Site icon La Revue Internationale

Diversité religieuse: le défi du pluralisme au Québec

Au Québec, l’esquisse d’un projet de loi visant à répondre à la diversité religieuse restreint le port de symboles religieux visibles (turbans, kippas, hijabs et crucifix) par les employés d’institutions publiques. Cette orientation du gouvernement a captivé l’attention du monde entier.
[image:1,l]

Il est important de comprendre la situation délicate qu’est celle de l’identité québécoise avant de considérer cette question. Composé d’une majorité francophone qui, à son tour, est une minorité dans un pays largement anglophone, le Québec s’efforce constamment de préserver ses traits distinctifs – comme il est souvent le cas d’identités minoritaires.

Une identité québécoise en pleine mutation

Que la charte des valeurs québécoises soit une stratégie maladroite pour répondre à la diversité religieuse de la province ou qu’il s’agisse d’une stratégie politique calculée, elle met en avant une question centrale à laquelle les sociétés pluralistes doivent aujourd’hui adresser : l’adaptation des règles à une identité sociale en constante mutation.

La plupart des sociétés pluralistes sont confrontées à un dilemme sociétal commun qui, dit simplement, a trait à l’équilibre nécessaire entre la diversité croissante de la population (qu’elle soit ethnique, culturelle, religieuse etc.) et la préservation des traditions, de l’héritage et des principaux traits identitaires.

Assimilation ou multiculturalisme…

Dans les limites de la culture occidentale, les réponses à cette question varient considérablement d’une société à l’autre et sont souvent (et de manière simpliste) présentées sur un spectre qui s’étend du modèle français d’assimilation au modèle anglo-saxon de multiculturalisme. Si le premier cherche à imposer une identité nationale relativement prédéterminée à sa population d’immigrants, grandissante et diverse, la deuxième tend à passer outre l’hétérogénéité identitaire des individus pourvu qu’un certain nombre de principes sociaux de base soient respectés par tous.

Après un siècle de forte immigration et face à un nombre croissant d’enfants d’immigrants de deuxième ou troisième génération, les deux approches ont montré à la fois leurs forces et leurs faiblesses, leurs réussites et leurs échecs. Mais, par-dessus tout, elles ont permis de constater que des systèmes pertinents à un moment donné de l’histoire doivent être adaptés régulièrement afin de répondre à la complexité grandissante des sociétés pluralistes d’aujourd’hui.

Au milieu de ce portrait général et simplifié, le cas du Québec mérite d’être analysé de plus près pour mieux saisir le contexte dans lequel la Charte des valeurs québécoises a été proposée.

Protectionnisme à la québécoise

Les projets de loi et les règles québécoises suivent, pour beaucoup, un raisonnement protectionniste : la loi 101 a institutionnalisé le français comme langue officielle de la province ; la politique interculturelle propose un modèle de relations entre cultures dans lequel la culture franco-canadienne a le dessus (par opposition à sa contrepartie anglo-canadienne qui postule l’égalité de toutes les communautés) ; la nouvelle charte élargit le concept de laïcisme, ce qui est un des modus operandi souple qui, s’il s’avère raisonnable, permet d’adapter l’expression religieuse à une laïcité stricte qui accentue l’interdiction de symboles religieux visibles chez les employés de la fonction publique.

L’histoire des institutions religieuses au Québec est marquée par des abus socio-politiques de la part de l’Eglise catholique. Combinée à un gouvernement ultra-conservateur entre les années 1930 et 1950, cette dernière contrôlait la santé, l’éducation et les services de presse. L’histoire permet de comprendre le sentiment populaire derrière ce refus religieux et nombreux sont ceux qui n’ont pas encore fait le deuil du passé.

Quelles que soient les intentions derrière la charte qui a été proposée, elle met clairement en avant des questions à un niveau plus profond, telles que la nécessité de faire la paix avec son histoire et d’accepter le caractère dynamique et changeant des identités sociales. Ces questions doivent être traitées dans toutes les sociétés pluralistes afin que la diversité soit entretenue et qu’elle évolue positivement.

Québec, société ouverte

Il est naturel et humain de se sentir mal à l’aise ou anxieux face à la différence. Mais il est possible de dépasser ces sentiments avec un état d’esprit inclusif. La société québécoise est très active dans ce domaine à travers des programmes artistiques, éducationnels et de formation, grâce à des subventions qui visent le renforcement des relations interculturelles et des séances de dialogue inter religieux visant une meilleure compréhension de l’autre. Cette liste d’initiatives n’est pas exhaustive.

La charte proposée ne doit en aucun cas cacher l’ouverture d’esprit, la tolérance et la réceptivité de la société québécoise. Le respect et l’appréciation de la diversité y sont des valeurs enracinées. Il suffit de rentrer dans une école ou dans une université, d’aller dans un parc ou dans une rue animée pour remarquer la pluralité de symboles ethniques, culturels ou religieux. Et il ne s’agit là que des aspects visibles qui dénotent la beauté de la diversité québécoise.

*Meher Khatcherian prépare un doctorat en Résolution de conflits internationaux et est le coordinateur de la Chaire de recherche du Canada – Islam, pluralisme et globalisation de l’Université de Montréal. Article écrit pour Common Ground News Service (CGNews).

Quitter la version mobile