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«343 salauds»: rien à voir avec le Manifeste de 1971

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JOL Press:  L’intitulé du manifeste fait référence à la pétition « 343 salopes » – dont vous êtes à l’origine – publiée en avril 1971 dans Le Nouvel Observateur, pour dépénaliser l’avortement. Le lien entre les deux est-il indécent selon vous ?
 

Anne Zelensky :  La comparaison avec notre Manifeste de 1971 est inopportune. C’est ce que j’explique dans ma tribune publiée dans Le Monde. Dans notre cas, il s’agissait vraiment d’une libération puisque nous revendiquions la levée d’un interdit : celui de disposer de nos maternités. Dans le cas des 343 salauds, c’est l’inverse : ils demandent à reconduire un asservissement objectif, celui de se prostituer. On ne vend pas son corps impunément. On le fait par contrainte économique surtout. 

JOL Press : Les signataires déclarent dans le texte vouloir  refuser « que des députés édictent des normes sur [leurs] désirs et [leurs] plaisirs », au nom de la liberté, concept que vous abordez dans votre tribune dans Le Monde. La liberté peut-elle parfois devenir l’inverse de ce qu’elle est en engendrant des soumissions et des contraintes ?
 

Anne Zelensky : Oui. On commet un contresens sur le mot « liberté » quand on l’associe avec ce qui relève de la soumission.  Fût-elle volontaire, la soumission est toujours le renoncement à ses propres désirs ou volontés. On peut s’arranger avec sa conscience et se persuader qu’on veut ce qu’on subit. Il n’en reste pas moins qu’on le subit d’abord.

JOL Press : Que répondez-vous à Elisabeth Lévy, la directrice de la rédaction du magazine Causeur qui a déclaré vouloir « emmerder les féministes d’aujourd’hui » ?
 

Anne Zelensky : C’est infantile. C’est son problème, pas celui des féministes. Qu’elle s’interroge donc sur les raisons de cette volonté de les « emmerder ». Il y a différentes sortes de féminismes. A-t-elle seulement compris ce qu’est le féminisme, au-delà des caricatures qu’on en fait ?  Elle qui se dit « esprit libre » ne fait que véhiculer les poncifs les plus éculés sur cette question.

JOL Press : Que pensez-vous des signataires du « Manifeste des salauds » qui réclament le droit à «leur pute» ?
 

Anne Zelensky : Ils doivent beaucoup s’ennuyer pour chercher autant à susciter l’attention. Mais je ne les juge pas sur leurs pratiques.

JOL Press : Vous expliquez dans votre tribune que ce manifeste s’inscrit dans une « guéguerre que se livrent les sexes. » Cette pétition est-elle la marque d’une vengeance des hommes face à la libération des femmes ?
 

Anne Zelensky : Oui. La libération des femmes passe mal pour certains hommes. C’est un vrai bouleversement des relations homme/femme. Il est logique que ça crée des remous. Il y a un moment où il faudra enterrer la hache de guerre et passer à des relations plus apaisées et humaines.

JOL Press: Que pensez-vous de la proposition de loi visant à sanctionner par une amende les clients de prostituées ?
 

Anne Zelensky : Si on se place en termes de justice, il serait équitable de pénaliser les clients autant que les prostituées. Mais peut-on légiférer sur un problème aussi complexe ? Il faut s’attaquer aux réseaux proxénètes, ça oui ! Et travailler en amont sur les mentalités et les relations fille/garçon. Ce sera long.

 

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