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Aide médicale d’État: quand la solidarité nationale atteint ses limites

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La santé n’a pas de prix. En revanche, elle a un coût. Explosion des dépenses de santé, gaspillages absurdes, lobby des labos, dégradation de la médecine libérale, hôpital public en détresse, inadéquation des politiques de santé… Le système de santé français, réputé dans le monde entier, est victime de son succès.

D’un côté, la médecine à cent vitesses voit les déserts médicaux avancer et le coût des mutuelles grimper, incitant les patients à se tourner de plus en plus vers les urgences des hôpitaux ou à renoncer à se soigner. De l’autre, les marchands de santé, au premier rang desquels les firmes pharmaceutiques acoquinées au pouvoir politique, génèrent toujours plus de profits. Le pays s’enlise et aucune réforme ne parvient à endiguer la lente dégradation qui ronge notre modèle social. Au plus près des failles de ce système, ce livre tire le signal d’alarme. France, attention danger, ton système de santé te tue.

Extraits de Santé, le grand fiasco, de Véronique Vasseur et Clémence Thévenot (Flammarion – 25 septembre 2013)

L’aide médicale d’État (AME) est accordée aux personnes étrangères, non européennes, en situation irrégulière, résidant en France (la moitié vit à Paris et en Seine-Saint-Denis) depuis plus de trois mois de façon ininterrompue, et disposant de ressources inférieures à 661 euros par mois. En pratique, le délai est nettement plus long, étant donné les démarches administratives. Globalement, il s’agit donc de sans-papiers qui travaillent illégalement et dont les ressources sont invérifiables.

Ainsi, des contrôles réalisés en 2011 par 106 caisses primaires d’assurance maladie sur un échantillon de 7,58 % des bénéficiaires de l’AME ont permis de déterminer que 51 % d’entre eux avaient fait de fausses déclarations de ressources. De fait, comment avoir une évaluation réelle des revenus quand les gens n’ont pas le droit de travailler, sauf à travailler au noir ? Quelle est, en outre, la logique qui autorise des personnes fragilisées à uniquement se soigner, mais pas à travailler ou se loger dignement ?

Les étrangers en situation irrégulière n’ayant pas d’adresse fixe, ils évitent de fournir des attestations d’hébergement (créant notamment un risque pour l’hébergeur qui accueille des clandestins). Beaucoup demandent, d’ailleurs, des domiciliations dans des associations agréées qui leur réclament, par dossier, entre 80 et 150 euros.

[image:2,s]Selon les chiffres, 220 000 bénéficiaires de l’aide médicale d’État peuvent se faire soigner gratuitement en France grâce à une prise en charge à 100 % des soins médicaux et d’hospitalisation en cas de maladie ou de maternité, dans la limite des tarifs de la Sécurité sociale, sans avance de frais. Répondant à des considérations autant éthiques que sanitaires (particulièrement en cas de maladies contagieuses), l’AME apporte aide et soins aux immigrés même illégalement installés sur le territoire français.

Généreux à l’instar du modèle social français dans son ensemble, le dispositif de l’AME semble, en revanche, plus difficile à étudier d’un point de vue économique. Le coût, 609 millions d’euros dépensés en 2011, est important mais délicat à réduire. L’analyse du dispositif, et notamment de ses abus, reste un sujet tabou en France.

Les associations humanitaires sont sur le qui-vive et les ministères comparent sa remise en question à un suicide électoral. On peut se permettre de dérembourser des médicaments, mais toucher à l’AME, c’est écorner un symbole français, celui de la solidarité nationale. Résultat, les budgets sont reconduits d’année en année. Avec une facture de plus en plus salée, les dépenses de l’AME ayant connu une forte montée en charge depuis la création du dispositif. Entre 2002 et 2011, celles-ci sont passées de 377 à 609 millions d’euros, soit une progression de plus de 60 %. Le budget alloué en 2012, de l’ordre de 588 millions d’euros, sera reconduit pour 2013 mais largement dépassé[1]. Ironie du sort, le coût du bouclier fiscal coûte- rait globalement la même chose. Mais impossible d’aborder le sujet. Certains n’hésitent pas à parler de « terrorisme intellectuel autour de ce dossier[2] ».

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Dr Véronique Vasseur, médecin à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, a publié Médecin-chef à la prison de la Santé en 2000, grand succès de librairie. Clémence Thévenot est journaliste, ancienne rédactrice en chef du magazine Culture Droit.

[1] L’État, qui est censé rembourser à la Sécurité sociale les dépenses liées à l’AME, a contracté une dette vis-à-vis de celle-ci de 920 millions d’euros à la fin de l’année 2006 (remboursée en 2007), puis de 278 millions en 2008 et encore de 83 millions fin 2010.

[2] À l’instar du député UMP Claude Goasguen, dans « Aide médicale d’État : ces vérités qui dérangent », le Figaro.fr, édition santé, 9 octobre 2010.

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