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Laïcité à l’école: avoir le courage de voir la réalité telle qu’elle est

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En décembre 2012, le ministre de l’Education nationale Vincent Peillon avait déclaré qu’il voulait mettre en place une charte de la laïcité dans le milieu scolaire, à l’image de celle qui est diffusée depuis 2007 dans les services publics. Lors d’une intervention devant le Haut conseil à l’intégration (HCI), il avait expliqué que cette charte « devra notamment s’attacher, par des définitions simples et courtes, à expliciter des notions de laïcité, de République, de citoyenneté de manière compréhensible pour les élèves ».

Dans une interview accordée à de nombreux quotidiens régionaux, fin août, le ministre expliquait que cette charte « rappellera les principes » de la laïcité. « Chacun est libre de ses opinions. Mais pas de contester un enseignement ou de manquer un cours », au nom notamment de préceptes religieux, poursuit-il. Mais cette charte, dont le texte définitif devrait être connu à la mi-septembre, était-elle indispensable ? Eléments de réponse avec Malika Sorel-Sutter, essayiste et membre du Haut conseil à l’intégration.

JOL Press : Cette charte de la laïcité était-elle nécessaire ?
 

Malika Sorel-Sutter : Au fil du temps, elle était devenue indispensable. Pour autant, il ne faut surtout pas se laisser aller à la facilité de croire qu’elle se suffit à elle-même et qu’elle va à elle seule régler tous les problèmes observés au sein des établissements scolaires. Son simple affichage ne va malheureusement pas faire revenir, comme par enchantement, la paix et la sérénité qui sont pourtant indispensables aux apprentissages et à la transmission du savoir.

L’idée de la charte de la laïcité émane du Haut Conseil à l’Intégration. En décembre 2012, le ministre de l’éducation nationale Vincent Peillon, qui était venu à la rencontre de notre mission Laïcité, nous avait promis de s’engager, entre autres, sur ce point précis et il nous avait alors annoncé qu’une charte de la laïcité rédigée dans des termes intelligibles par les élèves serait affichée dans les établissements scolaires publics. C’est ce qu’il fait aujourd’hui.

JOL Press : Quels sont les principaux problèmes rencontrés par le corps enseignant, dans ce domaine ?
 

Malika Sorel-Sutter : Il se produit des problèmes de toutes sortes au sein de certains établissements scolaires, mais aussi à l’extérieur de ces établissements, et qui ont ensuite des répercussions au sein des classes. La classe n’est pas une oasis, loin s’en faut. Il y a des contestations de contenus des cours. Les cours d’éducation physique mixtes sont refusés, quand ce ne sont pas les cours d’éducation physique tout court. Il y a aussi des refus de parties de programmes, que certains enseignants ne s’aventurent d’ailleurs même plus à transmettre. Certains cours sont utilisés pour faire passer ses propres idées ou sentiments. Ainsi en est-il par exemple de la Shoah ou encore du statut de la femme. Il arrive que des élèves refusent de dessiner certaines figures en cours de géométrie, au prétexte que cela s’apparente à une ébauche de croix. La croix étant assimilée à Jésus, des élèves de confession musulmane posent alors leur crayon.

Dans certains lycées, des robes longues qui enveloppent tout le corps ont fait leur apparition (abaya). Cette situation, et surtout la question, « Que faire en présence de tels vêtements ? », a divisé le corps enseignant. Cette division a entraîné de graves tensions, jusqu’à des menaces proférées à l’encontre de ceux des enseignants qui refusaient d’abdiquer sur la laïcité, d’autant que dans d’autres établissements situés dans le même bassin géographique, ces mêmes tenues à caractère religieux étaient acceptées. Autre exemple : dans certaines classes, des enseignants de souche française vont jusqu’à s’appuyer sur des passages du Coran pour convaincre leurs élèves récalcitrants d’accepter les programmes, au motif qu’il n’y aurait pas de contradiction avec leurs textes sacrés. Ce qui est difficile à vivre au quotidien, c’est le climat qui s’est installé au fil des ans du fait que mentalement, de plus en plus d’élèves se vivent comme membres de leur communauté religieuse et se mettent à considérer le monde sur un mode binaire.

Ce serait une erreur magistrale – qui est pourtant souvent commise – que de s’en tenir aux seuls problèmes rencontrés par le corps enseignant, et qui leur sont posés par les élèves et leurs parents. Il y a en effet bien des problèmes qui sont le fait des enseignants eux-mêmes, et aussi des chefs d’établissements. Avec le recul que j’ai sur ce sujet et au vu de tout ce qui nous a été remonté du terrain au HCI, il est évident à mes yeux qu’un corps enseignant et un corps administratif qui auraient été eux-mêmes au clair avec ce que la laïcité signifie, et surtout le comportement qu’exige son respect au sein des enceintes scolaires (y compris à la cantine !), auraient pu constituer un rempart. Au lieu de cela, les hésitations, les tergiversations et les nombreux renoncements à faire respecter la règle ont conduit – et c’était prévisible – à l’escalade dans les tensions.

Il ne faut pas non plus omettre de mentionner l’écrasante responsabilité de ceux des chefs d’établissements qui abandonnent en rase campagne tout enseignant qui ose faire remonter les problèmes de laïcité et de vivre-ensemble qui se posent dans sa classe. Les chefs d’établissements savent – ou pensent, mais le résultat est le même – que l’académie ne veut pas de vagues, et que le cabinet du ministre – quel qu’il soit – non plus… Sans oublier l’estocade portée par certains professeurs contre le ou la collègue à qui le problème arrive : « Ah bon ? Moi, je n’ai aucun problème avec cette classe. » Sous-entendu, c’est le professeur à qui le problème arrive qui en serait le responsable. Il y a donc une chaîne de responsabilités dans la situation actuelle, dont il faut accepter de prendre chaque maillon en considération si l’on souhaite sincèrement limiter les problèmes et empêcher qu’ils ne s’étendent encore davantage.

JOL Press : Vincent Peillon ne veut pas que la laïcité à l’école tourne à « l’obsession de l’islam ». Quels problèmes peuvent entraîner les religions juive ou chrétienne, en matière d’atteinte à la laïcité ?
 

Malika Sorel-Sutter : De par mon expérience de plusieurs années au sein du monde politique, l’obsession que j’ai le plus eu à observer c’est celle de vouloir cacher la vérité ou la travestir. La vérité, c’est que même si des problèmes ont pu se produire avec des élèves juifs ou chrétiens, ils sont rares au regard de ceux qui se sont produits ces dernières années avec des élèves de confession musulmane.

Parmi les problèmes qui se sont posés avec des élèves de confession juive, il y a les absences en raison de leur calendrier religieux, ou les demandes de déplacement de dates d’examens pour les mêmes raisons. Il a suffi de rappeler les règles et de les appliquer. Le refus de satisfaire des demandes d’entorse à la laïcité n’a pas entraîné de risque de déclencher émeutes ou rébellions. Pour les élèves chrétiens, les problèmes sont si anecdotiques que ce serait assimilable à une tentative de « noyer le poisson » que de les citer comme s’ils se produisaient régulièrement et surtout, comme si ces actes qui demeurent isolés pouvaient en entraîner bien d’autres par mimétisme, comme on le constate dans les situations propices au prosélytisme du fait de l’atrophie de la liberté individuelle, ce qui n’est pas le cas dans la culture française depuis déjà fort longtemps.

Le propre d’un homme ou d’une femme politique responsable – et notre époque en a le plus grand besoin – c’est d’avoir le courage de voir la réalité telle qu’elle est, et non pas telle qu’on voudrait qu’elle soit. Il ne sert à rien de se voiler la face. Cette attitude a largement participé à conférer un sentiment de puissance à certains élèves, et encouragé d’autres à verser eux aussi dans des comportements gorgés d’arrogance qui aboutissent à transformer chaque problème en guerre de tranchées.

JOL Press : Au-delà de cette charte, comment faire coexister, au mieux, entre eux, des élèves aux cultures, religions, et origines diverses ?
 

Malika Sorel-Sutter : J’ai toujours dit et écrit que ce problème, qui ne s’est pas posé avec l’intégration d’autres européens et qui se pose avec l’intégration de personnes de cultures extra-européennes, devait être approché en traitant toutes ses dimensions simultanément. Se focaliser uniquement sur l’école en laissant de côté la question des flux migratoires, celle de l’éducation donnée par les parents, la donne géopolitique, le comportement de nos élites politiques et intellectuelles, sans oublier le rôle délétère joué par de nombreux médias, n’apportera pas de résultats tangibles sur le moyen et long terme.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Malika Sorel-Sutter est essayiste et membre du Haut conseil à l’intégration. Elle est l’auteure notamment de Immigration, Intégration : Le langage de vérité (Fayard/Mille et une nuits).

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