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L’élection d’un pape argentin renforce-t-elle les catholiques latino-américains?

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PAR JEAN-JACQUES KOURLIANDSKY

 

L’élection du pape François le 13 mars 2013 par le conclave, éphémère parlement de l’Église catholique, a surpris Paris comme Rome, Buenos Aires et Mexico. L’évêque de Rome, de mémoire catholique, avait toujours été européen. Jorge Mario Bergoglio, le nouveau pontife, jusque-là archevêque de la capitale argentine Buenos Aires, le pape François donc, est latino-américain. Les commentaires les plus contradictoires ont accompagné l’accession géographiquement insolite d’un porteño[1] au trône de Saint-Pierre.

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Pour les croyants comme pour les périphériques du monde, il s’agit d’un évènement « historique ». Dés le 14 mars, un jeune couple de Colombiens a donné à son nouveau-né le prénom de « François Ier ». Ce pape venu de loin, comme il l’a souligné lui même en s’adressant aux fidèles venus le saluer place Saint-Pierre, rompt la mainmise des Européens sur l’une des plus vieilles institutions de la planète Terre. Quel sens donner à cette désignation ? Pour l’Église catholique, comme pour l’Amérique latine ? Et bien que cela n’ait rien à voir, en apparence, comment ne pas faire un parallèle avec la désignation d’un autre latino-américain, le Brésilien Roberto Azêvedo, à la direction d’une organisation internationale plus « jeune » : l’Organisation mondiale du commerce le 8 mai 2013 ? Comment ne pas comprendre ces deux événements de nature très différente, malgré tout comme le signal d’une dérive des continents ?

Le Vatican cultive son pré carré latino-américain

Ce choix sanctionne quelque part la prise en compte du réel par la hiérarchie catholique. Plus de 40 % des catholiques sont latino-américains. Trois des 10 pays comptant le plus de catholiques sont latino-américains[2]. En 1903, il n’y avait aucun cardinal latino-américain au conclave qui a élu Pie X. Le 13 mars 2013, ils étaient 19 sur 115. Benoit XVI le rappelait en 2007 aux évêques brésiliens : « L’Amérique latine est le continent de l’espérance (…) Ici les catholiques sont majoritaires, ce qui veut dire qu’ils doivent particulièrement contribuer au bien commun (…). Le Brésil occupe une place à part (…) parce qu’il est né chrétien et qu’il héberge le plus grand nombre de catholiques au monde ». Qui plus est, ces catholiques latino-américains ont gardé la foi du charbonnier, alors qu’elle est bien malade sur ses terres traditionnelles d’Europe. L’Amérique latine a depuis longtemps été perçue par le Saint-Siège comme la roue de secours d’une Église européenne érodée par la modernité consumériste. Dés 1955, l’épiscopat local s’est organisé en Conférence, portant le nom de CELAM (Conférence épiscopale latino-américaine), avec l’assentiment du Vatican. Une administration particulière a été mise en place par le Saint-Siège, la Commission pontificale pour l’Amérique latine[3]. Les premiers grands voyages du pape ont été, dans leur écrasante majorité, des déplacements latino-américains. Paul VI, Jean-Paul II[4] et Benoit XVI ont sillonné le continent.

Ce choix est destiné à consolider la place centrale d’une église qui irradie encore « à l’ancienne » tout un continent. L’Église catholique garde une influence institutionnelle inimaginable en d’autres lieux. Le « sabre » et le « goupillon » font encore bon ménage dans les Amériques, sous une forme qui n’a pas grand-chose à voir avec ce que l’on entendait par là en Europe, il y a quelques dizaines d’années. Mais Église et pouvoir, catholicisme et société sont encore ici très imbriqués. Jean-Paul II avait été choisi par les dictateurs argentin et chilien, Jorge Videla et Augusto Pinochet, en 1978 pour arbitrer un différend territorial les opposant. Le social-chrétien dominicain Joaquín Balaguer a construit un immeuble-cathédrale en hommage à Christophe Colomb et à la Croix en 1992. Recevant le président uruguayen le 1er juin 2013, le pape François a publié un communiqué mettant en relief « l’éminente contribution de l’Église catholique dans le débat public, sur (…) le développement intégral de la personne, le respect des droits de l’homme, la justice, la paix sociale, (…) l’assistance et l’éducation ». Faut-il voir là un calcul politique ou s’agit-il aussi de convictions ? La vérité est bien normande, combinant les ingrédients selon les hommes et les situations.

Un sabre politique bienveillant envers l’Église

Les autorités politiques locales prennent en compte cette réalité. La quasi-totalité des chefs d’État était donc présente à Rome, qu’ils soient classés à droite ou à gauche, le 19 mars 2013 pour assister à la prise de fonction du nouveau Saint-Père. En dépit de l’évolution des sociétés, l’afflux de ces responsables aux agapes papales est révélateur d’une réalité. Seul l’Uruguayen Pepe Mujica, agnostique de conviction, s’est fait représenter par Danilo Astori son vice-président, « thala » pur sucre. Mais il s’est empressé quelques semaines plus tard, le 1er juin, de rendre visite à François, chef de l’État du Vatican.

Les batailles électorales se livrent au nom du Christ et du Démon bien souvent. Nicolas Maduro, en campagne présidentielle au Venezuela, a sans hésiter attribué l’élection d’un pape latino-américain le 13 mars au travail de couloir qu’aurait fait au Paradis son prédécesseur et ami Hugo Chavez, décédé le 5 mars. Quelques jours plus tard, son adversaire malheureux, Henrique Capriles, a décrit la bataille électorale, comme « une lutte spirituelle de caractère divin pour faire tomber le mur du mal ». Divorce, contraception, mariage de personnes de même sexe peinent encore, dans un tel contexte, à se frayer une reconnaissance officielle.

La sympathie envers l’Église vient aujourd’hui davantage de la gauche nationaliste latino-américaine. Elle revendique, du Brésil au Venezuela, un héritage commun, base de la latinité qui définit le continent et l’oppose aux Wasps (blancs-anglo-saxons et protestants). Marquée par la Théologie de la libération, elle préfère jouer collectif avec l’Église sur le terrain du social. Elle fait donc le plus souvent (pas toujours…) une impasse tactique en matière de mœurs. Ses dirigeants se réclament du message social de l’Église et de l’exemplarité du Christ, privilégiant les dénominateurs communs. Fidel Castro a dépoussiéré ses souvenirs d’enfant de chœur pour visiter puis accueillir Jean-Paul II. Hugo Chavez, le défunt chef d’État du Venezuela mettait volontiers Jésus et Marie à la sauce bolivarienne. Rafael Correa, président de l’Équateur, pays membre de l’Alba, Alliance bolivarienne des peuples d’Amérique, a été l’un des premiers à venir féliciter le nouveau pape. Il se dit et se veut catholique pratiquant. Socialement « avancé », il se déclare publiquement hostile à tout ce qui prétend changer les traditions familiales et les mœurs. Il n’y aura donc pas en Équateur de loi sur le mariage homosexuel ou sur l’interruption de grossesse. Au Brésil, ce sont les juges qui ont imposé à la présidente Dilma Rousseff, du Parti des travailleurs, la reconnaissance d’unions entre personnes de même sexe.

Les voix du Seigneur sont de moins en moins audibles

Cette alliance de circonstance et d’intérêts partagés est imparfaite. Comme la gauche, l’Église latino-américaine a été bousculée ces cinquante dernières années. Et ces va-et-vient ont souvent opposé les uns aux autres. La guerre froide avait entrainé l’Église catholique sur un terrain qui n’était pas le sien, la lutte des classes. La victoire de Fidel Castro à Cuba en 1959 avait provoqué deux séries de conséquences. Un certain nombre de prêtres et parfois d’évêques avaient couplé leur foi avec une théorie concrète et engagée de la pauvreté[5]. La Théologie de la libération prétendait pousser les conclusions sociales du concile Vatican II[6] et le discours prophétique de Jean XXIII en direction du marxisme au nom de Jésus. Elle a mobilisé, d’Amérique centrale au Brésil, des curés et des fidèles qui se sont engagés politiquement très à gauche. Certains, comme le colombien Camilo Torrés, sont morts les armes à la main au sein d’une organisation armée, l’ELN, l’Armée de libération nationale. D’autres comme les Nicaraguayens Ernesto Cardenal et Pablo d’Escoto ont pris le pouvoir avec le Front sandiniste auquel ils avaient adhérés. Mgr Oscar Arnulfo Romero, évêque de San Salvador, a payé de sa vie le 24 mars 1980, son choix des victimes de la répression et des révoltés. La riposte, venue des États-Unis a été militaire et religieuse. Le parti républicain a défini une stratégie connue sous le nom de Santa Fe I et II. Une vague pentecôtiste et évangéliste alors a déferlé sur l’Amérique latine. La secte de Sun Myung Moon a établi son quartier général à Montevideo, sous la protection des généraux putschistes uruguayens. Ces groupes ont débarqué pour convertir un continent supposé « païen ». L’offensive a pris de court l’Église et ses cadres. Par milliers, les catholiques sont devenus évangélistes, pentecôtistes ; au Guatemala, en Haïti, au Brésil. La droite guatémaltèque est allée chercher Efraïm, un général défroqué du nom de Rios Montt, parent d’un évêque catholique, devenu frère dans l’Église évangélique du Verbe. Elle en a fait un président en 1982, mais un tribunal, en mai 2013, l’a mis en examen pour crimes contre l’humanité.

Le Saint-Père en choisissant de porter le nom de François a confirmé la contre-réforme inventée par Jean-Paul II et Benoit XVI. François, sur les traces de François d’Assise, allait chercher Dieu par les pauvres. La voie de la pauvreté pour ce pape issu d’un continent qui est celui des inégalités est une priorité. Ce choix était aussi celui des prêtres de la libération. Il doit donner à l’Église le moyen d’aller vers les plus défavorisés qui ont été ciblés par les confessions protestantes de la conversion. Mais l’instrument de ce retour vers le peuple de Dieu est construit sur les Évangiles et ses médiateurs en soutane. Il n’est pas question pour François comme pour ses prédécesseurs de pactiser avec des philosophies matérialistes, qu’elles soient marxistes ou libérales.

Jean-Paul II avait rencontré Ronald Reagan le 7 juin 1982 pour lui expliquer cela. Pour être bien compris, au cours de ses nombreux déplacements en Amérique latine, il avait prêché la bonne parole. Il avait été à la rencontre des pauvres, ceux par exemple des bidonvilles de Lima. Mais il avait aussi tancé publiquement les curés ministres du Nicaragua, contraints de le saluer genou en terre en 1983. Benoit XVI avait forcé le président progressiste élu par les Paraguayens, Fernando Lugo, à renoncer au sacerdoce. Toutes choses ayant été accompagnées d’une reprise en main des esprits. La Théologie de la libération avait été condamnée. Dès 1984, le cardinal Ratzinger, préfet de la congrégation de la doctrine de la foi, avait sur instruction du souverain pontife condamné les dérives marxisantes dans les « instructions sur certains aspects de la Théologie de la libération ». Ses défenseurs et divulgateurs avaient été sommés de rentrer dans le rang, parfois de façon assez abrupte, comme Leonardo Boff. La foi dans ses aspects les plus populaires, l’émotion religieuse avaient été replacées au cœur du message évangélique. La Vierge Marie avait fait l’objet des attentions papales, que ce soit au sanctuaire de Guadalupe au Mexique, d’Aparecida au Brésil ou de la Vierge du cuivre à Cuba. Des femmes et des hommes issus du peuple brésilien, colombien, équatorien, mexicain, ont été sanctifiés pour la première fois et offerts à la piété émotionnelle de tout-un-chacun. La presse mexicaine a signalé que Jean-Paul II aurait guéri d’une leucémie un jeune mexicain de Zacatecas, touché par les mains du souverain pontife le 12 mai 1990.

Jorge Mario Bergoglio s’est coulé dans ce moule. Il a confirmé la voie de la pauvreté. Il l’a fait de façon à marquer les esprits par ses actes et ses choix. Il a pris le nom insolite de « François », alors qu’il n’y avait jamais eu de François avant lui. Saint-François, saint des gens simples et proche des fidèles, va donc orienter sa vie de Saint-Père. « Pendant le décompte des voix », confiera-t-il aux 6 000 journalistes venus le saluer le 16 mars 2013, « je pensais à Saint-François d’Assise, sa relation aux pauvres, les pauvres, les pauvres, et aussi la paix. C’est comme cela que son nom est entré dans mon cœur. J’aimerais que l’Église soit pauvre et pour les pauvres »[7]. Mais il a inscrit son choix des pauvres, dans le droit fil signalé par ses prédécesseurs. « Choisir de s’adresse aux pauvres est un message fort (…) La Théologie de la libération a eu du bon et du mauvais. (…) Il y a eu des déviations (…) qui permettaient d’introduire n’importe quelle idéologie. Le danger s’est estompé peu à peu à mesure que s’est développé (…) la piété populaire »[8]. François a, dès le lendemain de son élection, remisé au magasin des accessoires les signes extérieurs de richesse de ses prédécesseurs, pallium et anneau. Il a effectué personnellement les démarches de vie quotidienne qu’habituellement un pape ne fait pas. Le 14 mars 2013, il a réglé sa note d’hôtel, clôturant ainsi sa vie de cardinal. Il a téléphoné à Buenos Aires pour informer son vendeur de journaux qu’il ne viendrait plus comme tous les matins lui acheter son quotidien habituel, La Nación.

Un pape de gauche ?

Sont venues ensuite diverses prises de position symboliques. Il a rompu avec le français, langue diplomatique utilisée par le Vatican, en s’adressant en espagnol le 22 mars 2013 aux ambassadeurs venus le saluer. Le geste est incontestablement en résonnance avec ceux des diplomaties émergentes argentine, bolivienne, brésilienne ou vénézuélienne. Son premier déplacement, qui répond il est vrai à un agenda défini antérieurement, le conduit au Brésil le 23 juillet où il va à la XXVIIIe Rencontre de la jeunesse catholique. Il a aussi bousculé les consciences en s’attaquant durement aux corrupteurs le jour de la Fête Dieu. Toutes choses qui lui ont attiré les commentaires bienveillants de religieux pourtant mis à l’index dans le passé pour leur engagement politique, comme le Brésilien Leonardo Boff. « Grâce à Dieu, le Pape François se présente explicitement en pasteur et non en docteur. (…) Il est ainsi plus libre de parler au nom de l’Évangile, avec son intelligence émotionnelle et spirituelle, avec un cœur ouvert et sensible, en accord avec un monde aujourd’hui globalisé. (…) En clair, moins de théologie et donc plus de libération »[9].

Pour le reste, il a rappelé le devoir d’exemplarité personnelle et la nécessité d’avoir Jésus et les Évangiles comme boussole. Dés le premier jour, le 14 mars 2013, il a rappelé aux cardinaux qui l’avaient élu que l’Église n’était pas une organisation caritative ou une ONG. Il leur a rappelé le rôle de directeur de consciences qu’ils doivent garder en permanence. Un rôle que lui-même a pratiqué comme provincial des jésuites, comme évêque et comme cardinal. Provincial des jésuites, il a tenté pendant la dictature militaire argentine de freiner l’activisme politique de certains des siens. Deux d’entre eux ayant été arrêtés et torturés, il a entrepris des démarches qui sont restées volontairement discrètes pour les tirer d’affaire. Il a ainsi suivi la ligne moyenne du clergé argentin, resté silencieux devant les crimes, préférant (comme l’avait fait Pie XII pendant la Seconde Guerre mondiale) sauver des vies le plus discrètement possible pour éviter d’exposer l’institution ecclésiastique. Adolfo Pérez Esquivel, prix Nobel de la paix rescapé de la répression, a fait à ce sujet le commentaire suivant : « Il est indéniable qu’une bonne partie de la hiérarchie ecclésiastique a été complice du génocide perpétré contre le peuple argentin. Bien que beaucoup par excès de prudence soient intervenus de façon discrète pour aider les persécutés, bien peu de religieux ont, avec courage et décision, assumé la lutte pour les droits de l’homme contre la dictature. Je pense que Jorge Bergoglio n’a pas été complice de la dictature, mais je crois qu’il a manqué de courage pour accompagner notre combat pour les droits de l’homme »[10].

La démocratie revenue, archevêque et cardinal, il a au contraire, de 2004 à 2010, accompagné de façon ostentatoire et publique les mobilisations de rue contre les lois sociétales des présidents Nestor et Cristina Kirchner. Il a bataillé contre le mariage homosexuel. Il a condamné la contraception. Il s’est déclaré opposé au mariage des prêtres. Le tout en termes d’une orthodoxie ancrée dans le passé. Le projet de mariage homosexuel, a-t-il écrit, par exemple, est « d’origine diabolique ».

Dieu reconnaitra les siens. L’enthousiasme a d’ores et déjà été douché par quelques déclarations amères venues d’Argentine. L’attitude solidaire du Provincial des jésuites, Jorge Mario Bergoglio, à l’égard des siens incarcérés par la dictature, cache mal le silence à l’égard d’un système répressif. Pourtant, quelques figures avaient sauvé l’honneur de l’Église argentine. Au Salvador, d’autres ont ressorti le dossier dormant de la sanctification de Mgr Romero assassiné en pleine messe il y a 33 ans. À Cuba, les dissidents souhaiteraient une implication plus franche de l’épiscopat en faveur de changements politiques. Mai,s à Cuba comme sous d’autres cieux, l’Église défend avant toute chose et en priorité ce qu’elle est.

Avec la fin de la guerre froide, les frontières du religieux et du politique se sont brouillées. Protestants et catholiques vont de droite à gauche, se croisent, se choquent ou vont de conserve. Les uns et les autres, à la différence de leurs homologues européens, n’hésitent pas à dire leur mot dans les affaires du pays, voire à recommander tel ou tel candidat et, pour certains, tel ou tel député affilié à une confession. Hier farouchement anti-gauche et anti-sandiniste, le cardinal nicaraguayen Miguel Obando y Bravo s’accommode aujourd’hui d’un Daniel Ortega qui a suspendu la plus vieille loi d’interruption de grossesse adoptée en Amérique latine. D’autres prélats ont, au Venezuela, condamné en termes feutrés mais reconnaissables le camp opposé au gouvernement chaviste. Les évangélistes ont constitué un imposant intergroupe au parlement brésilien. Certains soutiennent le PSDB, formation centriste d’opposition, et d’autres le gouvernement de centre gauche dirigé par le Parti des travailleurs. Tandis que la chef du groupe écologiste brésilien, Marina Silva, évangéliste avouée, a exclu de son programme toute avancée sociétale.

La classe moyenne : principale menace ?

La menace pour le catholicisme latino-américain, si menace il y a, est sans doute ailleurs. Les avancées économiques spectaculaires de ces dix dernières années modifient lentement mais sûrement la sociologie et le vécu des populations. La croissance, les programmes gouvernementaux de lutte contre la pauvreté ont produit une classe moyenne en expansion. Ce groupe social, comme ses homologues d’ailleurs, est individualiste et consumériste. Rien d’étonnant à ce que les premières lois autorisant les mariages entre personnes de même sexe aient été adoptées là où il commence à coaguler, en Argentine, en Uruguay et à Mexico. L’archevêché de Montevideo a récemment fait savoir qu’en 20 ans la participation à la messe dominicale avait baissé de 50 %[11]. En dénonçant les « antéchrists » aux comportements égoïstes, corrompus et agnostiques le 3 juin 2013, le pape François a ciblé l’ennemi et dénoncé ses diableries. Son terrain de jeu est aujourd’hui européen, mais peut-être demain sera-t-il aussi latino-américain. Et ce terrain-là est favorable aux nouveaux courants missionnaires protestants qui prêchent une théologie de la prospérité en prise avec les aspirations sociales des catégories montantes comme des plus démunis, encore en salle d’attente.

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[1] Porteño : habitant du port, c’est-à-dire de Buenos Aires, ville construite sur l’une des rives du Rio de la Plata.

[2] Le Brésil (126,7 millions de catholiques sur une population de 196 millions d’habitants) ; le Mexique (96,4) et la Colombie (38,1). In « La Folha de São Paulo », 13 mars 2013.

[3] Créée par Pie XII, le 21 avril 1958.

[4] Jean Paul II, le plus voyageur, a visité tous les pays d’Amérique latine, à l’exception du Paraguay, et plus particulièrement, le Mexique (à 5 reprises) et le Brésil (4 fois).

[5] L’expression a été inventée tardivement, en 1971, par un dominicain péruvien, Gustavo Gutiérrez.

[6] Le Concile de Vatican II s’est tenu de 1962 à 1965.

[7] Dans El Pais, Madrid, 17 mars 2013 et La Documentation catholique, n° 2509-2510, 21 avril 2013.

[8] Dans Je crois en l’homme, conversations avec Francesca Ambrogetti et Sergio Rubin, Flammarion, 2010.

[9] Leonardo Boff, «Teologia do cativeiro e dalibertação », Vozes, 2013.

[10] Dans El Pais, Madrid, 24 mars 2013. Jorge Bergoglio a exposé sa version des faits cités dans Je crois en l’homme.

[11] Voir America economia, Santiago du Chili, 30 mars 2013.

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