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Que reste-t-il du grand mouvement d’opposition au mariage gay?

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Ecrit par deux journalistes, l’un politique, l’autre culturel, Et la France se réveilla s’appuie sur une enquête fournie. Les auteurs ont suivi depuis sa naissance le mouvement d’opposition au mariage et à l’adoption pour les couples homosexuels, ils ont rencontré ses organisateurs, les hommes et les femmes politiques qui y ont pris part ou l’ont combattu. De la ligne Buisson aux succès de la Droite forte, des hésitations de François Hollande aux provocations de Pierre Bergé, de l’émergence de Frigide Barjot à la naissance des Veilleurs, du rôle de l’Eglise à l’explosion des réseaux sociaux militants, des brimades policières aux condamnations judiciaires, cet essai montre comment une véritable révolution culturelle s’est amorcée autour de la Manif pour tous.

Extraits de Et la France se réveilla Enquête sur la révolution des valeurs, de Raphael Stainville et Vincent Trémolet (Les éditions du Toucan)

« La manif pour rien ? » avait demandé Pascale Clark à Tugdual Derville sur France Inter le lendemain de la manif du 13 janvier. « Tout ça pour ça ! » s’est exclamé Michel Field dans l’indispensable émission Médiapolis sur Europe 1 après le premier mariage gay célébré à Montpellier. Tout ça pour rien ? Ludovine de la Rochère est convaincue du contraire. En témoigne, selon elle, une discrète et réelle victoire, le 4 juin, quand les députés ont rejeté l’amendement sur l’éducation à l’égalité de genre dès le primaire. Xavier Bertrand se fait même offensif sur le sujet : « François Hollande a été contraint de reculer sur la PMA, la GPA, et même la fin de vie. Avec de telles victoires, peut-on parler de mouvement vain ? »

« Il est absurde de parler de défaite, explique Laurent Wauquiez, c’est un épisode décisif de la vie politique qui annonce de grandes victoires. »

[image:2,s]«La France des invisibles est devenue visible, confiait Patrick Buisson au Monde le 8 juin 2013. À travers la Manif pour tous, cette France a accédé à une conscience civique et politique. Nul ne peut mesurer l’impact qu’aura cette révolution culturelle. Nous sommes dans cette phase que décrivait Lénine de politisation de catégories jusque-là réfractaires ou indifférentes à l’égard de la chose publique. » «La question, explique-t-il un mois plus tard, se résume ainsi: quels aspects de la vie sociale doivent être préservés de la marchandisation ? La génération Manif pour tous répond : la vie, les relations humaines, le domaine de la personne. »

À droite, ils sont nombreux à partager cet avis. À analyser ce mouvement comme un mouvement profond, de longue durée. Xavier Bertrand reconnaît qu’il a reçu un nombre de mises en garde sur le thème « comme sur le PACS, la droite s’agite et dira demain qu’elle s’est trompée ». Le député de Picardie réfute la comparaison. « Le procès en ringardise ne tient pas : la filiation, la théorie du genre seront encore au cœur du débat dans quatre ans. » Il a reçu les représentants LMPT pour tenter le comprendre le phénomène. Marine Le Pen, qui est passée complètement à côté du sujet, a fait de même au début du mois de juillet. Nicolas Sarkozy suit le mouvement de près. Hervé Mariton est en contact régulier avec le Collectif.

Laurent Wauquiez assure que l’on assiste à un basculement culturel : « Le rôle de la droite, explique-t-il, n’est pas d’être le notaire d’une soi-disant modernité imposée. Elle doit donner des repères, défendre des valeurs et revenir sur la loi Taubira. » Seul François Fillon semble considérer que ces manifestants voteront pour lui quoi qu’il arrive. Il n’a été d’aucune des manifestations, et le 11 juillet 2013, dans son discours fondateur de La Grande-Motte, seules trois lignes sur dix-huit pages de discours étaient consacrées au mariage pour tous.

Et maintenant ? Éditorialistes, militants, politiques ne cessent depuis le 26 mai et la dernière grande manifestation de poser cette question. Beaucoup déjà ont placé leur espérance dans un mouvement qu’ils n’avaient pas vu venir. Ils voudraient connaître la fin alors que nous en sommes au début de l’histoire ; contempler du balcon les fruits d’une révolution culturelle qui vient simplement d’être amorcée. Ce que nous a rappelé cette année politique et sociale est à l’inverse. Celui qui échafaude des plans confond l’existence avec une partie d’échecs. L’intelligence de la vie étouffe sur un plateau noir et blanc. Elle n’obéit à aucune règle: ses tours peuvent faire des diagonales et ses fous marcher tout droit.

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Vincent Tremolet de Villers est rédacteur en chef du Figaro Hors- Série et du Figaro HistoireRaphaël Stainville est journaliste politique au Figaro Magazine.

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