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Zineb: «Dessiner avec Charb la vie de Mahomet pour normaliser l’Islam»

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Charb et Zineb présentent la première bande dessinée au monde qui met en scène la vie de l’ultime messager d’Allah, telle que l’ont rapportée les chroniqueurs musulmans. 

Zineb a reconstitué le parcours terrestre de Mahomet grâce à de longs mois de recherches dans les sources premières islamiques. Charb l’as mis en images au premier degré, le seul humour résidant dans son trait et ses désormais célèbres personnages jaunes.

Il paraît qu’il est interdit de dessiner Mahomet… Zineb répond à cette question et à tant d’autres pour JOL Press.

JOL Press : Quel est l’objectif de cette bande-dessinée « La vie de Mahomet » ?
 

Zineb : L’objectif est, avant tout, pédagogique. Mahomet est une figure de l’Histoire, le fondateur d’une religion. Qu’on le considère comme un prophète ou non – en fonction de là l’où on se place – il est en tout cas une figure historique.

Ici, en France, on ne sait pas grand-chose sur lui, sur sa vie, sur la manière dont il se comportait au quotidien, d’où il vient, dans quelles circonstances il est né… Les enfants connaissent les histoires du petit Jésus mais on ne sait pas grand-chose de Mahomet.

Nous avons souhaité nous contenter de raconter sa vie, de tracer son parcours tel qu’il est relaté par les sources musulmanes – sans rien inventer. Son existence est tellement extraordinaire que nous n’avions pas besoin d’inventer. Nous nous sommes fondés sur des sources exclusivement islamiques et puis j’ai écrit la trame de notre récit – Charb la mettant en dessin avec son trait que tout le monde connait.

JOL Press : Vous revendiquez une fidélité aux sources islamiques. Quelles sont ces sources et comment se fait-il qu’elles ne soient pas davantage connues en Occident et en France, en particulier ?
 

Zineb : Ces sources sont connues par les spécialistes. La sira est la biographie traditionnelle du Prophète qui regroupe à la fois ses actes et ses dires. Tous les ouvrages de la sira qui sont rédigés en langue française se fondent sur des sources en arabe qu’on appelle les « sources premières » ou « biographies canoniques », des récits, une vulgate, compilés relativement tardivement à partir de ce que les compagnons ou, plus largement, les contemporains de Mahomet ont rapporté.

Il y a, par exemple, la sira d’Ali ibn Burhân ad-Dîn al-Halabî (1460-1549) qui est un énorme ouvrage avec différents livres : le livre de sa naissance, le livre de son allaitement, le livre de son oncle… ou encore la sira d’Abû Abd al-Mâlik ibn Hishâm (mort vers 834).

En fait, ce sont des imams ou des chroniqueurs connus dans l’histoire de l’Islam, sur lesquels se fondent aujourd’hui les muftis et les oulémas pour remplir leur devoir d’exégèse.

Or, ces sources-là ne peuvent pas être très connues car elles sont souvent rédigées dans un arabe classique, médiéval.

JOL Press : On peut comparer ces textes aux évangiles de la Bible ?
 

Zineb : Je ne sais pas si c’est exactement comparable. Mais les sira sont des chroniques de chapitres de l’existence de Mahomet. Certaines sont plus exhaustives que d’autres. Ainsi, la sira d’al-Halabî remonte à la cinquième génération le précédant et se poursuit bien au-delà de sa mort.

Mais ces textes sont très difficiles à déchiffrer car avant de pouvoir identifier l’événement à décrypter, on passe par des contextualisations bien compliquées, des paragraphes entiers du type : « d’après untel auquel untel a rapporté… ». C’est ce qu’on appelle en Islam, dans l’exégèse, la chaîne de transmission. C’est cette chaîne de transmission qui permet aux oulémas de vérifier la véracité d’une anecdote ou d’un accomplissement – hadith, une communication orale, un enseignement du Prophète.

Pour la bande dessinée, nous sommes allés à la source de la chronique et ces ouvrages ne sont pas accessibles au grand public. C’est mon travail de recherche, de traduction, de compilation et de vulgarisation. Tout est sourcé dans le livre grâce à des notes de bas de page, surtout lorsque les anecdotes paraissent farfelues.

Nous n’avons rien inventé.

JOL Press : Votre travail de recherche est assez inédit, si je comprends bien. N’avez-vous pas pris de risque de le « galvauder » en l’illustrant de dessins, que certains qualifieront immanquablement de caricatures ?
 

Zineb : Pour moi, ce qui est authentiquement nouveau, c’est le fait d’en faire une bande dessinée. Depuis treize siècles, nombreux sont ceux qui ont travaillé sur ces « sources mères » mais jamais personne n’en a retiré des ouvrages illustrés, simples et accessibles – un ouvrage qui raconte l’histoire de Mahomet comme on la raconterait aux enfants.

JOL Press : Oui, mais, forcément, certains vous diront qu’il est interdit de représenter Mahomet…
 

Zineb : Justement, pour avoir parfaitement étudié les textes sacrés de l’Islam, je peux vous assurer qu’aucun d’entre eux n’interdit de représenter Mahomet, ni qui que ce soit d’ailleurs.

Or, aujourd’hui, c’est un tabou dans l’Islam, un tabou au nom duquel on tue, au nom duquel on menace de mort Charb ou d’autres dessinateurs.

Donc, il était de notre devoir en tant que dessinateur et journaliste de nous battre pour cette liberté d’expression. Nous devions crever un abcès, pousser les limites de la liberté d’expression. Pour moi, qui ai commencé ma carrière journalistique dans un climat dictatorial, celui qui règne au royaume du Maroc, pour m’être heurtée à la censure, aux menaces, aux pressions, je sais à quel point cette liberté d’expression est précieuse et à quel point il est de notre devoir de continuer, en permanence, à pousser ses lignes.

La liberté d’expression n’a pour limites que la déontologie journalistique. Et j’estime donc qu’il n’y pas de raisons pour qu’ici, en France, dans un pays laïque, dans un pays où le délit de blasphème n’existe plus, on n’accepte pas ou on n’entérine pas ce tabou islamique qui consiste à interdire de dessiner Mahomet. Quiconque doit avoir le droit de dessiner Dieu, Mahomet, Jésus, le pape ou vous ou moi.

JOL Press : Vous insistez sur la dimension scientifique de la préparation du scénario. Quelle différence établissez-vous entre la représentation de Mahomet dans cette bande dessinée et dans les caricatures de novembre 2011 ?
 

Zineb : Oui, il y a une différence. Les caricatures étaient issues de la création d’un caricaturiste, de sa vision et de leur commentaire d’une actualité liée aux religions telles qu’elles existent et se vivent en France.

En revanche, cette bande dessinée est un authentique travail pédagogique. Le caricaturiste Charb a fait un travail de dessinateur qui a adapté un texte. La création, la forme, l’aspect qu’il donne à Mahomet résultent d’un tri dans les descriptions disponibles dans les textes islamiques.

Mahomet est décrit petit, jaune. Est-ce que, franchement, Charb ou moi avons l’ambition de prétendre que Mahomet était ainsi ? Évidemment, non. Il avait des traits humains. Le petit bonhomme jaune, c’est évidemment une métaphore. Est-ce que cela aurait été différent si nous avions dessiné Mahomet sous la forme d’une bulle vide ou d’un point d’interrogation ?

Il y a des textes islamiques qui décrivent l’allure physique de Mahomet. Il aurait été de taille moyenne à grande, avait les sourcils joints, un espace entre les dents. Il se serait teint la barbe au henné – une fois qu’il a blanchi – et portait du khôl autour des yeux. On connait la forme de son nez, on sait qu’il avait un grain de beauté sur l’omoplate…

On a essayé de faire figurer certains de ces éléments de nos dessins. Pour autant, nous ne prétendons pas le représenter fidèlement.

JOL Press : Il y avait dans les caricatures de novembre 2011 une dimension sexuelle qui avait pu choquer au-delà même des cercles islamiques et qu’on ne retrouve pas dans cette bande dessinée…
 

Zineb : Nous évoquons, par endroit, la vie conjugale du Prophète… Comme le fait qu’il a épousé une femme de six ans, le fait qu’il a eu à peu près treize épouses. Mais, une fois de plus, nous n’inventons rien. Ces éléments sont dans la chronique de Mahomet. Nous les avons vulgarisés et dessinés.

Nous devons pousser les lignes de la liberté d’expression et dire que représenter Mahomet dans une bande dessinée participe d’une stratégie de normalisation de l’Islam en France. Il y a un Islam en France qui accepte les lois de la République, et qui estime être partie intégrante de la Nation. En France, il y a une tradition de la caricature, de la satire, et je ne vois pas pourquoi Mahomet y échapperait.

JOL Press : Vous avez reçu des menaces ?
 

Zineb : Charb est sous surveillance policière depuis novembre 2011. Moi je n’en ai pas reçues, sans doute parce que je me suis contentée d’écrire et que je ne suis pas celle qui a commis le sacrilège de donner un visage à Mahomet…

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Zineb, sociologue des religions, collabore chaque semaine à Charlie Hebdo.

Charb, directeur de la publication à Charlie Hebdo depuis 2009, est aussi chroniqueur sur LCI et participe régulièrement à Fluide Glacial et à L’Humanité.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press   

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