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Margo Fruitier: «Il y a un manque de liberté au sein des Femen»

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Après le départ d’Amina Sboui, la première Femen tunisienne, le tweet islamophobe d’Inna Shevchenko, puis le fameux documentaire révélant l’existence d’un homme derrière les Femen, l’annonce de la dissolution de la branche belge des féministes au seins nus provoque une nouvelle onde de choc.

« Nous avons pris cette décision à l’unanimité suite à des différends sur l’organisation interne du mouvement international Femen », ont lancé les féministes belges sur leur compte Facebook. « Nous ne regrettons rien, nous avons mené toutes nos actions sincèrement », ont-elle poursuivi sur le réseau social, en précisant vouloir continuer le combat « autrement ». Eclaircissements de Margo Fruitier, fondatrice de la branche belge.

JOL Press : Comment avez-vous été amenée à rejoindre les rangs des Femen ?

Margo Fruitier : Dans mon école de cinéma à Bruxelles, j’étais amenée à travailler sur la thématique de genre. De fil en aiguille, je me suis dit qu’il fallait que je rencontre les Femen. Après avoir passé une semaine au QG des activistes, à Paris, j’ai voulu monter quelque chose à Bruxelles. On m’a appelée pour la journée du « topless djihad », le 4 avril, en guise de soutien à Amina Sboui. J’ai passé des annonces sur Facebook pour rassembler des militantes. Le mouvement a grossi, et nous avons développé la branche belge en menant huit actions.

 

JOL Press : Pour expliquer la dissolution de la branche belge, vous mettez en avant un « désaccord concernant l’organisation internationale du mouvement ». De quoi s’agit-il exactement ?

Margo Fruitier : Nous voulions faire partie d’un mouvement d’activistes qui fonctionne à l’image de nos idéologies politiques : de manière horizontale et démocratique. On nous donne l’illusion d’une certaine liberté dans chaque branche des Femen, mais en réalité, ce mouvement a été construit et est dirigé par un groupe d’Ukrainiennes qui n’a aucune envie de démocratiser le fonctionnement. Il y avait également un manque de transparence et de communication de leur part, ce qui est assez frustrant, lorsque, en tant qu’activiste, on prend des risques, au péril parfois de nos vies… Nous voulions faire partie d’un mouvement basé sur la confiance et dans lequel on ne découvre pas les choses en même temps que la presse.

 

JOL Press : Pensez-vous que vous serez suivies par d’autres branches du mouvement Femen ?

Margo Fruitier : Nous avons eu une grande discussion par email avec toutes les branches du mouvement. La discussion avec Inna Shevchenko n’a pas abouti sur quelque chose de positif. En ce qui concerne les autres branches, il y a des filles très contentes du système actuel, d’autres qui sont plus critiques. Je ne sais pas si d’autres branches vont suivre… Et puis je ne veux pas faire de pronostics pour les autres. Notre but n’est pas que le mouvement s’effrite. Nous voulons que le mouvement Femen continue d’exister.

 

JOL Press : La dissolution des Femen en Belgique intervient quelques semaines après le départ d’Amina Sboui, celle qu’on surnommait la « première Femen tunisienne ». Est-on en train d’assister à l’implosion du mouvement ?

Margo Fruitier : Il y a eu effectivement toute une série de coups durs pour les Femen ces derniers temps : le tweet d’Inna qui a fait scandale, les déclarations d’Amina, puis le documentaire présenté à la Mostra de Venise révélant l’existence d’un gros macho à la tête du mouvement. Malgré cela, les activistes restent très déterminées. Je pense qu’elles vont continuer le combat. Si nous avons décidé de mettre fin aux activités de la branche belge, c’est que nous pensons qu’avec ce fonctionnement, cela ne peut pas durer dans le temps. Il y a un manque de liberté et de communication à l’intérieur du mouvement. Si vous les questionnez, elles  vous répondront bien sûr que tout le monde est libre. Mais pour l’avoir vécu de l’intérieur, nous savons que les décisions appartiennent à Inna Shevchenko et à ses acolytes ukrainiennes.

 

JOL Press: Le film « L’Ukraine n’est pas un bordel» présenté début septembre à Venise a révélé le rôle controversé joué par Viktor Sviatski, l’idéologue des Femen. Etiez-vous au courant de son existence ?

Margo Fruitier : Nous étions au courant de l’existence de Victor Svyatski. Nous savions qu’il avait participé à l’élaboration du mouvement, mais nous ignorions le rôle qu’il jouait et qu’il s’inscrivait dans ce système patriarcal. Inna nous a envoyé un mail, en même temps que la parution des premiers articles dans la presse, lorsque le film a été présenté à la Mostra de Venise. Le problème n’est pas Victor Svyatski, mais les zones d’ombres qui entourent ce mouvement, où l’on ne nous dit pas tout. Il y a une grande opacité sur certains points.

 

JOL Press: Plusieurs mouvements ont accusé les Femen d’être un groupe islamophobe. Qu’en pensez-vous ?

Margo Fruitier : Je continue de partager l’idéologie des Femen et reste persuadée qu’elles ont choisi les bonnes cibles, notamment les religions. Leur combat est juste. Mais il y a une différence entre les bourdes sur Twitter [ndlr : en juillet dernier, la leader des Femen, Inna Shevchenko, a posté sur Twitter un message anti-islam dans lequel elle qualifiait le ramadan de « stupide » et la religion musulmane d’une des plus « moches », avant de supprimer le tweet] et un combat commun mené de longue date.

 

JOL Press : De nombreuses questions restent sans réponses autour de ce groupe contestataire. Que savez-vous par exemple du financement des Femen ?

Margo Fruitier : Pas grand-chose… Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’elles n’ont pas d’argent. Il y a des mythes autour des Femen, selon lesquels elles rouleraient sur l’or et auraient de quoi se payer tous les billets d’avion. En tant qu’activistes, nous avons constaté qu’elles ne vivaient pas vraiment dans des conditions idéales. L’argent des dons est dépensé pour les transports. C’est un mouvement qui ne nécessite pas tellement d’argent puisque nos seules armes sont nos seins.

 

JOL Press : Iseul Turan, une étudiante du mouvement Antigones, a infiltré le mouvement pendant sept semaines et a comparé les Femen à une « agence de communication qui tourne comme un business ». Qu’en pensez-vous ?

Margo Fruitier: Femen assume totalement le côté « communication » du mouvement. C’est vrai qu’elles jouent en permanence sur l’image véhiculée. Cela fait d’ailleurs partie des points sur lesquels nous étions en désaccord concernant la stratégie à adopter. Pour les réseaux sociaux par exemple, nous aurions aimé insérer plus de contenu, et pas seulement des images faisant en permanence la pub des Femen.

 

JOL Press : Quel bilan tirez-vous de cette expérience ?

Margo Fruitier : Un bilan très positif ! Nous sommes très heureuses d’avoir participé à cette expérience pendant six mois. Cela nous a permis de nous rencontrer. Nous sommes un groupe de quatorze filles, pleines d’envie et très excitées par la perspective de monter un projet qui nous ressemble. Pour nous, Femen c’est une étape.

 

JOL Press: Vous avez déclaré vouloir « mener le combat différemment ». Est-il question de créer un autre mouvement pour défendre vos idées féministes ?

Margo Fruitier : Nous avons encore besoin de temps pour définir tout ça et en parler entre nous. Il y a plein d’envie : nous sommes des filles toutes très différentes, de milieux différents : il y a des sujets qui touchent plus certaines filles que d’autres. Nous avons envie d’aller vers des actions plus politisées et clairement anti-capitalistes, ce qui nous manquait au sein des Femen. Et bien entendu, nous voulons rester un groupe féministe et continuer l’action directe. Toute la ligne de ce nouveau mouvement est encore à créer.

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

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