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Pourquoi cette réforme des retraites ne mobilisera pas autant qu’en 2010

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Jean-Marc Ayrault présente ce mercredi en conseil des ministres la réforme des retraites. Objectif : économiser 7,3 milliards d’euros en 2020 au régime général et ainsi compenser le déficit du régime général évalué à 7,6 milliards d’euros en 2020. Pourquoi le gouvernement n’est pas allé plus loin dans sa réforme ? Elément de réponse avec Philippe Crevel, secrétaire général du Cercle des Épargnants et auteur d’un guide sur la retraite chez Solar (2009). Entretien.

JOL Press : Pensez-vous que cette réforme mobilisera autant que celle d’Éric Woerth en 2010 ?
 

Philippe Crevel : Je ne pense pas, non. On a bien vu que la mobilisation syndicale du 10 septembre n’avait pas été très forte. Cela s’explique d’une part parce que le projet était beaucoup moins important qu’en 2010 – on ne touche pas à l’âge légal et l’allongement de la durée de cotisation ne se fera pas avant 2020 – et d’autre part parce que les syndicats sont divisés : la CGT, FO, FSU, Solidaires sont hostile au projet, en revanche, la CFDT, la CFTC et la CGC-CFE sont soit neutres soit favorables au texte. Il n’y aura donc pas de mobilisation massive, c’est ce que cherchait le gouvernement.

JOL Press : La faible mobilisation de la dernière manifestation ne tient-elle pas au fait que très peu de personnes se sentent concernés par cette réforme ?
 

Philippe Crevel : Le projet de loi ne prévoit pas de modification des régimes spéciaux ni de modification du système de retraite de la fonction publique. Cela évite que les gros bataillons de manifestants ne se déplacent pas par ailleurs.

JOL Press : Selon Jean-Claude Mailly, cette réforme est anti-jeune. Qu’en pensez-vous ?
 

Philippe Crevel : Le leader de Force ouvrière n’a pas forcément tord dans le sens où, en jouant sur la durée de cotisation pour les générations qui sont nées après 1958, on transfère la charge de financement des retraites sur les plus jeunes. Il est également opposé au report de l’âge légal de départ à la retraite, donc, de toute façon pour lui, aucune mesure n’était bonne.

JOL Press : Alors comment expliquer que les jeunes ne se mobilisent pas contre cette réforme ?
 

Philippe Crevel : Jouer sur la durée de cotisation, c’est plus compliqué à comprendre que l’âge légal. Par ailleurs ils sont nombreux à se dire que d’ici 20 ou 30 ans, il y aura eu beaucoup d’autres réformes en matière de retraite. Il y en a déjà eu cinq depuis 1993, il y en aura d’autres… Enfin, le mois de septembre n’est pas le plus propice à la mobilisation des jeunes qui sont en pleine rentrée.

JOL Press : Le président du Medef Pierre Gattaz a qualifié mardi le projet de réforme des retraites du gouvernement d’ « occasion totalement manquée » et prédit qu’il y avait de fortes chances « de se retrouver dans deux ans à retravailler le sujet ». Qu’en pensez-vous ?
 

Philippe Crevel : Il veut dire qu’on a essayé de gagner du temps. En essayant de colmater le déficit, le gouvernement fait le pari du retour de la croissance pour réduire le déficit public et en particulier celui de la retraite. Il n’y a pas de consensus en France pour faire une réforme importante des retraites, je pense à la création régime par points, ou d’un régime de comptes notionnels ou « capitalisation virtuelle ».

Sur le sujet, le Medef n’a pas été extrêmement proactif pour complètement refonder le système de retraite. Sur le sujet, il est assez frappant de constater que les partenaires sociaux laissent plutôt l’Etat être l’initiateur de la réforme et ne sont pas très force de proposition.

Pierre Gattaz a raison mais il aurait pu défendre davantage le régime unique par points. Il ne l’a pas fait parce que le Medef gère des caisses complémentaires et de l’institution de prévoyance et qu’il a quelque intérêt au maintien du système.

JOL Press : Peut-on parler d’un échec des concertations très médiatisées avec les partenaires sociaux ? 

Philippe Crevel : Ces concertations sont plus un jeu qu’autre chose : les partenaires sociaux viennent voir le Premier ministre, leur arrivée est médiatisée, mais FO donne ces décisions le matin, avant même que tous les partenaires sociaux aient été reçu et une fois le dernier partenaire reçu, le Premier ministre prend immédiatement la parole pour dire ce qu’il a choisi de faire. Il est évident que tout avait été décidé avant la rencontre avec les partenaires sociaux.

On n’est pas dans une négociation, plutôt dans un jeu où le gouvernement va écouter les doléances des partenaires sociaux, tout en ayant prévu son plan en amont. Les syndicats ont joué le jeu, le Medef a certainement été déçu de n’avoir pas pu peser dans les échanges avec le gouvernement. On est plus dans de l’audition que dans la concertation.

JOL Press : Pourquoi, selon vous, le gouvernement n’est pas allé plus loin dans sa réforme ? Par peur de la rue ?
 

Philippe Crevel : Je pense que le gouvernement a plusieurs objectifs. Le premier c’est de passer le mois de mars prochain et les élections municipales, il n’était dès lors pas question de s’empêtrer dans un conflit avec la fonction publique, avec les bénéficiaires des régimes spéciaux, voire avec FO et la CGT. Le gouvernement a donc réduit ses ambitions en matière de retraite.

Le deuxième objectif est de ne pas casser la croissance, le faible filon de croissance que nous avons actuellement. Le gouvernement n’a donc pas voulu jouer sur la CSG qui risquait de peser sur la consommation et a préféré taxer les entreprises.

Enfin face au « ras-le-bol fiscal », le gouvernement était forcé d’écouter sa majorité qui lui reprochait d’avoir trop ponctionné les classes modestes et les Français en général. Cette pression a dû le conforter dans sa décision de ne pas jouer sur la CSG et d’essayer de gagner un peu de temps pour passer l’automne.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques, des questions relatives à l’épargne et à la retraite.

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