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Criminalité à Marseille: comment vit-on dans les quartiers nord?

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Vendredi 6 septembre, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, appelait à un pacte national pour lutter contre les trafics de drogue à l’origine des règlements de comptes meurtriers à Marseille. À la suite des deux homicides commis en 24 heures à Marseille et à La Ciotat, il a demandé « au préfet de région et au préfet de police de recevoir très vite l’ensemble des élus pour définir ce travail en commun ». « Il faut maintenant que tout le monde se mette autour de la table pour redonner un espoir aux Marseillais », a-t-il expliqué.

Un responsable associatif, implanté dans les quartiers nord de Marseille, a accepté de répondre aux questions de JOL Press pour expliquer dans quel état d’esprit se trouvaient actuellement les habitants de ces quartiers touchés de plein fouet par la violence. Pour des raisons que nous comprenons, il a souhaité conserver l’anonymat. Entretien.

JOL Press : Avez-vous constaté une escalade de la violence ces dernières semaines ? 
 

Pas particulièrement. L’an passé, il y a eu 25 tués. Pour l’instant, il y en a eu 15 en 2013 je crois. Même si tout cela reste tragique, on ne peut donc pas dire que cela s’accentue. Je crois qu’on a cette impression surtout parce que les médias s’emparent désormais systématiquement du sujet et qu’ils sont moutonniers : quand l’un parle d’un sujet, il faut que tous en parlent aussi. C’est donc beaucoup la résonance médiatique qui donne cette impression d’aggravation du phénomène, même si, je l’ai dit, celui-ci reste dramatique. Il est malheureusement proportionnel au développement des réseaux de trafics, qui, lui, est réel.

Il y a beaucoup de quartiers dans lesquels on ne trafiquait pas autant il y a encore quelques années et où les trafics, dans des boutiques par exemple, ont aujourd’hui « pignon sur rue ». C’est officiel, tout le monde le sait, même la police, même les élus, et on vit avec par crainte, par manque de moyens, par manque de solution à long terme…  

JOL Press : Constatez-vous une différence entre ce que les médias relatent et la réalité du terrain ?
 

Les médias disent ce qui se passe, ils n’inventent pas les faits. Cependant, en choisissant de faire leur une ou d’ouvrir leur journal systématiquement sur ce sujet, ils lui donnent une importance démesurée. Du jour au lendemain, on a l’impression que tout va bien en Syrie et que l’horreur s’est déplacée dans la cité phocéenne. Et demain, plus personne ne parlera de Marseille et tous les médias reparleront de la Syrie…

JOL Press : Cette réalité, quelle est-elle ? Les Marseillais des quartiers nord sont-ils inquiets ? Ont-ils peur ? Sentent-ils un climat d’insécurité ?
 

La réalité, c’est celle dont tout le monde parle, sans doute des histoires de trafics divers et des règlements de compte. C’est-à-dire la même réalité qu’à Colombes par exemple, qui a connu 20 règlements de compte en deux ans… et dont on entend beaucoup moins parler ! Je n’ai pas le sentiment que les habitants soient inquiets ou apeurés, car on continue de vivre très bien dans ces quartiers, et on y est heureux.

En revanche, ils ont peut-être une sensation d’abandon de plus en plus forte et sans doute ont-ils raison : on voit que la situation générale ne s’améliore pas et on ne voit pas grand-chose qui change. Ce n’est malheureusement pas à coups de table-ronde qu’on répondra aux problèmes. On ne sent pas particulièrement d’insécurité, pas plus qu’ailleurs en tous cas : on peut autant se faire agresser ici qu’en plein centre-ville. Le principal problème que cela pose pour les habitants, c’est qu’ils n’ont pas, eux, les moyens de s’opposer à ces trafics et de les faire cesser ou partir : ils sont donc contraints de les supporter, avec tout ce qui va avec. C’est en cela qu’ils se sentent abandonnés. 

JOL Press : Face à l’escalade de la violence, quelles réponses apporter ? Une solution politique (renfort de la police), sociale (par l’éducation) ou radicale (Samia Ghali, la sénatrice-maire PS des 15e et 16e arrondissements de Marseille, demandait récemment une intervention de l’armée) ?
 

C’est sans doute un peu de tout. En tant que responsable associatif, j’ai envie de dire que plus de moyens éducatifs seraient évidemment souhaitables. Pour information, je rappelle que le rapport 2012 de l’ANRU (Agence nationale pour la Rénovation Urbaine) fait état d’un investissement de 44 milliards d’euros, pendant que l’Acsé (Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances) elle, a un budget de 386 millions d’euros. Ne pourrait-on pas accorder plus de moyens aux structures de prévention qu’aux entreprises de ravalement de façade ?

Faire venir l’armée ? L’idée est sûrement « marketing » car elle a fait parler de Marseille et de la maire d’arrondissement, mais c’est mal connaître l’armée qui n’est pas du tout formée pour intervenir dans ces quartiers.

Plus de police ? Pourquoi pas, mais il faudrait qu’elle soit dans les quartiers en permanence. Ce n’est pas en se postant un mois par an à l’entrée et à la sortie des cités que ça change grand-chose : dès que la police s’en va, les trafics reprennent.

Quoiqu’il en soit, je trouve que le suprême de l’idiotie, c’est de faire de cet enjeu un sujet de division partisane à l’approche des élections municipales. C’est ridicule et désastreux. 

JOL Press : Cette criminalité entraîne-t-elle un repli communautariste ?
 

Non, je n’ai pas cette impression. Elle entraîne en revanche un dégoût encore plus grand de la politique qui ne fait rien, à droite comme à gauche, elle rend la police encore moins crédible puisque, malgré sa présence, les trafics continuent, enfin elle conforte les gens dans l’idée qu’ils n’ont qu’à se débrouiller seuls…

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

La personne que nous avons interviewée a préféré garder l’anonymat pour garantir sa sécurité et celle des personnes dont elle a la responsabilité.

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