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A la table des présidents: «Le syndrome de la tête de veau»

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Gilles Bragard et Christian Roudaut ont recueilli des témoignages des Chefs cuisiniers des palais royaux et présidentiels du monde entier dans le livre Chefs des chefs. Particulièrement riche en anecdotes, l’ouvrage raconte comment certains grands chefs ont pris l’habitude d’appeler leur homologue pour connaitre quel plat ferait le plus plaisir à la personnalité invitée. Cette habitude doit être maniée avec précaution par les chefs cuisiniers, le plat favori pouvant devenir rapidement indigeste s’il lui est servi partout.

Extraits de Chefs des chefs – Gilles Bragard et Christian Roudaut, aux Editions du Moment.

Nul ne l’ignore plus : Nicolas Sarkozy adore le chocolat. Tout le monde le sait et c’est peut-être le problème… Dès que le péché mignon d’un homme d’État est connu, la tendance naturelle de ses  hôtes est de lui en servir à toutes les sauces au risque de lasser. À la fin du repas donné en son honneur au palais de Monaco, l’ancien président français avait chaleureusement remercié le chef Christian Garcia pour sa cuisine et notamment sa symphonie aux deux chocolats. Il avait toutefois cru bon d’ajouter : « Vous savez, je n’aime pas que le chocolat ! » Voulait-il faire passer le message qu’il était temps de lever le pied sur le cacao ?

[image:2,s] L’effet de répétition peut mener à l’indigestion. Jacques Chirac, qui avait l’habitude de répéter (en campagne électorale tout du moins) « Trop d’impôts tuent l’impôt », aurait pu tout aussi bien s’exclamer : « Trop de têtes de veau tuent la tête de veau ! » En effet, à la fin, l’ancien président ne pouvait plus voir en peinture ce plat traditionnel qui avait tant contribué à son image d’homme politique proche du peuple : « La tête de veau ? Il en retrouvait partout. À la fin, il a dit stop, il nous en a fait part. Et après, on diffusait l’information. Nous, à l’Élysée, on ne lui en a servi que deux fois en douze années. Il nous a dit : “Arrêtez avec la tête de veau”», témoigne Bernard Vaussion qui se souvient aussi de ce même phénomène de trop-plein gastronomique avec les pommes, l’emblème de la campagne victorieuse de Jacques Chirac en 1995. Pour éviter ce genre de désagrément, les cuisiniers et les services du protocole préfèrent donc communiquer sur les dislikes du chef de l’État (discrètement toutefois pour ne froisser personne), mais se gardent de claironner ses plats favoris par crainte du trop-plein.

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Christian Roudaut est journaliste-écrivain. Il est notamment l’auteur de Ils sont fous ces anglais, aux Editions de Moment (2012). Il  collabore à M, le magazine du Monde, et à Arte. Ancien reporter politique à Paris, il a été correspondant à Londres pendant douze ans.

Gilles Bragard reconnu comme le couturier des cuisiniers, côtoie les grandes toques de la planète. Fondateur du Club des Chefs des Chefs, qui réunit la plupart des chefs-cuisiniers des chancelleries à travers le monde, il est un observateur très avisé de la gastronomie du pouvoir.

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