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Pourquoi les islamistes shebab ont-ils frappé le Kenya?

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Les islamistes shebab qui ont mené une attaque dans un centre commercial de Nairobi, au Kenya, disent avoir agi en représailles à l’action kényane en Somalie. Depuis 2011, l’armée kényane agit au sein d’une force africaine sur le territoire somalien en proie à une violente guerre interne.

Un groupe en recul ?

Depuis plusieurs mois pourtant, on disait ce groupe d’islamistes liés à Al-Qaïda et qui a fait allégeance à Oussama Ben Laden en 2006, en net recul et divisé par des querelles internes. Pourtant, cette attaque de grande ampleur et sur un territoire étranger prouve que les islamistes shebab sont plus que jamais actifs et puissants.

« Cet attentat, parce qu’il s’inscrit dans une série d’actions armées depuis le printemps, montre que ce groupe qu’on disait aussi en banqueroute financière, est capable de monter des opérations importantes à l’intérieur de la Somalie mais aussi au Kenya même », explique Roland Marchal, chargé de recherche au CNRS/Ceri et rédacteur en chef de la revue Politique africaine au Nouvel Observateur.

« Depuis la mi-mars, alors que les huit mois précédents avaient été relativement calmes, il y a eu une reprise, quasi quotidienne, des attentats et des assassinats ciblés », indique encore Roland Marchal au Nouvel Observateur.

Attaque inattendue

Pourtant, comme l’explique ce chercheur, une attaque d’une telle ampleur était difficilement prévisible.

« Je crois que tout le monde est surpris », estime Roland Marchal. « Et en premier, les services de renseignements et les ambassades étrangères qui n’ont absolument rien vu venir, ce qui est très inquiétant. Aucun avis de vigilance n’a été lancé. »<!–jolstore–>

Cette attaque et la sanglante prise d’otages semblent être alors le signe d’une réorganisation de ce groupe. Ambitieux, les Shebab ont désormais les moyens de sortir de leur territoire – bien que les attaques sur le territoire kényan ont été fréquentes depuis deux ans – et de mener des actions de grande ampleur.

« Depuis cinq ans, les actions terroristes sont quotidiennes, un peu partout dans les pays de la région où les Shebab exportent leurs opérations », analyse également l’islamologue Mathieu Guidère pour Francetv info. «  Ce qui était au départ une insurrection islamiste est devenu une entreprise terroriste à grande échelle […]. C’est désormais un ensemble très structuré. »

Digne des attentats de Bombay

C’est bien cette violence particulièrement extrême et le bilan des victimes qui attirent l’attention sur cette attaque islamiste. Depuis samedi 21 septembre, les experts n’hésitent d’ailleurs pas à comparer l’attaque de ce centre commercial de luxe de Nairobi avec les attentats de Bombay de 2008 qui avaient fait près de 200 morts.

« À n’en pas douter, cette opération est le modèle suivi par ceux qui sont à Nairobi. Nous sommes face à de très sombres perspectives. C’est d’ores et déjà un bain de sang, ce peut être pire encore », selon Mathieu Guidère.

Pour Marie-Aude Fouéré, directrice adjointe de l’Institut français de recherche en Afrique (IFRA) qui vit à Nairobi, cette attaque peut également être comparée à l’attentat meurtrier de Kampala, survenu pendant la Coupe du monde de football de juillet 2010 dans un restaurant.

« On peut tout à fait faire des rapprochements puisque l’Ouganda participe à la mission de l’Union africaine de maintien de l’ordre et de la sécurité en Somalie », explique-t-elle à RFI. « Donc dans les deux cas, ce sont des formes d’action basées sur la vengeance. »

L’engagement kényan qui a provoqué la colère des islamistes

Cette vengeance semble être l’élément déterminant de cet attentat terroriste. En effet, depuis 2011, les islamistes shebab sont la cible d’une action armée conjointe entre la Somalie, l’Ouganda et le Kenya.

Un des fondements du groupe islamiste – bien que ce fondement soit également un sujet de division – réside dans l’ultranationalisme somalien. Les Shebab combattent fermement toute action étrangère sur le territoire somalien. C’est pour cette raison que les attentats contre les intérêts kényans se sont multipliés depuis 2011, année où l’armée kényane s’est engagée sur le terrain.

« Pendant deux ans, entre 2005 et 2007, ils (les Shebab) ont même mis en œuvre les principes de la charia islamique en Somalie », précise Mathieu Guidère. « La communauté internationale a commencé à réagir il y a un an, en mandatant le Kenya dans le cadre de la force africaine de l’UA (Union africaine) et de la AMISOM (Mission africaine en Somalie) de l’ONU. Sous l’égide du Conseil de sécurité, le Kenya est donc le leader de cette mission d’intervention par la force, avec pas moins de 4 000 hommes. »

« Le Kenya s’est alors impliqué dans la reconquête de l’extrême sud de la Somalie, non seulement en envoyant son armée mais aussi en recrutant des Somalis-Kényans pour constituer des milices. Cela n’a pas eu des effets majeurs, mais ce qui va constituer un détonateur, c’est l’intervention kényane le 15 octobre 2011 dans la zone de Kismayo, reconquise seulement en 2012 », explique également Roland Marchal. « Les dirigeants des islamistes shebab ont été divisés sur la réponse à apporter. Les uns étaient réticents à des représailles […]. Les autres étaient beaucoup plus rigides, plus durs. Ce sont ces derniers qui ont eu gain de cause. »

Que peut désormais faire le Kenya ?

Que peut-il se passer désormais ? C’est la question que se posent ces experts. Le Kenya pourrait-il reculer et changer de politique en Somalie ainsi que l’espèrent les Shebab ?

« Les circonstances politiques sont explosives », estime Mathieu Guidère qui explique notamment que l’intervention militaire des Kényans n’est pas dénuée d’intérêts majeurs et « peut aussi viser à prendre des positions sur une partie du territoire somalien. L’accès à la mer est crucial. »

Néanmoins, ajoute cet expert, le président, qui a eu tendance à braquer les projecteurs sur la Somalie pour cacher la misère de sa propre crise économique, « a maintenant un intérêt directement personnel dans ce dossier. Il a des proches qui ont été tués par les Shebabs dans le centre commercial. Le mélange de tous ces éléments est particulièrement alarmant. »

« On peut penser qu’il va y avoir des actions beaucoup plus agressives de la part du gouvernement kényan et de l’armée kényane dans leur lutte contre le réseau shebab, au nord-est du Kenya et de l’autre côté de la frontière, du côté somalien », observe pour sa part Marie-Aude Fouéré.

Le retrait des troupes kényanes ? Ce n’est pas envisageable, selon cette chercheuse qui affirme qu’entre les Shebab et le Kenya, « on est plutôt dans « l‘œil pour œil, dent pour dent ». »

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