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Maroc: Le racisme anti-Noirs visé par un projet de loi

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Lundi, le roi du Maroc Mohammed VI, à qui le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) a remis un rapport sur la situation des migrants, a réitéré sa conviction que « la problématique migratoire, objet de préoccupations légitimes et parfois sujet de polémiques, doit être approchée de manière globale et humaniste. »

Le Maroc, du transit à l’accueil

Le Maroc, autrefois principale porte d’entrée vers l’Europe pour les migrants du sud de l’Afrique, n’est plus seulement un pays de transit, mais fait désormais figure de terre d’accueil pour des milliers de migrants subsahariens, principalement des Nigérians, Maliens ou Sénégalais. Selon des associations locales, de 20 000 à 25 000 immigrés originaires du sud du Sahara se trouvaient sur le sol marocain fin 2012.

L’Association marocaine d’études et de recherches sur les migrations (AMERM) publiait, en 2008, une étude sur l’immigration subsaharienne au Maroc. « Dans bien des cas, le transit se transforme en séjour forcé plus ou moins long. Les difficultés que pose la traversée du détroit de Gibraltar ou de l’Océan vers l’Espagne et les Îles Canaries font que le Maroc devient une escale durable », indiquait alors l’étude.

Les ONG et l’ONU dénoncent les violences racistes

Or, en mars dernier, l’ONG Médecins sans frontières dénonçait dans un rapport la « recrudescence importante » des violences racistes envers les migrants subsahariens, dans un pays où être noir n’est pas toujours vu d’un bon œil par une partie de la population.

Le rapporteur de l’ONU sur la torture, l’Argentin Juan Mendez, faisait quant à lui état, dans un rapport présenté devant les membres du Conseil des droits de l’homme, « de passages à tabac et de violences sexuelles subis par les migrants subsahariens tentant chaque année de se rendre en Europe par le détroit de Gibraltar ou via Ceuta et Melilla [les deux enclaves espagnoles au Maroc, ndlr]. »

Des actes isolés ?

En août dernier, Ismaïla Faye, un jeune Sénégalais d’une trentaine d’années était poignardé à mort par un Marocain à la gare routière de Rabat, à cause d’une place dans un autocar. Quelques jours avant, un Congolais mourait des suites de ses blessures. Il avait été jeté d’une fourgonnette en marche par des policiers alors qu’il devait être reconduit à la frontière.

Un an avant, l’affaire Camara Laye, du nom d’un jeune immigré guinéen poursuivi pour son engagement militant au sein du Conseil des migrants subsahariens au Maroc, avait provoqué la colère de la communauté noire marocaine.

Actes isolés ou symptômes d’une société moins tolérante ? Sans parler de « vague » d’actes racistes au Maroc, ces cas n’en restent pas moins révélateurs d’une hostilité rampante d’une partie de la population marocaine envers les migrants subsahariens. Ces actes, qui ont suscité l’indignation de la communauté subsaharienne et entraîné de nombreuses manifestations de protestation très médiatisées, ont poussé les autorités marocaines à réagir.

Le Royaume prend les devants

Le gouvernement marocain, qui s’est saisi de l’affaire d’Ismaïla Faye, subit également la pression d’ONG comme l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), qui dénonce régulièrement ces actes racistes et a récemment appelé le gouvernement à « faire le nécessaire pour garantir la sécurité des Subsahariens au Maroc ». Dès la rentrée parlementaire, le 24 octobre prochain, le Maroc doit donc plancher sur un projet de loi contre le racisme, suite aux récents incidents qui ont secoué le royaume chérifien.

Des actes « anti-Africains » longtemps minimisés par le gouvernement marocain, qui reconnaît souvent à demi-mot l’africanité du Maroc. Dans la Constitution, modifiée en 2011 en pleine révolution arabe, l’unité du Maroc est ainsi définie par « la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie », convergence nourrie et enrichie de ses « affluents africains ».

Un terme trop vague pour certains observateurs comme Abdelilah Benabdeslam, vice-président de l’AMDH, qui rapportait au portail marocain Yabiladi le cas de propriétaires casablancais qui interdisent parfois la location d’appartements aux « Africains ». « Nous traitons toujours les Subsahariens comme si nous n’étions pas aussi des Africains. C’est contradictoire », regrette-t-il.

« Africains, mais pas trop »

En janvier dernier, le magazine marocain Tel Quel publiait à ce sujet une enquête intitulée « Africains, mais pas trop ». Interrogée par le magazine, la sociologue Fatima Aït Ben Lmadani, qui travaille sur la perception qu’ont les Marocains des immigrants subsahariens, expliquait que « l’Afrique est devenue synonyme de pauvreté et de violence pour de nombreux Marocains qui ne veulent pas être associés à cette image. Cela déteint sur les relations qu’ils ont avec les migrants africains ».

Le magazine s’appuyait ainsi sur une étude de l’AMERM montrant que 40 % des Marocains sondés n’appréciaient pas l’idée de compter des Subsahariens parmi leurs voisins, 70 % refusaient l’idée de partager un logement avec un Subsaharien et 60 % de s’unir avec un Subsaharien.

« Les Roms du Maghreb »

Quant aux migrants, leur place dans la société marocaine est nourrie de ces perceptions. « L’image que les Subsahariens pensent que la société marocaine leur renvoie d’eux-mêmes est largement marquée par des perceptions qui font d’eux des personnes inférieures, méprisées et considérées comme susceptibles de porter atteinte à la sécurité des Marocains », résume l’étude de l’AMERM.

D’un côté comme de l’autre de la Méditerranée, les perceptions négatives se suivent… et se ressemblent. Dans une tribune publiée en août et qui a fait le tour du Web, Boubakar Seck, un jeune architecte révolté par l’assassinat d’Ismaïla Faye, écrivait ainsi : « Les Noirs sont devenus les Roms du Maghreb ».

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