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À quoi sert le prix Nobel de la paix?

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Le prix Nobel de la paix, fondé par le Suédois Alfred Nobel, doit revenir, selon son testament rédigé à Paris en 1895, « à la personnalité qui aura le plus ou le mieux contribué au rapprochement  des peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion ou à la propagation des congrès pacifistes ».

Un prix « plus que symbolique »

Chaque année, le prix Nobel de la paix fait l’objet d’une intense couverture médiatique, les uns spéculant sur le prochain lauréat, les autres critiquant le choix définitif du Comité Nobel.

Pour Antoine Jacob, auteur d’une Histoire du prix Nobel, « le fait que les médias du monde entier continuent à lui accorder une attention soutenue, que l’opinion publique se prenne à suivre la chose avec intérêt dans un monde qui cherche quelques repères, et que le prix soit courtisé par des personnalités de premier plan » donne au Nobel de la paix un statut « plus que symbolique ».

Une vision partagée par Jean-Marie Fardeau, directeur du bureau français de l’ONG de défense des droits humains Human Rights Watch, qui estime que « malgré des nominations parfois surprenantes, le prix Nobel de la paix conserve une aura exceptionnelle ».

Les lauréats eux-mêmes bénéficieraient de cette « aura » particulière. Desmond Tutu, prix Nobel de la paix en 1984, aurait même confié un jour au dalaï-lama : « avant, quand j’appelais la Maison Blanche, on ne me passait personne. Depuis [que j’ai reçu le prix Nobel], on me met directement en ligne avec le président ».

Qui peut recevoir le prix Nobel de la paix ?

Dans la longue liste des prix Nobel de la paix accordés depuis 1901, on trouve aussi bien « des pacifistes convaincus (surtout avant la Seconde guerre mondiale), des chefs d’État en exercice ou à la retraite, des diplomates, des militants des droits de l’homme, quelques journalistes engagés, des personnalités agissant au nom de religions (chrétienne avant tout), et même des militaires en exercice, dont certains actes ou décisions ont contribué à apporter la paix », rappelle Antoine Jacob.

Sans oublier les diverses organisations, « alors qu’Alfred Nobel n’avait pourtant pas prévu cette hypothèse dans son testament », qu’elles soient pacifistes, de médecins ou encore d’États, comme cela a été le cas en 2012 lors de l’attribution du prix à l’Union européenne. Une attribution qui avait suscité une vive controverse en pleine crise de l’euro, alors que les pays du sud de l’Europe croulaient sous les politiques d’austérité imposées par la troïka.

Un prix souvent controversé

Pourquoi le prix Nobel de la paix est-il en effet si controversé ? De Kissinger en 1973 à l’Union européenne en 2012, en passant par Sadate, Arafat, Carter ou Obama, l’attribution de la prestigieuse distinction a souvent été l’objet de polémiques.

« Les décisions sont prises à Oslo par un petit groupe de Norvégiens discrètement conseillés par quelques historiens, professeurs de sciences politiques ou anthropologues, eux aussi norvégiens », rappelle Antoine Jacob. « Au fil des décennies, ces Norvégiens ont estimé que leurs choix auraient correspondu à la volonté d’Alfred Nobel s’il avait été encore vivant ».

Ainsi, parce que le prix est subjectif et qu’il touche généralement à la politique mondiale, certains contestent les choix du Comité Nobel, régulièrement accusé de partialité idéologique. « Pendant la Guerre froide, par exemple, les Norvégiens ont implicitement pris parti pour le camp occidental face à l’Est communiste », ajoute Antoine Jacob.

Jean-Marie Fardeau estime de son côté que le prix est controversé « à chaque fois qu’il est attribué à un responsable politique pour une action ou une posture qu’il a eue à un moment donné, ou un rôle qu’il a joué dans un processus de paix particulier », alors que cette même personne a pu avoir des positions ambigües en matière de promotion de la paix à d’autres moments de sa vie.

908 000 euros… et la notoriété

Depuis 2012, le montant du chèque remis au lauréat a été rabaissé à huit millions de couronnes suédoises au lieu de dix millions – crise économique oblige – ce qui représente néanmoins 908 000 euros, une somme généralement reversée à des associations ou à des fondations œuvrant pour la paix. La récompense permet ainsi d’encourager le lauréat à poursuivre son combat pour la promotion de la paix. Certains, comme Mère Teresa, ont ainsi investi des millions de dollars pour aider les plus démunis.

Outre l’apport matériel, le prix Nobel est aussi vécu comme une consécration par celles et ceux qui le reçoivent, un encouragement pour leur vie future. « C’est un visa de légitimité de leurs actions pour les années à venir », résume Jean-Marie Fardeau. « Pour Aung San Suu Kyi [prix Nobel 1991], cela a pu lui permettre d’être très légitime dans son combat contre la junte birmane », ajoute-t-il.

Mais le prix peut aussi donner « des obligations » au lauréat, ou « une responsabilité plus grande à devoir agir selon des principes conformes à ce qu’on attend d’un lauréat Nobel », indique Antoine Jacob. « Pour Barack Obama par exemple, récompensé en 2009, dix mois à peine après avoir pris ses fonctions à la Maison-Blanche, le prix s’est avéré être un cadeau empoisonné ».

La mort, seul obstacle au Nobel

Quant à savoir si l’âge est un obstacle au prix Nobel, d’après les statuts de la Fondation, il n’est jamais trop tôt pour recevoir le prix. En encourageant le lauréat à poursuivre son combat, cela pourrait même être bénéfique pour lui, le prix servant alors de « caisse de résonance » à son action.

Si le prix Nobel de la paix 2013 est attribué à Malala, jeune pakistanaise de 16 ans militant pour le droit des filles à l’éducation, elle deviendrait alors la plus jeune lauréate de l’histoire du prix, rappelle Antoine Jacob, qui conclut qu’« un seul obstacle – de taille – empêche de recevoir le prix : la mort. Il ne peut être attribué post mortem ».

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Antoine Jacob est journaliste et auteur du livre Histoire du Prix Nobel, éditions François Bourin, 2012. Il couvre les pays baltes et nordiques en indépendant depuis janvier 2007, après l’avoir fait pour Le Monde pendant six ans. Il tient également le blog « Nordiques et baltes ».

Jean-Marie Fardeau est directeur du bureau français de l’ONG de défense des droits humains Human Rights Watch.

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