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Résurgence d’une germanophobie en France

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JOL Press : A quel type de germanophobie assiste-t-on aujourd’hui ?
 

Georges Valence : Depuis les conflits mondiaux, un sentiment anti-germanique primaire perdure bien évidemment en France, et ce malgré les cinquante dernières années d’amitié.

Les clichés d’une Allemagne dominatrice et brutale à la fois, persistent et renaissent à chaque génération en Europe. Il ne faut pas oublier que sur mille ans d’histoire, la France et l’Allemagne ont été la plupart du temps en conflit. Ainsi même du temps de la Deuxième croisade, les Français reprochaient déjà aux Allemands leur lourdeur et leur goût de l’ordre.

Depuis sa réunification, l’Allemagne, forte de sa réussite économique et de ses poids démographique et politique, soumet les peuples européens à sa vue. Et du fait de cette hégémonie, la France frustrée perd du terrain sur les scènes européenne et mondiale. De plus la gestion de la crise de la dette et de l’euro par la chancelière allemande Angela Merkel, à la fois dure et égoïste avec les peuples européens surendettés, renforce le sentiment antiallemand.

JOL Press : D’où et de qui provient majoritairement la germanophobie ?
 

Georges Valence : Depuis quelques années on assiste à une résurgence de la germanophobie, notamment dans le Sud de l’Europe et en France. Néanmoins, elle ne concerne pas les mêmes catégories de populations et n’a pas du tout la même ampleur. Alors qu’en Grèce et en Italie, la germanophobie nait d’une préoccupation populaire, en France  elle provient davantage des élites de gauche.

Deux raisons expliquent cela. Le déséquilibre croissant entre la France et l’Allemagne sur le plan économique inquiète et frustre à la fois les hommes et femmes politiques français. Par ailleurs, alors que les élites politiques de droite, encore guidées par le général de Gaulle – qui a notamment signé le Traité de l’Elysée en 1963 avec le chancelier Adenauer -, ne peuvent porter un coup à l’amitié franco-allemande, les élites de gauche peuvent se servir de la germanophobie comme d’un alibi pour cacher leur désarroi face à la crise.

JOL Press : Comment se manifeste la germanophobie aujourd’hui ?
 

Georges Valence : Alors que le couple Merkozy était encore d’actualité, la France et l’Allemagne étaient désignées responsables des plans d’austérité en cascade en Grèce et à Chypre. Ainsi depuis le retrait politique de Nicolas Sarkozy, Angela Merkel est devenue l’unique bourreau des peuples européens. Présente à Athènes le 9 octobre 2012, elle a notamment été accueillie par des dizaines de milliers de manifestants, sous les drapeaux nazis et allemands entremêlés et brûlés dans les rues.

En France, plusieurs responsables du Parti Socialiste, à commencer par Arnaud Montebourg en 2011comparant Angela Merkel au « chancelier de fer », ont fait également preuve d’une germanophobie sans précédent. Il est scandaleux de voir que le quatrième personnage d’Etat – Claude Bartelone, président de l’Assemblée Nationale -, ait évoqué la nécessité « d’une confrontation avec l’Allemagne ».

Par ailleurs, la germanophobie, et outre-Rhin, la gallophobie prospèrent sur le terrain culturel. Malgré les noces d’or du Traité de l’Elysée en 1963 fêtées cette année, les divergences culturelles entre les Français et les Allemands demeurent. La seule véritable réussite de la coopération culturelle franco-allemande à noter, est celle de la chaine de télévision Arte. A cette exception près, les jumelages entre villes françaises et allemandes, l’enseignement réciproque des deux langues dans les écoles des deux pays, ainsi que les secteurs soumis au marché – les films et les livres –, n’ont pas été couronnés du succès exempté.

JOL Press : Comment les Allemands réceptionnent-ils cette montée de la germanophobie, et assiste-t-on, de leur côté, à une montée de la gallophobie ?
 

Georges Valence : Les Allemands n’apprécient bien évidemment pas ces attaques et ces caricatures, d’autant plus lorsque c’est la France, son amie, qui en est l’investigatrice. Berlin, ne souhaitant pas ajouter de l’huile sur le feu, ne réagit officiellement pas.

A l’exception du parti d’extrême-droite Alternative pour l’Allemagne qui souhaite casser l’alliance franco-allemande pour la remplacer par une alliance germano-russe, on ne peut pas dire qu’on assiste à une montée gallophobe outre-Rhin.

Néanmoins, la position de l’Allemagne sur la France a considérablement changé au fil des dernières décennies. Alors qu’après la Seconde Guerre mondiale, elle n’imaginait pas son avenir sans la France comme alliée privilégiée, aujourd’hui, l’Allemagne la considère comme un pays comme un autre. Et cette indifférence a priori sans conséquence, en réalité, ébranle profondément l’équilibre sur lequel l’Europe s’est fondé. On n’utilise d’ailleurs plus outre-Rhin l’expression « couple franco-allemand », impliquant des relations exclusives, lui préférant celle de tandem ou de duo.

JOL Press : Selon vous, quelles sont alors les solutions capables de transcender l’antinomie traditionnelle entre la France et l’Allemagne ?
 

Georges Valence : Il y a deux choses. Tout d’abord, il n’y a qu’une grande volonté politique qui est capable de dominer cette antinomie, et cela de Gaulle et Adenauer l’avaient bien compris.  

De plus, il est nécessaire  que la France comme l’Allemagne s’ajustent. La France se doit de retrouver son rang au sein de l’Union Européenne, et pour cela il est nécessaire qu’elle réduise son déficit public et qu’elle rééquilibre sa balance commerciale. De son côté, l’Allemagne doit comprendre qu’elle ne peut pas agir comme cavalier seul au sein de l’Europe. Elle a en effet besoin économiquement et politiquement parlant de ses partenaires européens, d’autant plus qu’elle fait face au vieillissement de sa population.

Propos recueillis par Carole Sauvage pour JOL Press

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Georges Valence est l’ancien directeur délégué de la rédaction de l’Express, amateur d’histoire et d’économie. Georges Valence, prix Aujourd’hui 1990, est l’auteur d’une dizaine de livres dont, chez Flammarion, des biographies de Thiers, de Haussmann et de VGE. Son dernier en date : Petite histoire de la germanophobie.

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