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Quelle histoire judaïsme, islam et christianisme ont-ils en commun?

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Afin de combattre les idées reçues, une équipe internationale d’historiens et d’anthropologues des religions a mené l’enquête ; dans Dieu, une enquête, ils mettent à disposition de tous la pointe du savoir sur les trois grandes religions monothéistes. Du fervent pratiquant à l’athée convaincu, chacun y trouvera une précieuse source de connaissance et, surtout, matière à reflexion.

Extraits de Dieu, une enquête, sous la direction de Dionigi Albera et Katell Berthelot (Flammarion – 2 octobre 2013)

Une caractéristique singulière des trois religions monothéistes est d’être, les unes envers les autres, dans des rapports non seulement de filiation mais aussi d’interdépendance identitaires. Toutes, en effet, sont héritières d’une même conception inédite, celle d’un Dieu unique, universel, indépendant de la nature, de toutes fonctions et limitations géographiques, essentiellement moral. Ce monothéisme, qui débute avec le « dieu d’Abraham », est le trait commun qui les distingue de toutes les autres formes religieuses. Pourtant, ce trait commun est aussi ce qui a généré leurs tensions différentielles, chacune se réclamant de la même unicité de Dieu tout en se distinguant des autres, mais sans pouvoir non plus tout à fait penser son identité sans faire référence à elles.

Le judaïsme a l’avantage de la primauté. Il débute avec la révélation de Dieu à Moïse, sur le Sinaï, marquant l’Alliance qui unit Israël à son Dieu. Le judaïsme se présente comme la religion d’un peuple, le peuple élu, qui devra jouer le rôle de prêtre et annoncer au monde l’ordre universel révélé par Dieu à Moïse à travers sa parole, la Torah et les dix commandements : « Vous serez pour moi un royaume de prêtres et une nation sainte » (Exode, 19, 4-6). L’Alliance de Dieu avec le peuple élu est conçue comme un mariage dont le cadeau de noces est la Terre sainte. L’engagement mutuel est, pour Dieu d’une part, de continuer à agir dans l’histoire et, pour le peuple élu d’autre part, de ne jamais cesser d’obéir à la Torah. La relation d’alliance s’inscrit par la suite dans une généalogie de révélations faites aux hommes, Dieu s’adressant périodiquement à eux via les prophètes et les rois d’Israël (Samuel, David, Salomon…). C’est pourquoi les notions de révélation et de prophétisme sont si essentielles aux monothéismes ; jusqu’à nos jours, les trois religions se distinguent par les révélations que leurs prophètes auraient reçues de Dieu.

[image:2,s]Le christianisme, directement issu du judaïsme, apparaît avec Jésus et ses disciples, qui songent moins à créer une nouvelle religion qu’à proposer une certaine interprétation de la tradition d’Israël. Jésus est cependant un prophète un peu spécial, dans la mesure où il n’est pas un simple humain mais le fils de Dieu. L’islam, qui apparaît en dernier avec le prophète Muhammad, est lui aussi inscrit dans la filiation des deux précédents. Pas plus que le christianisme il ne prétend fonder une nouvelle religion, mais plutôt donner la dernière version d’une série de révélations données par Dieu à l’humanité, depuis les premiers prophètes (Adam, Noé, Abraham, Isaac, Jacob, Moïse) jusqu’à Muhammad, et en passant par Jésus. Selon l’islam, la révélation divine prend forme dans des livres successifs : la Torah de Moïse, les Psaumes de David, les Évangiles de Jésus, enfin le Coran de Dieu lui-même, chaque livre « confirmant » les précédents (le sens exact de cette confirmation est débattu, certains y voyant une abrogation). Les trois monothéismes ont donc bien entre eux des liens forts, qu’ils n’ont avec aucune autre religion, et dont découlent très directement leurs rivalités.

En ce qui concerne l’islam et le christianisme, leurs regards ont souvent porté sur l’étendue de leurs désaccords plus que sur les croyances qu’ils ont en commun. Fondamentalement, ils diffèrent sur la nature de la révélation de Dieu par le Christ et par Muhammad, c’est-à-dire sur le caractère de la prophétie. L’islam, qui reconnaît plusieurs figures importantes de la Bible dont Abraham, Moïse et même Jésus et Marie, remet en cause l’incarnation de Dieu en Jésus-Christ. Selon l’islam, Jésus ne peut être le fils d’un dieu unique, soit « une unité absolue qui n’a pas conçu et n’a pas été conçue, et n’a point d’égal » (sourate 112, 3-4). Outre la critique adressée aux chrétiens qui voient en Jésus le fils de Dieu, l’islam remet aussi en cause le caractère trinitaire des personnes en Dieu, c’est-à-dire les trois hypostases du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

En Orient, les réactions chrétiennes contre l’islam apparurent très tôt. Saint Jean Damascène (676-749), né seulement une cinquantaine d’années après l’hégire, expose déjà les grandes lignes d’une attitude critique qui deviendra récurrente : le grief principal est celui de la fausse prophétie que Muhammad aurait bâtie de toutes pièces à partir de l’Ancien et du Nouveau Testament qu’on lui aurait enseignés. Cette idée définit l’enjeu de la polémique, qui demeure tenace jusqu’à nos jours, puisqu’on la retrouve dans le discours des prédicateurs évangéliques d’aujourd’hui.

Les chrétiens ont toujours eu la conviction que le prophète Muhammad était un pseudo-prophète, précisément la figure du faux prophète contre laquelle le Christ avait mis en garde. De plus, il était impensable pour les chrétiens que Muhammad remette en question les Écritures, ou qu’il ne s’y réfère qu’en partie et non en totalité. Car s’il admet un certain nombre de choses dans les Écritures, c’est donc qu’elles sont la parole de Dieu et, à ce titre, il n’est pas envisageable d’y opérer une sélection. Cet argument a progressivement conduit à faire du Dieu de Muhammad un véritable diable, et de Muhammad lui-même un antéchrist. En Occident, les relations entre islam et christianisme furent également conflictuelles, mais plus tardivement : il faut attendre les XIe et XIIe siècles pour voir apparaître une littérature hostile reprenant les thèmes critiques développés en Orient.

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