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Religion et politique en Afrique subsaharienne

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Par Catherine Coquery-Vidrovitch

 

Les sociétés d’Afrique subsaharienne sont connues pour avoir, dans le passé, confondu pouvoir politique et pouvoir religieux, comme l’ont d’ailleurs fait la quasi totalité des pouvoirs jusqu’au XVIIIe siècle environ. Le chef était aussi le garant de la maintenance de son royaume parce qu’il était l’intercesseur de son peuple auprès des ancêtres ; il assurait en somme la liaison entre le monde politique des vivants et le domaine surnaturel qui en régissait l’ordre.

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Cette croyance profonde des religions du terroir (ce qu’on a appelé l’animisme) dans la continuité entre le monde des ancêtres, celui des vivants et celui des générations à venir, faisait partie d’une conception du temps que l’on a considérée comme « cyclique » par opposition au temps linéaire des sociétés occidentales. Bien que ces conceptions aient parfois été schématisées dans le travail des ethnologues, elles contiennent une part de vérité. Un proverbe dit : « Les Africains sont chrétiens-animistes, musulmans-animistes ou animistes-animistes ».

La religion demeure intimement liée au politique, à l’époque contemporaine. Trois exemples en témoignent : les religions du terroir, l’islam et le christianisme.

Les religions du terroir et la « philosophie bantoue »

Les premières recherches sérieuses sur les religions du terroir ont été effectuées par un missionnaire belge, le père Placide Tempels (1906-1977), au Cameroun. Il en a fait un ouvrage encore aujourd’hui considéré comme valable, La philosophie bantoue (Présence africaine, 1947). Tempels y explique qu’il pensait aller évangéliser des païens sauvages : « Je suis venu en Afrique en 1933 comme européen, comme blanc, dans une Afrique colonisée… et surtout en croyant être porteur d’un message divin. J’adoptais cependant des attitudes de blanc, de maître, de Boula Matari (Stanley). Et le message que Dieu me confia m’inspirait des attitudes cléricales, de maître spirituel, de docteur autoritaire, de fonctionnaire religieux, de chef ou de pasteur, vis-à-vis d’ouailles qui n’avaient qu’à écouter, obéir et se taire ».

Or il s’est trouvé devant des hommes comme lui, dont la religion était, comme la sienne, une explication philosophique du monde : « Nous comprenons par culture bantu l’ensemble de pensées et d’aspirations de l’homme bantou (muntu au singulier) [comme on dirait l’homme indo-européen], sa synthèse mentale, son style de vie. Cependant la culture impersonnelle ne nous intéresse pas tellement ; ce qui nous intéresse c’est l’homme concret. Dans cet homme vivant, nous rencontrons celui qui nous confie ses pensées et ses aspirations, ainsi que Celui qui a posé le germe des pensées et des aspirations dans l’âme de cet homme ».

Il s’agit de croyances anciennes. Comme les autres explicatives du monde à l’époque préscientifique : les esprits, le surnaturel, tout nous met en relation avec le monde divin. Les esprits, ce sont, un peu comme les saints de l’islam ou les anges de la religion catholique, des intercesseurs. La grande différence, ce n’est pas la croyance en un dieu unique qui existe aussi en Afrique, mais le Dieu est si inatteignable que l’être humain n’a affaire qu’à des médiateurs. Il ne s’agit pas d’une religion révélée. Elle est donc, par nature, plus tolérante et plus ouverte aux autres : après tout, Jésus ou Mahomet sont aussi des intercesseurs efficaces. Par conséquent, rien n’empêchait de les adopter au même titre que les autres.

Tempels repère dans la philosophe bantoue des qualités en somme perdues par l’Occident, fondées sur trois éléments : d’abord la vie, la vie intense, la vie pleine, la vie forte, la vie totale, l’intensité dans l’être (Senghor a aussi été influencé par Tempels) ; ensuite, la fécondité, la paternité et la maternité, une fécondité grande, intense, totale, non pas seulement physique ; l’union vitale, enfin, avec les autres êtres car « l’isolement nous tue ».

Ensemble, l’homme bantou et lui ont découvert un univers de pensées et d’aspirations profondément humaines. C’est alors que Tempels décrit une « expérience vitale » : il découvre, sous les attitudes occidentales de son comportement, cet être primitif [sic] qui vit aussi en lui, il ressent cette triple aspiration à la vie pleine, à une fécondité profonde et à la communion avec d’autres êtres. C’est l’homme africain qui l’a aidé à se découvrir : « Ce fut une nouvelle joie pour nous deux de découvrir que nous nous ressemblions et que, de plus, nous commencions à nous « rencontrer » jusque dans l’âme […]. Moi qui croyais qu’après avoir découvert la personnalité bantoue j’aurais eu à redevenir le pasteur, le chef, le docteur, désormais maître d’une technique, d’un langage adapté pour “enseigner” le christianisme, je vis tout à coup que dans cette rencontre d’homme à homme, d’âme à âme, d’être à être, nous avions évolué d’une connaissance réciproque à une sympathie, et enfin à l’amour… »

Tempels constate que les religions africaines sont comparables au christianisme ou à l’islam, avec toutes leurs variantes possibles. Alors qu’il s’agissait, comme dans les autres religions, d’une pensée explicative du monde et de soi, les anthropologues arrivés après Tempels ont malheureusement figé cet univers religieux en « guérisseurs » et en « sorciers » et accentué l’usage de pratiques rituelles spécifiques, comme les transes ou l’usage de plantes hallucinogènes (l’usage du chanvre indien est caractéristique du culte Mbwiti au Gabon).

L’animisme, condamné par les colonisateurs et par les missionnaires qui ont cherché à détruire ce qu’ils ont surnommé les « fétiches » (masques et statuettes d’offrandes aux ancêtres), se redéfinit donc aujourd’hui en deux catégories : les guérisseurs et les sorciers. Les deux étaient chargés de guérir les maux de la société qui ont empiré sous la colonisation.

Les guérisseurs veillent à la santé physique, les sorciers à la santé mentale. Leur fonction était similaire. Car, dans les croyances anciennes, la maladie n’était pas due à la contagion ou aux microbes : elle était provoquée par l’action humaine qui passait par le truchement d’un agent spécialisé, le féticheur ou sorcier. Ce dernier était susceptible de malfaisance dans tous les domaines, y compris surnaturel. On ne pouvait le combattre qu’en se conciliant la bienveillance protectrice des ancêtres ; d’où la multiplicité des recours possibles, qui se sont enrichis avec l’apport des religions nouvelles.

Ainsi, les missionnaires américains ont-ils apporté, au début du XXe siècle, les croyances des Adventistes du Septième Jour qui se sont répandues comme une traînée de poudre à partir du moment où les populations, désorganisées par la conquête coloniale, eurent recours au surnaturel. Ces religions mixtes mâtinées de christianisme (ou aussi d’islam) ont pris des noms locaux selon les régions. On les connaît notamment sous le nom d’« Église éthiopienne » en Afrique australe. Plus anciennement, le vaudou a combiné chez les esclaves transportés en Amérique et surtout au Brésil des croyances diverses importées d’Afrique, désignées par des noms différents selon les langues et les lieux : en pays Wolof, en pays Igbo, en pays Yoruba (les orishas). Cela a été un moyen de reconnaissance formidable qui est revenu avec eux à partir du XVIIIe siècle, surtout sur la côte du Bénin, mais aussi ailleurs. Cela reste un instrument de reconnaissance politique et sociale. C’est pourquoi, sous la colonisation également et dans un monde qui leur est globalement plutôt hostile, les Africains demeurent très attachés à cette religion du terroir et à ses cultes divers qui se rencontrent tous sur un point commun : le culte des ancêtres. Ajoutons à cela la fréquence de sociétés secrètes, dont la pratique a facilité l’adoption de sociétés modernes analogues, comme la franc-maçonnerie largement utilisée par les chefs d’État africains aujourd’hui.

Tout ceci reste étroitement imbriqué au fonctionnement des sociétés, à peu près partout en Afrique, le religieux continuant de faire partie de l’univers quotidien. Sorcellerie et pouvoirs magiques, souvent maléfiques, restent imbriqués au pouvoir politique, sous des formes parfois redoutables (sacrifices animaux et parfois humains, pratiques d’empoisonnements quasi-légitimées par la religion et rites magiques divers souvent dangereux, comme les ordalies). Les recherches actuelles sur l’imbrication entre pouvoir et sorcellerie montrent que les deux demeurent liés[1].

L’islam, entre fait urbain minoritaire et religion d’Etat

L’islam a pénétré en Afrique de l’ouest depuis le VIIIe siècle. Il a joué, dans les temps médiévaux, le rôle classique de religion d’État. Mais, pendant longtemps, la culture musulmane est demeurée un fait urbain très minoritaire. L’islam était une religion royale, parce que ce fut, pour les royaumes soudanais médiévaux du Ghana, du Mali ou du Songhaï (du XIe au XVIe siècle), la culture et la langue diplomatiques qui assuraient le contact et le commerce de l’or et des esclaves avec les arabo-musulmans du Maghreb, de l’autre côté des routes transsahariennes. On en a gardé la trace grâce aux manuscrits conservés à Tombouctou, à Agadès ou ailleurs dans les grandes familles maraboutiques, dont la recherche et la conservation ont été entreprises depuis une trentaine d’années. Mais c’est à partir du XVIIe siècle en pays Wolof (Sénégambie occidentale) et seulement au XIXe siècle dans le reste du Sahel, avec la conversion des Peuls jusqu’alors bergers païens, que la religion devient un instrument de révolution politique. Les leaders Peuls se convertissent, provoquant une islamisation populaire foudroyante. C’est le temps de l’essor des grands djihads, ou guerre saintes, lancés par des réformateurs d’envergure qui furent à la fois des religieux érudits et exigeants et des politiques impériaux. El Hadj Omar a fait de grands voyages, il a vécu trois ans à Jérusalem, d’où il a fait trois fois le pèlerinage à la Mecque. Les révolutions djihadistes d’Ousman dan Fodio dans le Nigeria actuel (1800-1810) et d’El Hadj Omar dans l’ouest (à partir des années 1840-1850) ont, à proprement parler par leur impérialisme de conquête, transformé la configuration politique interne. Leurs empires de conquête étaient fondés sur la prise d’esclaves. Cela a pu provoquer l’insurrection des peuple conquis : El Hadj Omar en fut la victime qui mourut en 1856 victime d’une vaste révolte, acculé dans la falaise Dogon de Bandiagara. L’islamisation va se poursuivre vers la zone forestière, mais au XXe siècle seulement ; elle intervient en Côte d’Ivoire entre les deux guerres. Quant au président du Gabon Omar Bongo, devenu el Hadj Bongo, il se convertit à l’islam dans les années 1980 pour des raisons évidemment politiques.

L’islam africain est spécifique. Comme en Asie, les musulmans n’y sont pas des Arabes. C’est un islam confrérique, constitué d’associations religieuses relativement indépendantes, chacune sous la conduite d’un grand marabout. Le cas sénégalais est typique. Les deux principales confréries en sont les Mourides et les Tidjanes (issus de la Tijaniyya créée par El Hadj Omar). Les Tidjanes, dont le khalife général réside au Sénégal, constituent une confrérie numériquement importante, mais dont le rôle politique, assez conservateur, est moindre que celui des Mourides. Ceux-ci descendent du marabout Ahmadou Bamba, qui vécut au début du XXe siècle. La confrérie devint une force politique essentielle lorsque les disciples d’Ahmadou Bamba décidèrent de mettre leurs fidèles à la culture de l’arachide. C’était, sous la période coloniale, la principale exportation du Sénégal. Ils devinrent donc – et sont restés – une force économique essentielle : lorsqu’eut lieu le referendum de 1958 sur la création gaullienne de la Communauté, le vote positif du Sénégal, très hésitant, fut surnommé par les Sénégalais « le oui des marabouts ». La capitale mouride, Touba, grand lieu de pèlerinage, est la deuxième ville du Sénégal, et constitue un véritable État dans l’État.

 L’islam en Afrique subsaharienne été longtemps protégé par un humanisme tolérant dû à son inspiration soufie, prônant le mysticisme plutôt que l’affrontement. C’est sous l‘influence du rigorisme wahhabite importé récemment du Moyen-Orient (guère avant les années 1940-1950) que l’islam subsaharien, rompant avec la pratique séculaire des confréries, a pris parfois, ces derniers temps, des formes rigoristes. Au Sénégal, à 90 % musulman, l’usage du ramadan a tendance à se généraliser alors qu’il y a une vingtaine d’années il était encore peu présent. Les femmes commencent à se voiler, mais souvent seulement dans les grandes occasions et de façon généralement non agressive. Il n’y a encore rien de comparable à l’Égypte où presque toutes sont voilées désormais, car les femmes d’Afrique occidentale, surtout côtière, sont des marchandes, des femmes d’affaires toujours en mouvement.

Jusqu’à il y a peu, il n’y avait guère en Afrique de l’Ouest, sauf au Sahel et encore pas partout, de fondamentalisme musulman. Évidemment cela existait, sous l’influence orientale et aussi en raison de l’action du grand financeur Kadhafi, constructeur de mosquées un peu partout (à Niamey au Niger, mais aussi à Lusaka en Zambie où pourtant, il y a encore 30 ans, les musulmans ne représentaient qu’une faible minorité).

On sait que la situation s’est récemment aggravée. Dans le Nigeria du nord, la menace d’imposition de la charia est régulièrement brandie ou même votée par les provinces. Mais comme elle n’est pas reconnue par le gouvernement fédéral, sauf accident, il y a peu de risque qu’elle soit vraiment appliquée, notamment en ce qui concerne la lapidation des femmes. C’est essentiellement une arme politique anti-Sud, agitée contre les chrétiens. Néanmoins, on n’est jamais à l’abri de conduites locales non contrôlées.

Au Mali, les partisans d’un islam défiguré et intransigeant, fondé sur une charia d’un autre âge auprès de noyaux fondamentalistes sahéliens, ont menacé d’occuper la capitale Bamako. Mais cette situation n’a pas grand-chose à voir avec les événements récents en Afghanistan ou au Pakistan, ni avec la vigueur des djihadistes terroristes qui ont mis l’Algérie à feu et à sang dix années durant. Au Mali, État où la laïcité est garantie par la constitution, l’islam historique dominant (quelque 80 % de la population, Touaregs inclus) demeure un islam ouvert, de tradition sunnite, dit malékite : il propose une doctrine à visée universelle apte à s’adapter aux cultures locales sahéliennes et subsahariennes, qui ne sont ni arabes ni même berbères (sauf les Touaregs). Cet islam reste majoritaire, même si l’on assiste à une tendance d’internationalisation, de la part d’un terrorisme intégriste déterritorialisé en provenance du Golfe qui manipule l’argument religieux à des fins de dictature politique.

Le christianisme : arrivée tardive

À l’exception de l’Éthiopie, le christianisme n’est apparu de bonne heure que dans une région : le royaume du Kongo (dans l’actuel Angola). À leur arrivée dans la seconde moitié du XVe siècle, les Portugais y recherchaient le domaine du prêtre Jean – ce qui s’est avéré une erreur concernant l’ancienne Éthiopie. Ils ont néanmoins obtenu en 1491 la conversion du souverain du Kongo. Celui-ci demanda et obtint des Portugais, dans un premier temps, l’assistance technique dont il avait besoin pour développer son pays (artisans, maçons, enseignants-missionnaires). Tout ceci fut brisé par la traite atlantique des esclaves qui se mit en place au siècle suivant. De ce christianisme ancien, on trouve encore des traces au début du XVIIIe siècle : une sorte de Jeanne d’Arc locale opposée aux Portugais, nommée Kimpa Vita, se fit passer pour la Vierge et créa le mouvement Antonien adonné au culte privilégié de Saint-Antoine. Elle fut brûlée en 1706 comme sorcière par ordre du roi sur l’injonction des missionnaires du lieu qui l’avaient baptisée Béatrice du Congo.

Ailleurs, sauf en Afrique australe, où les missionnaires protestants et parfois catholiques sont intervenus dès le XVIIIe siècle, la grande vague de conversions n’apparaît qu’à la veille immédiate ou au début de la conquête coloniale. Ce fut le cas en Ouganda, où le souverain Ganda se convertit au catholicisme à la veille du protectorat britannique (1890), provoquant une véritable guerre de religion locale entre prétendants au pouvoir, catholiques, protestants et musulmans. De même, les Igbo, au sud-est du Nigeria, se sont convertis au catholicisme (1900), conscients de la promesse de promotion sociale assurée par la nouvelle religion.

Dès les débuts de la colonisation, le christianisme est apparu comme une force politique de promotion sociale et de contestation. Cela est longtemps resté une réalité : la plupart des dirigeants des grands partis politiques de la guerre de libération de l’Angola (MPLA, FNLA, UNITA) se sont connus dans les écoles de mission, souvent protestantes. On reconnaît souvent leur affiliation à tel de ces partis selon leur origine scolaire. Très vite, la contestation coloniale s’est manifestée par la volonté d’Églises noires, fondées par des prédicateurs dont le succès, face à la désorientation des esprits, fut parfois foudroyant. La première vague de ces Églises remonte à la Première Guerre mondiale. De grandes sectes ont été amenées par les missionnaires américains : ainsi les Adventistes du Septième Jour qui ont pris en Afrique australe le nom de Watch Tower. Ce sont surtout des sectes protestantes, et les mouvements portent les noms les plus variés selon les pays. Aujourd’hui, on en trouve partout en Afrique centrale et, plus récemment, occidentale. Ce fut déjà le cas du prédicateur Harris, d’inspiration protestante, dans le sud de la Côte d’Ivoire au début du XXe siècle ; ou encore de Simon Kimbangu au Congo belge dans les années 1930. Celui-ci donna naissance au kimbanguisme, devenu en nombre d’adeptes la deuxième Église chrétienne de RDC. Plus complexe est la genèse du matswanisme : André Matswa était un ancien tirailleur de la Première Guerre mondiale qui entendait créer un mouvement politique de contestation coloniale sous le nom d’« Amicale des Originaires de l’AEF ». Son objectif n’était en rien religieux. Mais il fut poursuivi par l’administration coloniale française pour idées subversives. Il fut déporté en Oubangui-Chari (Centrafrique) où il mourut en 1942 dans des circonstances jugées mystérieuses. L’administration dissimula son lieu d’inhumation pour éviter des troubles. Peine perdue, il n’en fallut pas plus pour que ses partisans se transforment en croyants prônant la promesse de son retour salvateur, sous le nom de matswanisme. La religion, dominante au sud du Congo Brazzaville chez les Lara (ou Bakongo du sud) fut largement utilisée comme arme politique par le premier président du Congo, le prêtre défroqué Fulbert Youlou.

Les versions récentes de ces sectes dites évangélistes ou pentecôtistes deviennent de plus en plus absolutistes ; les adeptes sont dans l’attente mystique de miracles et exigent des conduites aussi strictes, dans leur genre, que celles des musulmans fondamentalistes : exigence permanente de prières collectives, interdiction de tout excès (alcool, danse, sexe) et pratique mystiques de la transe, ce qui s’adapte bien à l’héritage culturel local.

La religiosité populaire au service du pouvoir

Une fois de plus, on constate l’interrelation entre religion et politique. La situation est d’autant plus complexe qu’elle peut concerner n’importe quelle symbiose religieuse, faite de la rencontre et des syncrétismes en mouvements entre religions anciennes et religions importées.

Officiellement, la plupart des États africains sont aujourd’hui laïcs. Mais les gouvernants, on l’a constaté à maintes reprises, n’hésitent pas, pour conforter leur pouvoir, à faire appel à la religiosité populaire qui reste grande quelle que soit la religion. On a pu l’expérimenter récemment en Côte d’Ivoire où l’influence d’une secte pentecôtiste a été démesurée sur l’épouse de l’ex-président Gbagbo qui organisait au palais d’énormes prières collectives pour sauver le régime. On le constate au Nigeria où la dominante chrétienne évangélique (notamment dite de la Deep Church) au sud et la dominante musulmane dont les extrémistes brandissent au nord la charia est une source incessante d’émeutes meurtrières et de conflits politiques.

Ainsi, la symbiose religion et politique en Afrique subsaharienne est une étonnante réalité de l’histoire, renforcée au niveau populaire par le déficit éducatif d’une jeunesse qui, en majorité, est dramatiquement paupérisée. En Afrique comme ailleurs, la prédiction d’André Malraux s’avère juste : le XXIe siècle se révèle être un siècle hyper-religieux dans toutes les classes de la société.

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[1] Peter Gesshiere, Sorcellerie et politique en Afrique. La viande des autres, Paris, Karthala, 2005 / Florence Bernault (éd.), « Pouvoirs sorciers », Politique africaine n° 79, octobre 2000 / Marc Augé, Nkpiti, la rancune et le prophète, Paris, Éditions de l’EHESS, 1990 / Marc Augé et Jean-Pierre Dozon, La cause des prophètes : politique et religion en Afrique contemporaine, Paris, Seuil, 1995.

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