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Attaques de drones au Pakistan: les Etats-Unis «jouent» à la guerre

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JOL Press : Quel est l’avantage, pour l’armée américaine, d’utiliser de tels appareils ?
 

Aymeric Elluin : Dans l’idéal américain, ce sont des appareils censés porter le conflit loin du champ de bataille, sans engager ses propres troupes. C’est l’objectif du « zéro mort » que les Etats-Unis appliquent à leurs troupes et pas à celles du champ de bataille, puisque celui-ci est jonché du corps de civils innocents.

Dans notre rapport, nous montrons que sur 45 des frappes commises entre janvier 2012 et juillet 2013, il apparaît clairement qu’un certain nombre ont directement touché des civils. Nous avons notamment rapporté le cas d’une grand-mère de 68 ans [cf. photo] tuée par des tirs de missiles. Il y a également eu le cas de 18 ouvriers massacrés à coups de missiles lancés par des drones.

Il y a donc déjà un problème d’identification des cibles et cela correspond à l’idée que se font les Américains de la dénomination « cible ». Ils utilisent le concept de signature strike qui consiste à dire : « Si vous avez un comportement se rapprochant plus ou moins d’un comportement dangereux pour la sécurité nationale américaine, nous vous éliminons. » Le problème, c’est que ce concept ne tient pas la route, leur agissement est absolument contraire au droit international et les assassinats de civils tués au Pakistan ne sont ni plus ni moins que des crimes de guerre.<!–jolstore–>

JOL Press : Que dit le droit international sur l’utilisation des drones pour mener des raids aériens ?
 

Aymeric Elluin : Le droit international ne dit rien de spécifique concernant les drones. Il y a, par contre, des règles érigées par le droit international qui s’appliquent à l’ensemble des armes classiques.

Le droit international humanitaire, en temps de conflit armé ou de conflit national ou international, explique très bien que les civils ne peuvent être pris pour cibles. Un certain nombre de principes doivent s’appliquer : le principe en termes de frappes, le principe de discrimination, le principe de proportionnalité, etc.

Il y a aussi le droit international relatif aux droits de l’Homme, qui s’applique en temps de paix comme en temps de guerre, qui explique que vous ne pouvez recourir à la force, et notamment à la force meurtrière, qu’en situation de dernier recours, donc en état de légitime défense, lorsque vous êtes face à une situation de mort imminente.

Si l’on applique ces deux règles concernant les civils sur lesquels ont tiré les drones américains, il se trouve qu’aucune règle du droit international ne vient légaliser le recours à la force par les drones. Les victimes n’étaient pas des combattants, et ils n’étaient pas en situation de conflit armé : les Etats-Unis ne sont pas en guerre contre le Pakistan. Ce sont des frappes commises par la CIA, probablement par un programme secret.

Concernant le droit international des droits de l’Homme, en quoi ces 18 ouvriers et cette grand-mère sur lesquels nous avons enquêtés constituaient une menace pour les citoyens américains ? Ces personnes n’étaient absolument pas affiliées à des groupes terroristes.

JOL Press : Où se trouvent les responsables du programme de drones américains lorsqu’ils mènent les opérations à distance ?
 

Aymeric Elluin : Ils sont sur une base aérienne, à plus de 12 000 kilomètres du Pakistan – pas forcément aux États-Unis, mais aussi sur des bases étrangères – en train de piloter avec un joystick, type Playstation…

JOL Press : Comment réagit le gouvernement pakistanais face à ces attaques ? Collabore-t-il avec les États-Unis ?
 

Aymeric Elluin : Il y a une ambiguïté du gouvernement pakistanais, soupçonné d’avoir collaboré à un certain nombre de frappes, le pays étant en guerre contre plusieurs groupes armés (talibans réfugiés au nord du Pakistan par exemple). Par ailleurs, le gouvernement n’a jamais rien fait pour venir en aide aux victimes de frappes. Les proches des victimes n’ont pas accès à la justice et n’obtiennent pas réparation. Il y a enfin la question de la dépendance financière et militaire entre les Etats-Unis et le Pakistan.

Néanmoins, le Premier ministre pakistanais, Nawaz Sharif, a fait mardi une déclaration en indiquant qu’il appelait les Américains à arrêter les frappes aériennes sur le territoire. À noter que la cour de Peshawar [au nord du Pakistan] a récemment dénoncé par une décision ces attaques de drones qui sont une ingérence dans l’espace aérien pakistanais, et a également appelé le gouvernement pakistanais à agir auprès des Etats-Unis pour que ces frappes cessent.

JOL Press : Le gouvernement américain pourrait-il être condamné ?

Aymeric Elluin : Il est difficile d’envisager une condamnation du gouvernement américain pour le moment, parce que l’ensemble des programmes est secret – et c’est pour cela que les victimes ne peuvent pas obtenir de réparation ou d’accès à la justice. Par ailleurs, les Américains ne veulent pas parler de meurtres de civils : pour eux, ce sont des terroristes. On voit bien qu’il y a un « gap » monstrueux entre la réalité du terrain et la vision du monde américaine.

Tant que leur programme sera totalement secret, il sera difficile de leur demander de rendre des comptes. C’est pour cela que l’on appelle le gouvernement américain à rendre transparent ce programme et à faire en sorte de mener des enquêtes pour déterminer qui a été réellement tué à chaque frappe, dans quelles circonstances et dans quel cadre légal. On pourra ensuite établir des responsabilités et obtenir des réparations.

JOL Press : L’armée américaine est-elle la seule armée à utiliser ces méthodes ?
 

Aymeric Elluin : C’est l’une des rares, mais l’armée israélienne utilise aussi ces méthodes et a commis des assassinats ciblés. Très peu de pays sont à l’heure actuelle en capacité de mener ce genre de frappes. Mais qui sait si demain d’autres puissances émergentes, qui développent une industrie de la défense et ont des moyens économiques forts, ne feront pas aussi usage de ces méthodes pour porter la guerre en profondeur dans d’autres pays ?

JOL Press : Quelle alternative les Américains pourraient-ils utiliser ?
 

Aymeric Elluin : Pour nous, la question ne se pose pas de ce point de vue-là, l’idée n’est pas de chercher une alternative, mais bien de stopper des assassinats illégaux. La question n’est donc pas non plus de savoir s’ils pourraient « mieux » utiliser ces frappes. Nous leur demandons d’arrêter d’assassiner des civils et de justifier ces assassinats à travers le prisme du terrorisme.

Il faut aussi noter que la façon dont les drones sont utilisés crée du ressentiment et de la rancœur sur le territoire pakistanais, notamment au Waziristan [région au nord-ouest du Pakistan]. Les gens craignent à tout moment qu’un missile ne soit lancé depuis les drones qui passent au-dessus de leur tête, certains reçoivent des menaces de mort de la part de gens qui les soupçonnent de collaborer avec les réseaux terroristes ou même avec les Américains. C’est tout un tissu socio-économique qui est détruit.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Aymeric Elluin est chargé de campagne Armes et impunité pour l’ONG Amnesty International en France.

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