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«Des paroles et des actes» : Christiane Taubira en solo sur France 2

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La ministre de la justice, Christiane Taubira, sera l’invité de l’émission Des Paroles et Des Actes, ce jeudi à 20h45 sur France 2. Pour cette première émission de la saison, elle répondra aux questions de David Pujadas et aura comme contradicteur Christian Estrosi, ancien ministre, maire UMP de Nice et député des Alpes-Maritimes.

JOL Press : Après une longue disgrâce, dans le camp socialiste qui lui reprochait d’avoir fait échouer Lionel Jospin en 2002, Christiane Taubira est désormais l’une des ministres les plus en vue du gouvernement. Comment en est-elle arrivée là ?
 

Christian Delporte : C’est la loi sur le mariage pour tous qui l’a propulsée sur le devant de la scène. Je crois qu’elle n’était pas promise au ministère de la Justice, il n’était même pas sûr qu’elle soit ministre. Elle avait soutenu Arnaud Montebourg pendant la primaire socialiste et s’était ralliée ensuite à François Hollande. Elle a fait campagne pour lui mais, quand il a fallu constituer le gouvernement, personne n’imaginait qu’elle puisse devenir Garde des Sceaux. Elle est arrivée à ce poste dans un souci d’équilibre entre les différentes tendances de gauche. Elle vient du Parti radical – même si elle n’en est plus membre – et c’est une femme.

Place Vendôme, elle est porteuse des deux grandes réformes sociétales de gauche du gouvernement : le mariage pour tous et la réforme pénale. L’ouverture du mariage aux personnes de même sexe a été la première grande loi symbolique du quinquennat et elle l’a défendue avec une très grande énergie. Les attaques de la droite ont été particulièrement violentes à son égard et elle n’a rien abandonné. Elle a commencé à devenir populaire avec cette loi qu’elle a défendue avec fermeté et conviction.

JOL Press : Au cours de l’émission, Christiane Taubira aura comme contradicteur Christian Estrosi. Ancien ministre, maire UMP de Nice, député des Alpes-Maritimes. Que pensez-vous de ce choix ?
 

Christian Delporte : On a choisi Christian Estrosi pour plusieurs raisons : il a été lui-même ministre, c’est un proche de Nicolas Sarkozy et il a fait récemment parler de lui en lançant une « pétition nationale pour mettre en échec Christiane Taubira et faire en sorte qu’elle ne puisse pas nuire à l’équilibre de notre démocratie avec cette réforme pénale ». « On a l’impression que le gouvernement privilégie les délinquants plutôt que les victimes », avait-il ajouté. Il risque donc de ne pas lésiner sur les questions de sécurité avec la Garde des Sceaux.

JOL Press : Comment pensez-vous qu’elle ait prévu de se défendre si elle est accusée de « laxisme » ?
 

Christian Delporte : Le 7 août dernier, Christiane Taubira retournait à la droite ses accusations de « laxisme » après une erreur juridique remontant à 2004, quand l’UMP était au gouvernement, ayant conduit à la libération de six détenus, qui pourrait être suivie de plusieurs dizaines d’autres.

« Je suis extrêmement préoccupée par ce laxisme de la droite, des gouvernements successifs qui ont ainsi pris des risques considérables pour la sécurité des Français, pour la protection des victimes et bien entendu pour la récidive car il y a dans cette désinvolture qui a duré plus de huit ans un message d’impunité, puisque des personnes qui ont été condamnées seront élargies du seul fait d’erreurs législatives », avait-elle lancé. Je pense qu’elle sera sur la même ligne.

JOL Press : Quelle est la principale qualité qui pourrait lui être d’un grand secours pour son premier « prime-time » en direct ? On sait que c’est un exercice extrêmement difficile.
 

Christian Delporte : C’est une femme qui ne lâche rien, c’est une combattante et les combattants sont nécessairement de bons débateurs. Je pense que ce sera un bon débat. Elle connaît bien ses dossiers. Dans un débat, les deux intervenants ne s’adressent pas au même public, dans un débat, on s’adresse à son camp, et à la marge de son camp. Christiane Taubira s’adressera aux téléspectateurs de gauche et Christian Estrosi aux téléspectateurs de droite.  Mais la Garde des Sceaux a de grandes qualités pour ce genre de débats, elle fera preuve d’une grande énergie, de ténacité et de maîtrise des dossiers.

JOL Press : Ovationnée aux universités d’été des socialistes mais aussi à celles des écologistes, elle fédère à gauche. A-t-elle pour autant les épaules d’un éventuel futur Premier ministre ?
 

Christian Delporte : Ce qui est certain c’est qu’avant le débat sur le mariage pour tous, elle était sur la sellette. Elle faisait partie des ministres dont on disait qu’elle n’était peut-être pas à sa place. Aujourd’hui il est impossible d’envisager un départ de Christiane Taubira. Ce n’est pas pour autant qu’elle ferait un bon Premier ministre. Un Premier ministre doit être un homme ou une femme de compromis, or Christiane Taubira n’est pas à proprement parler une femme de compromis. Un chef de gouvernement doit parvenir à mettre du liant entre les membres de l’équipe mais aussi avoir une certaine expérience politique, or elle n’est pas une femme de parti.

JOL Press : Dans un entretien au quotidien « Le Monde », Christiane Taubira a expliqué qu’elle voulait que sa réforme pénale soit discutée au Parlement « dès que possible ». Et juge que ce serait une « faute éthique et une erreur politique » de la retarder au-delà des municipales. Selon vous, cette réforme va-t-elle servir ou desservir les intérêts du gouvernement avant les échéances électorales ?
 

Christian Delporte : Cette accélération du calendrier peut se justifier politiquement. Le premier réflexe nous porte à croire qu’une telle réforme va entraîner une polémique qui risque d’être défavorable à la gauche, car l’opinion n’est pas favorable à ce type de réforme. Mais, à l’inverse, on peut penser qu’un tel projet de loi peut fédérer la gauche. Mettre en avant des lois clairement ancrées à gauche peut donc être un moyen de remobiliser l’électorat.

Je pense que le gouvernement n’aura pas le temps de faire adopter le projet de loi avant les municipales mais il pourra avancer dans les débats et montrer à la gauche qu’il est fidèle au programme de François Hollande. Sur le plan économique, les résultats ne sont pas très probants, c’est donc sur le plan sociétal que le bilan peut être mis en avant. Une loi supplémentaire de gauche ne peut que renforcer le bilan de Hollande. On constate d’ailleurs que dans le bras de fer qui a opposé Valls et Taubira, c’est elle qui a gagné.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Christian Delporte est professeur d’histoire contemporaine à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Spécialiste de l’histoire des médias et de la communication politique, il est l’auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels La France dans les yeux (Flammarion, 2007) et Une histoire de la langue de bois (Flammarion, 2009).

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