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Y a-t-il eu dysfonctionnement de l’Etat dans l’affaire Cahuzac?

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Le rapporteur de la commission d’enquête parlementaire sur l’action du gouvernement dans l’affaire Cahuzac, Alain Claeys (PS), a présenté ce mardi 17 septembre aux membres de la commission le plan de son projet de rapport. Le rapport sera à la disposition des membres de la commission les 1er, 2 et 3 octobre, débattu par la commission le 8 octobre et publié le 14 octobre.

Selon Alain Claeys, les auditions n’ont permis de conclure à « aucun dysfonctionnement qui aurait conduit la justice à être ralentie. » « La justice n’a pas été entravée et il y a eu découverte de la réalité », a-t-il indiqué. « Personne ne dit qu’il y a eu entrave à la justice, ce n’est pas la question. Le sujet, c’est le dysfonctionnement de l’Etat », a réagi le député UMP Daniel Fasquelle, membre de la commission parlementaire.

Entretien avec Charles de Courson, président de la commission d’enquête parlementaire qui soutient qu’il y a bien eu dysfonctionnement de l’Etat dans l’affaire Cahuzac.

JOL Press : Dans l’affaire Cahuzac, y a-t-il eu entrave à la justice ?
 

Charles de Courson : Il n’y a pas eu d’entrave à la justice en provenance du gouvernement. La justice a correctement fonctionné, non pas du fait d’une action du gouvernement, mais du dépôt, à la justice, de la fameuse lettre d’Edwy Plenel et de la preuve du compte en Suisse de Jérôme Cahuzac, détenue par Michel Gonelle. Le gouvernement n’y est pour rien, mais n’a pas fait entrave à la justice.

JOL Press : « Affirmer qu’il n’y a pas eu de dysfonctionnement de l’Etat dans cette affaire, ça va faire hurler de rire l’opinion publique », avez-vous déclaré aux journalistes du Lab d’Europe 1. Pouvez-vous vous en expliquer ?
 

Charles de Courson : Il y a eu plusieurs dysfonctionnements dans cette affaire de la part de l’Etat. Le premier dysfonctionnement vient de la présidence de la République car François Hollande a été très bien informé, et très tôt, du potentiel compte en Suisse de Jérôme Cahuzac. Il a très vite connu des preuves et des faisceaux d’indices qui montraient que la probabilité que le ministre du Budget mente était élevée.

Les informations connues du chef de l’Etat sont les suivantes : le 18 décembre, Edwy Plenel, qui s’est présenté devant la commission comme l’un des vieux amis du président, rencontre François Hollande. Par ailleurs, le directeur adjoint de cabinet du président, Alain Zabulon, rentre en contact avec Michel Gonelle, le 15 décembre, qui assure détenir des enregistrements compromettants pour Jérôme Cahuzac. Alain Zabulon part immédiatement rapporter cette information au président. Enfin, Jean-Pierre Mignard, intime du président de la République mais aussi avocat de Mediapart, prévient François Hollande, au tout début de l’affaire, de l’avancée de l’enquête du journal d’Edwy Plenel.

La vraie question n’est donc pas de savoir si le président était au courant, mais pourquoi il n’a rien fait. Pourquoi François Hollande n’a-t-il pas mis fin aux fonctions de Jérôme Cahuzac dès la fin du mois de décembre ? C’est un sujet que le rapporteur Alain Claeys ne veut pas soulever.

JOL Press : Y a-t-il eu d’autres dysfonctionnements dans l’affaire ?
 

Charles de Courson : Les réunions du 5 décembre 2012 et du 16 janvier 2013 à l’Elysées nous ont été dissimulées. Pire, Pierre Moscovici, devant la commission des Finances, a affirmé que le président n’avait jamais eu aucun rôle dans toutes ces affaires. C’est faux.

Le 5 décembre, a eu lieu à l’Elysée une réunion pendant laquelle le président dit à Jérôme Cahuzac : « Si tu es innocent, obtiens un certificat de non-détention de compte à UBS. » Jérôme Cahuzac ne se souvient pas de cette réunion. Il y était pourtant avec le président et le Premier ministre. Il nous a dit cependant qu’il avait fait des démarches pour obtenir ces certificats d’UBS. UBS a refusé avant Noël. Mais Jérôme Cahuzac s’est bien gardé d’en parler à François Hollande, Jean-Marc Ayrault ou Pierre Moscovici. Il a continué à faire croire aux autres membres du gouvernement qu’il était en négociation avec UBS. En fait, il n’avait plus de compte chez UBS depuis 2006, tout avait été transféré à la banque suisse Reyl.

Le 16 janvier, une seconde réunion a eu lieu, en présence cette fois-ci de Pierre Moscovici qui a cherché à nous dissimuler cette réunion. On nous avait affirmé que depuis le 10 décembre, Jérôme Cahuzac ne s’occupait plus de son dossier fiscal, mais que Pierre Moscovici avait pris le relais. Alors on est étonné de découvrir que Jérôme Cahuzac a été associé à cette réunion, pire, il intervient pour demander l’élargissement de la période pendant laquelle on va interroger l’administration fiscale helvétique, puisque dans la convention franco-helvétique on ne peut faire de recherches que sur la période 2010, 2011, 2012. Jérome Cahuzac suggère donc, pour preuve de sa bonne foi, d’élargir les recherches sur la période 2006, 2009. C’est juridiquement possible mais l’argent ayant été transféré avant 2006, il ne prenait aucun risque.

Cette fameuse décision du 16 janvier a été une catastrophe. Une enquête préliminaire pour blanchiment de fraude fiscale a été ouverte, le 8 janvier, par le parquet de Paris pour vérifier si Jérome Cahuzac a détenu un compte en Suisse et le 16, on décide de saisir l’administration fiscale helvétique. Et ce qui n’est pas dit, c’est que la réponse que Pierre Moscovici attend est soumise au secret fiscal, or l’information sort dans la presse : Jérôme Cahuzac est innocent, il n’a pas détenu de compte chez UBS de 2006 à 2012. Qui a parlé ? On l’ignore, mais c’est un dysfonctionnement complet de l’Etat. On peut même parler de tentative de mensonge d’Etat.

JOL press : On parle aussi de dysfonctionnement des services fiscaux français…
 

Charles de Courson : Il y a eu deux dysfonctionnements qui ne sont pas de la responsabilité actuelle puisqu’ils remontent à 2001 et à 2008. Les services fiscaux, à deux reprises, ont eu des informations quant à la détention par Jérôme Cahuzac d’un compte en Suisse. Les deux fois, ces informations n’ont pas débouché. La première fois, à Bordeaux, le chef du bureau n’en a même pas informé son supérieur hiérarchique que nous avons auditionné ; la deuxième fois, l’information est montée jusqu’à Paris, à la direction générale, mais les deux directeurs successifs n’étaient pas au courant. Ces services ont été depuis sanctionnés.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

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