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Pourquoi le budget 2014 risque de pénaliser la croissance

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Ce mercredi est présenté, en Conseil des ministres, le budget 2014. Bernard Cazeneuve, le ministre du Budget, l’affirme : 2014 verra une presque « stabilisation des prélèvements obligatoires avec un an d’avance. » « Notre priorité, c’est la croissance, et la réduction du déficit y contribue. Nous privilégions les économies aux impôts », a-t-il expliqué dans un entretien aux Échos, le 29 août dernier. Est-ce un choix judicieux en période de crise ? Eléments de réponses avec Eric Heyer, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

JOL Press : Le gouvernement a révisé à la baisse son évaluation de prévision de croissance pour 2014 à 0,9 % contre 1,2 % précédemment. Qu’en pensez-vous ?
 

Eric Heyer : En termes de prévision de croissance, le budget est réaliste. Prévoir une croissance à 0,9 % en 2014 n’est ni optimiste, ni pessimiste, mais raisonnable. Les économistes s’accordent sur une prévision à 0,8 %, nous, à l’OFCE, nous avons prévu une croissance à 1,3 %, donc ce budget se situe totalement dans la fourchette des prévisions des économistes.

JOL Press : Avec ce budget, le gouvernement envisage de passer sous la barre des 3 % de déficit public en 2015. Est-ce une estimation crédible ?
 

Eric Heyer : C’est en effet tout à fait possible.  Je ne dis pas que c’est ce qui va se passer à coup sûr, mais c’est possible. Globalement, on voit que des efforts sont réalisés et qui si la croissance économique est meilleure que les deux dernières années, cet objectif sera atteint. 2012 et 2013 ont fait zéro de croissance et avec zéro de croissance, on arrive tout de même à réduire les déficits. Un effort structurel a été engagé. Si cet effort est accompagné d’un peu de croissance, on peut arriver à 3 % en 2015.

JOL Press : Le gouvernement s’est engagé à baisser la dépense. Comment va-t-il s’y prendre ?
 

Eric Heyer : Il faut faire attention avec le terme « baisse des dépenses ». Le gouvernement ne prévoit pas de baisser ses dépenses, mais de faire en sorte que les dépenses progressent moins. Les dépenses progressent normalement de 1,5 % par an et là, le gouvernement va essayer de faire progresser les dépenses de seulement 0,5 %. Il y a bien une baisse des dépenses de l’Etat, mais ce que l’on observe, c’est la baisse des dépenses des administrations publiques dans leur globalité : Etat, collectivités locales et Sécurité sociale.

Pour faire cette économie, le gouvernement va baisser les dépenses de l’Etat – ce qui n’a jamais été fait – et par ailleurs, il va essayer de contenir les dépenses de la Sécurité sociale et notamment les dépenses de l’assurance maladie. Le gouvernement s’est fixé des objectifs bien plus ambitieux que ceux des années précédentes. Est-ce qu’il va y arriver ? C’est une autre affaire.

JOL Press : Comment le gouvernement peut-il à la fois répondre aux exigences de Bruxelles et donner l’impression aux Français qu’il est à l’écoute de leurs préoccupations ?
 

Eric Heyer : Le gouvernement dit que la Commission leur demande de faire 0,8 % du PIB d’efforts structurels, c’est-à-dire 16 milliards. Il annonce un peu plus, 18 milliards, et explique que ces efforts seront obtenus à 80 % par une baisse des dépenses publiques et non par les impôts. Les prélèvements obligatoires seront, en effet, stables en 2014, mais on voit bien qu’au sein des prélèvements obligatoires, vous avez les impôts payés par les entreprises et ceux payés par les ménages. Le gouvernement a choisi d’épargner les entreprises mais pas les ménages. Quand il affirme qu’il y aura une « pause fiscale », elle existe bien pour les entreprises, mais pas pour les ménages.

JOL Press : En 2015, peut-on espérer un peu de répit ?
 

Eric Heyer : On ne peut pas savoir. Dans le discours, une « pause fiscale » est effectivement prévue en 2015, mais on ne peut absolument pas le prévoir.

JOL Press : Quel serait, selon vous, le budget idéal en période de crise ?

Eric Heyer : Ce budget 2014 n’est pas un budget de crise. Normalement, un budget de crise, c’est un budget qui vient soutenir la croissance. Ce budget ne soutient pas la croissance, mais la pénalise au contraire, car il vise plutôt à réduire les déficits. Certains disent que réduire les déficits pourrait permettre un retour à la croissance dans 5, 6 ans, c’est discutable. Ce qui est sûr c’est qu’à court terme, ce budget ne permet pas de faire plus de 0,9 % de croissance. Et 0,9 % de croissance, ce n’est pas suffisant pour permettre à l’économie française de créer des emplois et au chômage de baisser.

En basse conjoncture, normalement, les budgets sont, au minimum, neutres sur la croissance, c’est-à-dire qu’il aurait fallu présenter un budget qui n’impacte pas sur la croissance, au mieux, il aurait fallu un budget qui soutienne la croissance. Mais ces budgets-là ne permettent pas de réduire aussi rapidement les déficits. Pour soutenir la croissance, vous ne proposez pas un effort de 18 milliards sur les ménages. Le budget ne doit pas ajouter de la récession à la récession. Cette accélération de la réduction des déficits va entraîner immanquablement des destructions d’emplois.

JOL Press : Une hausse du chômage est donc à prévoir pour 2014 ?
 

Eric Heyer : Il y aura des destructions d’emplois dans le secteur privé, mais il n’est pas certain que le chômage augmente car, par ailleurs, à court terme, les emplois aidés devraient être massifs et pourraient entraîner une stabilisation du chômage. Une légère baisse est même à prévoir pendant un mois ou deux. Les emplois aidés sont des emplois de court terme qui ne coûtent pas très cher mais qui permettent de sortir les gens du chômage.

JOL Press : Une inversion de la courbe du chômage n’est donc pas envisageable ?
 

Eric Heyer : Qu’il y ait une baisse du chômage dans les prochains mois, je pense que c’est possible, mais qu’elle soit qualifiée de baisse tendancielle, rien n’est moins sûr. La baisse tendancielle n’arrivera que le jour où l’économie française recommencera à créer des emplois. La baisse sera réelle, on ne pourra pas dire qu’elle sera artificielle, mais elle sera sous perfusion. Et le jour où vous choisirez de retirer la perfusion, le chômage repartira… On ne pourra donc pas dire que l’inversion du chômage de ces prochains mois sera une inversion de tendance.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

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