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Qu’impliquerait une renationalisation de la dette publique?

A l’heure actuelle, plus des deux-tiers de la dette publique française sont détenus par des investisseurs étrangers. Si bien que l’idée d’une renationalisation de la dette est régulièrement évoquée. Les partisans de cette solution invoquent la possibilité de retrouver ainsi une certaine indépendance vis-à-vis des marchés financiers. Ses détracteurs dénoncent au contraire le coût d’une telle opération qui serait, selon eux, substantiel et pourrait nuire aux comptes publics. Qu’impliquerait réellement une telle entreprise ? Gunther Capelle-Blancard, économiste, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, répond à nos questions.

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JOL Press: Concrètement, quel est l’avantage pour un pays d’ouvrir sa dette aux investisseurs étrangers ?

Gunther Capelle-Blancard : Avoir une dette ouverte à tous les investisseurs possède un avantage certain : cela diminue le taux auquel vous empruntez. C’est la loi de l’offre et de la demande simplement. Plus vous vous adressez à des investisseurs nombreux et variés, plus la demande de titres est potentiellement importante et plus le taux diminue. Si l’on s’adresse à des investisseurs étrangers, c’est pour emprunter à des taux moins élevés.

JOL Press : Un programme de renationalisation de la dette passerait donc par un taux d’intérêt plus important ?

Gunther Capelle-Blancard : Oui, nécessairement. Si on voulait séduire des investisseurs français et, au fond, le grand public, il faudrait rendre les titres publics plus attractifs. Et avec une épargne qui s’oriente à l’heure actuelle largement vers le livret A, il faudrait certainement proposer un rendement supérieur à ce type de placement.

Aujourd’hui, le taux net du livret A est plus élevé que le taux auquel l’Etat s’endette. Ce placement est également défiscalisé. Au final, il faudrait non seulement proposer un taux sensiblement supérieur à celui du livret A, mais également défiscaliser la détention de titres publics pour les ménages. Ce qui implique naturellement moins de rentrées fiscales.

L’effet revenu lié à cette hausse du taux d’intérêt serait en plus quasi nul. Les investisseurs qui s’orientent vers ces titres actuellement ne le font pas dans une logique de rendement mais plutôt par souci de diversification de portefeuille. Ils gagnent en réalité très peu.

JOL Press : Le fait que la dette française soit détenue aux deux-tiers par des non-résidents engendre-t-il réellement un risque pour la stabilité du pays ?

Gunther Capelle-Blancard : L’inconvénient de la situation actuelle se pose bien en termes de stabilité, mais pour la France, le problème est complexe. Lorsqu’un pays ayant sa propre monnaie a une dette détenue majoritairement par des investisseurs étrangers, il s’expose à un retrait de capitaux et à une crise de change. La logique est différente avec la France puisque nous sommes intégrés dans une zone monétaire.

La vraie question qui se pose, c’est quelle part de notre dette est détenue par des résidents de la zone euro. Et il est vraiment difficile d’apporter une réponse à cette question étant donné qu’il n’y a pas de traçabilité suffisante des capitaux. Ce n’est pas du tout la même chose que notre dette soit détenue par des Européens ou bien par des investisseurs américains ou asiatiques. Certes, deux-tiers de la dette détenue par des non-résidents, c’est important si l’on regarde les statistiques, mais ces non-résidents peuvent parfaitement être italiens ou encore être situés au Luxembourg. On n’a pas de chiffres précis, mais l’essentiel de notre dette est certainement détenue par des Européens.

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la grande particularité de la dette des Etats est qu’elle est intermédiée. Le grand public ne détient pas en direct des obligations. Certains Français détiennent des actions en direct, mais vraiment très peu détiennent des obligations en direct. Cette intermédiation passe notamment par les OPCVM. Et beaucoup de sociétés qui proposent ces produits sont localisées au Luxembourg. Certains résidents français peuvent donc détenir un titre lié à la dette française sans être comptabilisé comme résident.

JOL Press : Comment expliquer la dénationalisation de la dette publique française depuis trente ans ?

Gunther Capelle-Blancard : Il y a plusieurs éléments, par exemple la modernisation de la gestion de la dette publique pour en réduire le coût. Il y a eu aussi le progrès technique, qui a permis aux capitaux de devenir extrêmement mobiles.

Mais cette dénationalisation n’est pas spécifique à la dette publique. La détention par des non-résidents des actions du CAC 40 a aussi très fortement augmenté sur la période. Théoriquement, dans les cours d’université, on explique qu’un bon portefeuille est un portefeuille diversifié. L’évolution obéit donc à des principes économiques forts.

JOL Press : Comment se fait-il qu’un pays comme le Japon n’ait pas connu le même phénomène ?

Gunther Capelle-Blancard : Pour des raisons culturelles tout d’abord. Le système financier japonais est un système profondément différent du système occidental.

Le taux de rotation des titres dans les portefeuilles au Japon est bien moindre. Pour une capitalisation identique, le volume est beaucoup moins important. C’est le signe d’une gestion moins « agressive ». Il n’y a pratiquement pas de Dark Pools, les produits financiers spéculatifs, comme les Credit Default swap (CDS), prennent beaucoup moins. La gestion est vraiment différente. Il y a également un sentiment d’identité nationale extrêmement fort qui entre en ligne de compte.

Mais encore une fois, les chiffres français et japonais ne peuvent pas être réellement comparés. Le Japon a sa propre monnaie alors que de notre côté, nous avons l’euro et sommes intégrés dans une zone monétaire.

On a un vrai sujet de dette publique, mais il n’est pas vraiment dans la détention. Même s’il serait intéressant de voir qui détient vraiment notre dette.

Propos recueillis par rémy Brisson pour JOL Press

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