto Pinochet et de son coup d’État. Mais de Salvador Allende, un peu moins », explique Thomas Huchon. « Je voulais savoir qui était ce premier homme politique à avoir essayé la révolution dans la démocratie ».

Parti au Chili en 2005, poussé par ses convictions, le journaliste rencontre Patricia Espejo, l’une des trois secrétaires de Salvador Allende à la présidence, sa plus proche collaboratrice. Après avoir refusé de parler aux journalistes pendant trente-cinq ans, elle finit par se livrer. « J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir toucher d’aussi près la réalité de l’histoire d’un pays auprès des acteurs de cette histoire », raconte Thomas Huchon, qui a pu entrer dans le cercle des allendistes : anciens collaborateurs du président, ses amis, sa famille.

« Je voulais comprendre l’homme derrière le politique »

« Je pense que pour comprendre l’homme politique, il faut avant tout comprendre l’homme », explique-t-il. « J’ai essayé de récupérer la mémoire de tous ces gens qui avaient finalement très peu d’espace pour l’exprimer dans leur propre pays ». Car au Chili, s’il existe des avenues Allende et quelques statues à son effigie, en parler reste souvent tabou. « Le Chili est un pays à la mémoire schizophrène : il y a vraiment deux visions de l’histoire totalement différentes », résume Thomas Huchon.

Derrière l’homme politique, le journaliste découvre un « personnage romanesque », à la fois franc-maçon et marxiste. Petit-bourgeois, médecin, fils de bonne famille qui s’habillait avec des costumes achetés par ses collaborateurs à New York, Londres ou Paris, grand séducteur, aimant boire son whisky qu’il faisait importer du Chivas Regal, Salvador Allende n’en était pas moins resté révolutionnaire.

« Jusqu’où Allende peut-il aller trop loin ? »

« C’est quelqu’un qui avait, chevillée au corps, la conviction d’aller jusqu’au bout. Pierre Kalfon, un spécialiste du Chili, avait écrit une fois dans l’un de ses articles : « Jusqu’où Allende peut-il aller trop loin ? » Cette phrase résume bien pour moi la personnalité d’Allende, qui cherchait toujours à repousser les limites du possible ».

À l’époque, une grande partie de la population refuse pourtant de suivre son projet politique. « Salvador Allende n’avait même pas la majorité au Parlement », rappelle Thomas Huchon. Près de 40% de la population lui était même farouchement opposée. Attentats de groupes néo-fascistes, collaboration lors du coup d’État, soutien à Pinochet… Beaucoup de gens étaient fondamentalement convaincus de l’échec du projet d’Allende.

Pendant 33 ans, il est député, sénateur, puis président du Sénat. Candidat quatre fois à la présidentielle, Allende finit par arriver au pouvoir en 1970, appuyé par une base électorale populaire. « Il est finalement l’interprète d’un mouvement social qui le dépasse complètement, commencé trente ou quarante ans avant lui, mais qu’il va concrétiser ».

Les héritiers d’Allende

Aujourd’hui, quarante ans après sa mort, le projet d’Allende revient sur le devant de la scène politique. Depuis plusieurs années, les étudiants chiliens battent le pavé contre le système néolibéral et pour une réforme de l’éducation. Un mouvement commencé avec la « révolution des pingouins » – en référence à l’uniforme noir et blanc des étudiants – en 2006, année de la mort d’Augusto Pinochet. « Cela coïncide avec l’émergence d’une nouvelle génération qui n’a pas connu la dictature ».

Un mouvement qui continue de prendre de l’ampleur, notamment depuis 2011. « La base de leur revendication, c’est l’éducation gratuite pour tous ». Or, quand les étudiants regardent l’histoire de leur pays, « ils découvrent qu’avant 1973, avant le coup d’État, les universités étaient gratuites ». Et que les futurs collaborateurs de Pinochet « avant de tout privatiser, avaient bénéficié des droits sociaux qui aujourd’hui n’existent plus », rappelle Thomas Huchon.

« La graine plantée dans la conscience digne de milliers de Chiliens ne pourra pas être fauchée définitivement », déclarait le président Allende dans son dernier discours. La figure de Salvador Allende est ainsi devenue un modèle, un exemple à ériger dans les manifestations. « Mais ce que revendiquent ces jeunes, ce n’est pas Salvador et sa figure de martyr. Ce sont les projets politiques d’Allende ».

Pour Camila Vallejo, jeune communiste de 25 ans emblématique du mouvement des étudiants chiliens et « héritière » d’Allende, le processus social d’Allende n’a pas échoué. Il a été interrompu par une dictature. Et aujourd’hui, « il faut reprendre ce processus ».

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Thomas Huchon est journaliste. Ancien correspondant au Chili, il a collaboré avec plusieurs médias, dont Rue89, iTélé et RTL. Ancien rédacteur en chef de SoYouTV, il vit aujourd’hui à Paris où il est réalisateur.

En 2010, il publie son premier livre, Salvador Allende, l’enquête intime (éd. Eyrolles), réédité en septembre 2013 sous le titre Allende, c’est une idée qu’on assassine. L’édition est mise à jour et augmentée d’un documentaire produit par Upside Télévision diffusé le 9 septembre sur Public Sénat.

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