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Affaire du Carlton: comment DSK a-t-il été impliqué?

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L’affaire aurait pu être banale : le dossier du Carlton, cette enquête de proxénétisme hôtelier qui a éclaté à Lille à l’automne 2011 avait pour principal accusé René Kojfer, un septuagénaire chargé de relations publiques. Pourtant, les enquêteurs et les magistrats chargés de l’instruction ont vite sorti du chapeau un nouveau protagoniste : Dominique Strauss-Kahn ! Au point d’éclipser René Kojfer, de déplacer l’enquête sur le Carlton vers les activités libertines de DSK, selon les propres termes de l’ancien ministre, ailleurs que dans cet hôtel où il n’a jamais mis les pieds.

Quelles charges contient réellement le dossier d’instruction ? Une seule certitude : il nous plonge dans des eaux troubles, où il est nécessaire de faire la part des choses entre une fascination devant des pratiques sexuelles particulières et l’interrogation sur leur possible instrumentalisation politique.

Extraits de Carlton, Le dossier X de DSK, de Martin Leprince et René Kojfer (Jacob Duvernet – 8 octobre 2013)

Revenons en 2011. Le 14 mai, alors que René Kojfer est toujours sur écoute, Dominique Strauss- Kahn est interpellé à New York pour l’affaire du Sofitel. L’arrestation fait l’effet d’une bombe médiatique, les chaînes d’information multiplient les éditions spéciales, tout le monde ne parle plus que de ce scandale. Le lendemain, le 15 mai, dans la matinée, Kojfer discute au téléphone avec un ami d’enfance devenu médecin. Évidemment, ils évoquent l’affaire.

— Kojfer : Je le connais DSK, enfin je le connais parce que je… euh, je connais ses réactions, mais bon c’est un…

— L’ami : T’es un fournisseur, on m’a dit que t’es un fournisseur…

— Kojfer : Une fille ou deux je lui ai… peu importe, mais je vais te dire un truc, bon c’est son truc, mais aller jusque-là …»

René Kojfer soutiendra qu’il s’agissait d’une plaisanterie. Qu’est-ce qui lui a pris ce jour-là de prétendre qu’il connaissait Strauss-Kahn ? Kojfer affirme qu’il ne l’a jamais rencontré et qu’il ne s’est jamais trouvé dans la même pièce que lui. Quant à lui « fournir » des filles, il plaide depuis toujours que c’est faux. Avoir mis David Roquet en contact avec Béa serait le seul lien – très indirect – qui existe entre DSK et lui. Reste qu’il a bien prononcé ces mots au téléphone. Les flics qui l’écoutaient ont dû tomber de leur chaise. En plus, il a fallu qu’il en rajoute plusieurs couches ! Ce même jour, dans l’après-midi, Kojfer s’entretient avec Dodo au téléphone. Là encore, ils évoquent l’affaire.

— Dodo : T’as vu Strauss-Kahn ?

— Kojfer : J’suis au courant. J’ai vu le commissaire Lagarde qui venait de le quitter avant-hier soir. Parce que c’est son pote. Il était à Washington avec lui.

— Dodo : Ouais.

— Kojfer : Et il lui a ramenée et puis voilà.

Puis :

— Dodo : Tu sais quand je lui avais ramené des filles, tu te souviens ?

— Kojfer : Je sais.

— Dodo : Il avait voulu baiser Béa dans les toilettes, d’ailleurs en force.

— Kojfer : C’est un gros cochon, il est pire que moi.

Pour la seconde fois de la journée, les policiers chargés des écoutes ont dû sabler le champagne. Avec ces quelques échanges, ils pensaient cette fois détenir la « preuve » d’un lien entre l’ancien patron du FMI et un proxénète notoire, avec Kojfer au milieu. Une autre fois, après avoir lu dans la presse que l’avocat de Nafissatou Diallo cherchait des témoignages français sur l’attitude de Strauss-Kahn, René Kojfer a appelé Dodo en lui disant « Tu as vu ? Il y a de l’argent à gagner si tu racontes l’histoire de Béa à l’avocat américain ».

[image:2,s]Selon lui, c’était juste une blague. Il a même dit la même chose à un ami flic pour plaisanter, prétendant qu’il connaissait deux filles qui seraient prêtes à témoigner contre DSK. Une autre fois encore, à un second ami flic, il a raconté ce que Béa lui avait relaté sur l’altercation au restaurant avec DSK.

Plusieurs fois, au cours de cette période, Kojfer s’est vanté au téléphone de connaître « un peu » Strauss-Kahn. Selon ses relations, Kojfer avait l’habitude de s’inventer une proximité avec des personnalités. D’ailleurs, lors des écoutes, certains de ses amis se moquaient de lui : « Fais gaffe, il paraît que le FBI est sur toi parce que t’as ramené Strauss-Kahn chez Dodo ! » Y avait-il un fond de véracité dans ses propos ? L’instruction a démontré que Kojfer n’avait jamais rencontré DSK ni servi d’intermédiaire entre lui et les prostituées, à l’exception de l’épisode du restaurant L’Aventure.

Au-delà des vantardises, René Kojfer a involontairement fourni des informations à la police. Dans une autre conversation sur DSK avec un ami, le 23 mai 2011, il lâchait à propos du commissaire Jean-Christophe Lagarde : « C’est surtout le pote à Strauss-Kahn ». Dans une conversation avec Dodo, trois jours plus tard, il évoquait encore la relation entre Lagarde et DSK. Il dit simplement : « Strauss-Kahn, c’est problématique pour lui ». Dodo répond : « Ben ouais, je sais ». Rien de plus, mais c’était suffisant. Est-ce réellement par son intermédiaire que les enquêteurs ont fait un lien entre Dominique Strauss-Kahn et Jean- Christophe Lagarde ? « Officiellement », oui.

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Martin Leprince, journaliste, est l’auteur de Rose Mafia, l’enquête et du Roman de la promotion Voltaire (Editions Jacob-Duvernet). René Kojfer, mis en examen dans cette affaire, est un témoin central de ce livre. Il était en charge des relations publiques de l’hôtel Carlton de Lille.

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