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Réforme des retraites: au final, personne n’est réellement satisfait

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La réforme des retraites était présentée ce mercredi en Conseil des ministres. « J’ai voulu une réforme juste et responsable qui permette de sauver notre système de retraites par répartition en demandant un effort équitablement réparti entre les actifs, les retraités et les entreprises »,  a expliqué Jean-Marc Ayrault, dans une interview sur le site de Métro. « Nous allongerons la durée de cotisation à partir de 2020 pour tenir compte de l’espérance de vie à la retraite. Mais afin de ne pas pénaliser ceux qui commencent à travailler tôt, nous n’avons pas touché à l’âge légal : il restera à 62 ans, et on pourra liquider au plus tard à 67 ans une retraite à taux plein. Des mesures par ailleurs inédites. »

Dans le détail, quels sont les enjeux de cette réforme ? Eléments de réponses avec Patrice Laroche, auteur de Gérer les relations avec les partenaires sociaux (Dunod). Entretien.

JOL Press : Pensez-vous que cette réforme mobilisera autant que celle d’Éric Woerth en 2010 ?
 

Patrice Laroche : Non, je ne le pense pas. La situation actuelle n’est pas la même qu’en 2010. La réforme d’Eric Woerth n’était soutenue par aucun syndicat. La CFDT, qui aujourd’hui se satisfait de la proposition du gouvernement Ayrault, était en 2010 opposée à la réforme d’Eric Woerth. Et ne parlons pas de la CGT et de FO qui réclamaient le retrait pur et simple de cette réforme.

JOL Press : La faible mobilisation de la dernière manifestation ne tient-elle pas au fait que très peu de personnes se sentent concernées par cette réforme ?
 

Patrice Laroche : Je crois que les salariés sont aujourd’hui à la fois désabusés par le nombre de micro-réformes successives qu’a connu leur régime de retraite et complètement conscients que le système de retraite français est difficile à maintenir à long terme s’il n’y a pas une vraie réforme du système. Il y a donc une forme de résignation chez nos concitoyens, même s’ils sont 67 % à penser que cette réforme n’est pas juste selon un récent sondage BVA.

JOL Press : Selon Jean-Claude Mailly, cette réforme est anti-jeune. Qu’en pensez-vous ?

Patrice Laroche : Jean-Claude Mailly fait référence au fait que la réforme prévoit d’allonger la durée de cotisation, pénalisant plus particulièrement la génération née dans les années 1970. Cette génération va devoir travailler jusqu’à 67 ou 68 ans pour obtenir une retraite à taux plein.

Au regard de l’espérance de vie en bonne santé – qui n’est pas aussi élevée qu’on peut le penser (62 ans pour les hommes) – et des difficultés à garder ou à trouver un emploi après 60 ans, porter la durée de cotisation à 43 ans va conduire les jeunes générations à partir en retraite avec des niveaux de pensions inférieurs à ceux de leurs parents, notamment parce qu’ils ne pourront pas travailler suffisamment longtemps pour obtenir leur pension à taux plein.

JOL Press : Le président du Medef, Pierre Gattaz, a qualifié la réforme des retraites « d’occasion totalement manquée ». « On n’a pas réglé dans le fond les problèmes de financement », dit-il. Qu’en pensez-vous ?
 

Patrice Laroche : Je partage cette analyse. La réforme actuelle ne résoudra pas définitivement le problème du financement des retraites. En même temps, le gouvernement n’a pas souhaité aller plus loin pour ménager les susceptibilités du patronat et celles des syndicats de salariés. Au final, personne n’est réellement satisfait et l’option retenue est une série de « mesurettes » de plus qui ne résoudra certainement pas le problème de fond. La remise à plat du système français avec ses trente-cinq caisses de retraite et ses fameux régimes spéciaux attendra encore.

JOL Press : Peut-on parler d’un échec de la concertation avec les partenaires sociaux ?
 

Patrice Laroche : On ne peut pas parler d’un échec de la concertation. Le gouvernement a, dès le début, associé les partenaires sociaux aux discussions et écouté les arguments et les points de vue de chacun. En revanche, cette concertation a abouti à un projet de réforme a minima qui ne bouleverse pas le système actuel. 

JOL Press : Pourquoi, selon vous, le gouvernement n’est pas allé plus loin ? Par peur de la rue ?
 

Patrice Laroche : Le gouvernement Ayrault a certainement voulu éviter un vaste mouvement social qui aurait pu cristalliser les mécontentements. Le gouvernement Ayrault aurait certainement gagné  à prendre des mesures plus audacieuses, mais il était risqué de se mettre à dos une partie de son électorat en remettant à plat le cas des régimes spéciaux, ou le patronat en rediscutant sa contribution à la cotisation vieillesse, alors que la volonté du gouvernement est de soutenir la compétitivité des entreprises.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Docteur en sciences de gestion, Patrice Laroche est professeur à l’ESCP-Europe et a enseigné dans de nombreuses Universités en France et à l’étranger. Spécialiste des relations sociales en entreprise, il a été chargé de mission au sein du Groupe Alpha (Expert du CE).

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