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Attaques de drones américains: le Pakistan joue-t-il un double jeu?

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Nawaz Sharif, Premier ministre pakistanais, était en visite officielle aux Etats-Unis cette semaine. Lors d’une entrevue avec le président américain, le chef du gouvernement pakistanais, nommé en mai dernier après avoir remporté les élections législatives, a expressément demandé aux Etats-Unis de mettre un terme aux tirs de drones américains sur son pays.

Les frappes américaines doivent cesser

La demande était solennelle et pourrait bien, si elle est acceptée et mise en pratique par les Etats-Unis, réchauffer les relations entre les deux pays. Relations qui se sont durement refroidies depuis 2011, lorsque les Etats-Unis ont mené un raid conduisant à la mort du leader d’Al-Qaïda de l’époque, Oussama Ben Laden.

Pressé de retrouver sa souveraineté, le Pakistan espère bien se débarrasser désormais des opérations d’un allié encombrant.

C’est dans le bureau ovale du président américain que les deux hommes se sont rencontrés. À l’issue de cette entrevue, le Premier ministre pakistanais a déclaré à des journalistes avoir « évoqué la question des drones […] en insistant sur la nécessité de mettre fin à de telles frappes. »

Devant la presse, Barack Obama s’est montré pour sa part beaucoup plus discret, réaffirmant néanmoins, s’il le fallait, que les relations entre le Pakistan et les Etats-Unis sont « fondées sur les principes du respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale. »

Crimes de guerres américains

Les tirs de drones sont, au Pakistan, un enjeu de sécurité nationale. En effet, depuis 2004, entre 2 000 et 4 700 personnes, pour la plupart civils, ont été tués au cours de 300 tirs de drones américains.

Selon un rapport d’Amnesty International, publié à l’occasion de cette visite, l’ONG témoigne de ces attaques dont le nombre de victimes civiles ne fait qu’augmenter.

« Dans notre rapport, nous montrons que sur 45 des frappes commises entre janvier 2012 et juillet 2013, il apparaît clairement qu’un certain nombre ont directement touché des civils. Nous avons notamment rapporté le cas d’une grand-mère de 68 ans tuée par des tirs de missiles. Il y a également eu le cas de 18 ouvriers massacrés à coups de missiles lancés par des drones », explique à JOL Press Aymeric Elluin, chargé de campagne Armes et impunité pour Amnesty International France, qui qualifie ces attaques de « crimes de guerre. »

« Il y a un problème d’identification des cibles et cela correspond à l’idée que se font les Américains de la dénomination « cible ». Ils utilisent le concept de signature strike qui consiste à dire : « Si vous avez un comportement se rapprochant plus ou moins d’un comportement dangereux pour la sécurité nationale américaine, nous vous éliminons. » Le problème, c’est que ce concept ne tient pas la route, leur agissement est absolument contraire au droit international », explique-t-il encore.

Et si Nawaz Sharif tenait un double discours ?

Pour le moment, aucun accord n’a été signé entre les deux pays et les bonnes résolutions américaines, si elles sont évoquées, ne restent qu’à l’état de paroles lancées à l’adresse du Premier ministre.

Et si cet accord ne venait jamais ? C’est ce que sous-entendait cette semaine le Washington Post dans un article publié au lendemain de la visite de Nawaz Sharif aux Etats-Unis.

S’appuyant sur une série de documents secrets, le quotidien américain a révélé l’existence de notes de service montrant que la CIA, qui ordonne l’envoi de ces drones, partage régulièrement les informations relatives aux missions américaines avec le Pakistan.

De là à penser que le Premier ministre approuverait ces opérations, il n’y a qu’un pas. Selon ces mêmes documents, au moins 65 missions auraient été menées à la suite de discussions entre les deux pays. En 2010, une opération aurait même été menée à la demande du Pakistan. En témoigne l’expression « à la demande de votre gouvernement », écrite sur un des documents.

La justice pakistanaise fait pression

Dans son rapport, Amnesty International met également en lumière cette ambiguïté du discours pakistanais.

Le Pakistan est « soupçonné d’avoir collaboré à un certain nombre de frappes, le pays étant en guerre contre plusieurs groupes armés », explique encore Aymeric Elluin. « Par ailleurs, le gouvernement n’a jamais rien fait pour venir en aide aux victimes de frappes. Les proches des victimes n’ont pas accès à la justice et n’obtiennent pas réparation. »

Cependant, la justice pakistanaise semble tenter de son côté de mettre les autorités face à ces contradictions pour les inciter à avoir une position claire vis-à-vis des Etats-Unis.

« La cour de Peshawar [au nord du Pakistan] a récemment dénoncé par une décision ces attaques de drones qui sont une ingérence dans l’espace aérien pakistanais, et a également appelé le gouvernement pakistanais à agir auprès des Etats-Unis pour que ces frappes cessent », indique Aymeric Elluin. 

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