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«Larayedhgate»: un crime d’État en Tunisie?

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Ils étaient quelques centaines à manifester mercredi après-midi devant le ministère de l’Intérieur de la capitale tunisienne. Partisans du Front populaire et du Front de salut national, membres de la société civile, tous réclamaient la démission du gouvernement tunisien mené par Ali Larayedh.

Ce dernier est accusé d’avoir été complice du meurtre de l’opposant de gauche Mohamed Brahmi fin juillet, en taisant l’existence de documents de la CIA qui prouvaient que l’assassinat devait avoir lieu.

Le chef du gouvernement était-il au courant ?

Selon les dires de Taïeb Laguili, président de l’Initiative pour la recherche de la vérité sur l’assassinat de Chokri Belaïd – un autre opposant tunisien tué en février dernier –, le Premier ministre aurait pris connaissance du document de la CIA, qui mettait en garde contre le possible assassinat de Mohamed Brahmi, une dizaine de jours avant le meurtre. Selon Taïeb Laguili, le chef du gouvernement aurait même ordonné la destruction de ce document le 25 juillet, soit le jour de l’assassinat.

Le député de l’Assemblée nationale constituante tunisienne (ANC), Mahmoud Baroudi, a également indiqué sur les ondes de Mosaïque FM qu’il détenait un document transmis le 13 juillet par la direction générale de Sûreté publique, mettant en garde contre un plan visant l’assassinat par des membres de la mouvance salafiste du député de gauche Mohamed Brahmi.

Une instrumentalisation politique ?

À la suite de ces déclarations, le principal intéressé, Ali Larayedh, a nié catégoriquement ces accusations, expliquant dans un communiqué de presse que les informations selon lesquelles il aurait pris connaissance de ce document avant le drame étaient fausses. Le chef du gouvernement a précisé qu’il n’en avait été informé qu’après l’événement.

Ali Larayedh a également tenu à rappeler que ces « informations mensongères à l’encontre du gouvernement, de ses cadres sécuritaires et civils » visaient à « mettre en doute leurs efforts et leur crédibilité » et que « cette instrumentalisation politique avait pour but de porter atteinte aux institutions de l’État. »

Mercredi, 37 députés soutenant les affirmations de Taïeb Laguili ont déposé une plainte pénale contre le président de la République, Moncef Marzouki, le chef du gouvernement Ali Larayedh et le ministre de l’Intérieur Lotfi Ben Jeddou ainsi que plusieurs hauts responsables de l’institution sécuritaire, accusés d’avoir passé sous silence la note confidentielle de la CIA.

Une protection insuffisante du député assassiné ?

Le ministre de l’Intérieur, qui a confirmé l’existence de ces documents et ordonné qu’une enquête soit ouverte, a finalement décidé de remanier son ministère. Il est en effet accusé de n’avoir pas su accorder une protection suffisante au député Mohamed Brahmi.

D’après d’autres documents révélés par Taïeb Laguili, des responsables d’Ennahdha auraient en effet bénéficié d’une protection beaucoup plus importante lorsqu’ils subissaient des menaces sur les réseaux sociaux, « ce qui n’a pas été le cas pour Mohamed Brahmi, malgré des renseignements fournis par la CIA », a-t-il rappelé sur Mosaïque FM.

Selon plusieurs observateurs, ces révélations ont permis de faire la lumière sur les « dangereuses défaillances sécuritaires » du ministère de l’Intérieur. Le ministre de la Justice Nadhir Ben Ammou et le ministre de l’Intérieur Lotfi Ben Jeddou étaient d’ailleurs attendus jeudi pour s’expliquer lors d’une session plénière à l’Assemblée sur le plan visant l’assassinat de Mohamed Brahmi et sur la question sécuritaire.

Un nouveau Watergate ?

Pour Taïeb Laguili, toutes ces informations prouvent que le gouvernement tunisien est complice d’un crime d’État. Il souhaite maintenant que l’affaire soit portée devant la justice internationale. L’avocat français Jean-Pierre Mignard a déjà été chargé du dossier.

Dans une tribune publiée sur Al Huffington Post Maghreb, Selim Ben Abdesselem, député du parti Nida Tounès à l’ANC, compare l’affaire Larayedh au scandale du Watergate qui avait abouti à la démission du président américain Richard Nixon en 1974, « après deux ans de batailles parlementaires et judiciaires acharnées. »

« Pour ce qui est de la Tunisie, même si les preuves à l’encontre du chef du gouvernement paraissent accablantes, l’expérience de bientôt deux ans de pouvoir islamiste nous enseigne qu’il faudra faire preuve d’une ténacité sans pareille pour donner une chance à cette affaire d’aboutir sur les plans judiciaire et politique », déplore le député.

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