Site icon La Revue Internationale

Bayrou croit très fort à ses chances de l’emporter à terme sur Borloo

borloo-bayrou.jpgborloo-bayrou.jpg

[image:1,l]

« La question, ce n’est pas le pouvoir, c’est de créer une joint-venture », a déclaré François Bayrou, ce dimanche 29 septembre, devant l’université de rentrée du Modem, évacuant ainsi toute « concurrence » avec Jean-Louis Borloo. « Il n’y a aucun risque d’animosité, d’antipathie ou de rivalité » avec le patron de l’UDI, a-t-il insisté. Interrogé lors de la journée parlementaire de l’UDI à Paris, sur le temps que prenait l’alliance à se réaliser, Jean-Louis Borloo a répondu : « Je le laisse faire, expliquer son virage à droite, c’est quand même logique. » « Le Modem se déclare aujourd’hui dans l’opposition, c’est formidable. Il n’y a pas de raison qu’on ne chemine pas ensemble », a-t-il ajouté.

Cette union ne présage-t-elle pas de nouvelles divisions ? Eléments de réponses avec Philippe Braud, politologue français spécialiste de sociologie politique. Entretien.

JOL Press : Une union des centres est-elle envisageable ?
 

Philippe Braud : Rien d’étonnant à ce que François Bayrou ait vanté dimanche l’union des centres. Pour lui c’est la stratégie de la dernière chance, la seule option qui lui reste s’il veut éviter un naufrage définitif. Sa volonté affirmée d’indépendance vis-à-vis de la droite, mâtinée d’hostilité personnelle à Nicolas Sarkozy, et couronnée par son vote pour François Hollande au second tour de la présidentielle de 2012, a finalement conduit au désastre. Depuis six ans la plupart des élus sous l’étiquette Modem l’ont déserté ou ont été battus ; lui-même a perdu jusqu’à son mandat municipal. En effet les élus Modem dépendaient pour la plupart des reports de voix de la droite classique.

La stratégie suivie alors par François Bayrou, reposait sur un coup de poker. S’il avait pu se hisser en seconde position lors d’une des élections présidentielles (il a pu le croire en 2007), il aurait eu des chances sérieuses de l’emporter sur son adversaire du second tour. On aurait alors vu accourir à lui tous ceux qui savent voler au secours de la victoire. Cette stratégie très personnelle a échoué et son médiocre score à la présidentielle de 2012 l’a définitivement enterrée. Gravement isolé, il lui faut aller à Canossa et trouver des alliés là où on veut bien lui faire des ouvertures (du côté du Centre lui-même allié à l’UMP).

JOL Press : Si oui, à quelles conditions ? Et autour de quelles idées ? On parle d’une charte d’alliance…
 

Philippe Braud : La mise en place d’un programme ne doit pas poser beaucoup de problèmes. Les uns et les autres défendent en matière économique des propositions libérales et sont attentifs aux difficultés des entreprises. Par ailleurs, ils sont sourcilleux sur le terrain des libertés publiques et partagent une sensibilité « sociale », un terme suffisamment vague pour autoriser une large interprétation dans l’action.

Dans ce rapprochement l’essentiel est ailleurs. Il s’agit d’affronter les municipales dans les meilleures conditions, d’où l’objectif de constituer 90% de listes communes. Le Centre en effet n’est rien sans ses gros bataillons d’élus locaux. Mais plus impérativement encore pour François Bayrou, il lui faut retrouver un mandat que son isolement lui a fait perdre.

JOL Press : Les centristes pensent pouvoir profiter de la division de l’UMP, menacée, selon eux, d’ « explosion » sous la pression du Front national. Mais peut-on imaginer un élu UMP se rapprocher d’un mouvement dont l’un des leaders a appelé à voter François Hollande ?
 

Philippe Braud : En fait l’opération en cours rappelle l’UDF, cette seconde composante de la majorité giscardienne qui a longtemps fonctionné harmonieusement en partenariat avec les précurseurs de l’UMP sur la base du désistement réciproque aux élections nationales ou locales. L’UDF a pu se hisser à un certain niveau d’équilibre avec « l’autre » grand parti sur sa droite.

L’union des centres face à la désunion (actuelle) de l’UMP a de quoi susciter de légitimes espérances. Mais à condition de pratiquer comme jadis le désistement réciproque, une contrainte qui obligera François Bayrou à avaler une grosse couleuvre. Quant à sa présence personnelle dans la nouvelle alliance, elle ne devrait pas avoir un grand impact sur le mode de comportement national des électeurs, du moins aux municipales (sauf dans la circonscription qu’il aura choisie car le ressentiment des électeurs de Nicolas Sarkozy peut lui coûter cher).

JOL Press : Qui pour diriger cette union du centre ? Doit-on déjà s’attendre à une guerre des chefs ? François Bayrou a évoqué la perspective d’une primaire…
 

Philippe Braud : Il est très probable qu’en se prêtant à ce rapprochement François Bayrou nourrit aussi un agenda secret. Ses propos de dimanche sur « l’absence de compétition pour le leadership », sur « la bienveillance mutuelle » dont feront preuve Jean-Louis Borloo et lui-même, attirent précisément l’attention sur ce qui risque fort de se passer. Compte tenu des styles de personnalité de l’un et l’autre, il n’est pas interdit de penser que François Bayrou croit très fort à ses chances de l’emporter à terme sur son partenaire d’aujourd’hui. Un second coup de poker à jouer ? Gagnant celui-là ? 2017 serait alors déjà, quoi qu’il dise, sur l’écran radar du leader du Modem.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Philippe Braud, ancien directeur du Département de Science politique de la Sorbonne, est professeur émérite des universités à Sciences Po Paris et Visiting Professor à l’université de Princeton (WoodrowWilson School).

Quitter la version mobile