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Affaire Leonarda: la gauche a mis en lumière ses contradictions

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L’arrestation et l’expulsion de la collégienne kosovare de 15 ans, Leonarda, le 9 octobre, au cours d’une sortie scolaire, a provoqué beaucoup d’agitation à gauche.« Faire descendre d’un bus par les forces de l’ordre une élève devant l’ensemble de ses camarades de classe est insupportable et inacceptable », a estimé le porte-parole du Parti socialiste, David Assouline. Quant au président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, son idignation a fait du bruit sur Twitter : « Il y a des valeurs avec lesquelles la gauche ne saurait transiger. Sous peine de perdre son âme », a-t-il écrit.

Pour Nathalie Kosciusko-Morizet, candidate UMP à la mairie de Paris, « ce n’est plus le Parti socialiste, c’est le parti schizophrène. » La gauche a-t-elle, en effet, deux visages ? Change-t-elle d’avis et de politique selon qu’elle se trouve dans l’opposition ou au gouvernement ? Eléments de réponses avec le journaliste et écrivain André Bercoff. Entretien.

JOL Press : La gauche est-elle victime de la « dictature de l’émotion », pour reprendre les mots de Jean-Pierre Chevènement ?

André Bercoff : La gauche n’est pas victime de la « dictature de l’émotion », mais d’un conflit entre des valeurs, une posture et une attitude. Comment voulez-vous passer, en deux ans, de dénonciateur acharné de la politique de Nicolas Sarkozy vis-à-vis des Roms, à acteur de cette même politique ?

La gauche de gouvernement devient gestionnaire de la réalité, Manuel Valls, en prenant une attitude autoritaire et sécuritaire, grimpe dans les sondages et de nouvelles questions se posent. Y a-t-il des victimes de gauche et des victimes de droite ? L’expulsion est-elle un crime quand elle est de droite et une nécessité quand elle est de gauche ? Tout cela est teinté d’une très grande hypocrisie.

Au-delà des Roms, la question qui est posée à la gauche est celle de l’immigration. Tous, de droite, comme de gauche, s’accordent pour dire qu’il faut contrôler cette immigration, mais la gauche est rattrapée par sa culture d’accueil et de générosité. Dans une période touchée aussi violemment par le chômage et les impôts, que faire ?

JOL Press : NKM parle de « schizophrénie du PS ». Existe-t-il une gauche du réel et une gauche des valeurs ?

André Bercoff : Le problème n’est pas la schizophrénie mais la contradiction qui existe à gauche. Quand elle est dans l’opposition, tout ce qui se décide sur l’immigration a une connotation raciste et les allusions à la déportation ne manquent pas, mais quand elle est au gouvernement, la gauche doit gérer un certain nombre de réalités. Il existe un vrai débat au sein de la gauche, qui n’a pas été réglé, entre la gauche sociale-démocrate et sécuritaire, et la gauche des valeurs et des idées. L’affaire Leonarda n’a fait que mettre en lumière cette contradiction interne.

JOL Press : « Il y a la loi. Mais il y a aussi des valeurs avec lesquelles la Gauche ne saurait transiger. Sous peine de perdre son âme », a commenté le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone. N’est-ce pas lourd de sens d’un point de vue républicain, de la part du numéro quatre de l’Etat ?

André Bercoff : Quand Claude Bartolone insinue que les valeurs doivent passer au-dessus de la loi, il ne se rend pas compte de ce qu’il dit, sinon, les maires qui refusent le mariage pour tous auraient tout à fait raison. C’est extrêmement grave d’affirmer une chose pareille. Tout cela révèle un « deux poids, deux mesure ». Que vont retenir les Français dans cette affaire ? « Faites c’que j’dis, pas c’que j’fais » ? Ce climat délétère aura des conséquences graves, car mettre les valeurs au-dessus de la loi, c’est une invitation à la désobéissance civile.

JOL Press : Quelles peuvent-être les conséquences de cette affaire ?

André Bercoff : Si Leonarda revient, sa famille revient, et demain, il deviendra extrêmement difficile d’expulser qui que ce soit : à la prochaine expulsion, vous aurez toutes les associations de défense des sans-papiers qui se feront entendre. Si le gouvernement décide d’en rester là, il y aura une explication de fond au sein de la gauche, mais cette discussion aurait dû avoir lieu il y a déjà bien longtemps.

JOL Press : Comment expliquer le malaise de la gauche sur ces questions-là ?

André Bercoff : La gauche a l’image, depuis 30 ou 40 ans, du rempart contre le racisme et l’exclusion. C’est une posture, car les élus socialistes savent très bien que la France ne peut « accueillir toute la misère du monde », pour reprendre les mots de Michel Rocard. Ce discours a fonctionné jusque-là mais quand, aujourd’hui, des pans entiers de la société française voient leurs impôts augmenter et leurs salaires stagner, quand le chômage dépasse chaque mois des records, comment voulez-vous tenir un discours audible sur l’accueil de la misère ? Les Français se posent des questions. Orwell parlait de « décence commune »

JOL Press : N’est-ce pas, comme l’expliquait Jean-Pierre Chevènement, Marine Le Pen qui, encore une fois, va sortir gagnante de cette affaire ?

André Bercoff : C’est évident ! Le crime aujourd’hui de la gauche, c’est de laisser une partie du bon sens à Marine Le Pen. Le jour où la fondation Terra Nova, un des think tank du PS, a considéré que pour gagner en 2012, la gauche ne devait pas « chercher à restaurer sa coalition historique de classe » car les ouvriers n’étaient « plus le cœur du vote de gauche », la gauche est passée à côté de son électorat. Et c’est très grave. La gauche doit avant tout s’occuper des siens, avant de penser à accueillir tout le monde. C’est une fuite en avant. La gauche a délaissé une partie du peuple qui se tourne désormais vers le FN.

JOL Press : Que doit faire François Hollande pour calmer les esprits et rester crédible ?

André Bercoff : Il faut que François Hollande apprenne à trancher. Tout cela devient grotesque et cacophonique. C’est au président de la République de montrer la direction et d’assumer sa politique.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

André Bercoff est écrivain, journaliste et homme de télévision. Depuis son livre, L’Autre France, en 1975, il est l’auteur d’une trentaine de romans et d’essais, dont Qui choisir (2012 – First éditions) ou Moi, Président… (2013 – First éditions).

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