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La Libye, un pays morcelé et gangrené par le terrorisme

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L’enlèvement express du Premier ministre libyen, jeudi 10 octobre, a de nouveau braqué les projecteurs de l’actualité sur un pays du printemps arabe qui, comme ses voisins, peine à se relever de sa révolution.

Un pays sans Etat

Pourtant, la Libye a longtemps été présentée comme le bon élève de ces révolutions qui ont secoué le Moyen Orient à partir de 2011. A la suite de l’intervention de l’Otan et de la mort de Mouammar Khadafi, la Libye n’avait pas tardé à organiser des élections, dont le déroulement hautement surveillé par la communauté internationale, s’était soldé par l’élection d’une assemblée constituante composée de modérés, à l’inverse de l’Egypte et de la Tunisie où les islamistes ont rapidement raflé la majorité des sièges dans les nouvelles assemblées.

Mais cette réalité démocratique en a également caché une autre, celle de la déliquescence totale de l’Etat libyen. Et aujourd’hui, deux ans après la chute de Mouammar Khadafi, les questions auxquelles devait répondre de manière urgente le gouvernement de transition libyen sont toujours les mêmes.

La Libye est un pays sans institutions, sans armée, sans pouvoir, tel que l’a décrit Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des Pays Arabes (OPA), interrogé sur France 2 au matin de l’enlèvement d’Ali Zeidan.

« Khadafi n’a pas construit un Etat, il n’a pas laissé de constitution. C’est l’un des rares Etats au monde où il n’y a pas de constitution. Il n’a pas laissé d’institutions, d’armée, de police », a expliqué ce spécialiste. « Il était là avec ses enfants, sa famille pour veiller et il a régné pendant 42 ans. Ce qui est arrivé devait arriver. Le jour de la mort de Khadafi, on savait qu’on allait se retrouver devant le vide, le chaos et qu’il allait falloir construire des institutions, ce qui ne se fait pas du jour au lendemain. »

La sécurité est un enjeu prioritaire pour les autorités libyennes. En effet, les forces de l’ordre n’ont jamais vraiment été reconstituées et aujourd’hui, le maintien de cet ordre est souvent confié à d’anciennes milices rebelles, vaguement dirigées par les ministères du gouvernement de transition. Or ce sont bel et bien des hommes de ces mêmes milices qui, jeudi 10 mars, on revendiqué l’enlèvement du Premier ministre.

Affrontements régionaux et tribaux

La Libye, un reliquat constitué de populations issues de 170 tribus, peine, depuis la mort de Khadafi, à se souvenir pourquoi elle n’est qu’un pays. Les rivalités territoriales et politiques font le quotidien de la population et chaque région reste retranchée derrière sa frontière.

« C’est un pays qui se dirige vers le chaos à grande vitesse », explique Antoine Basbous. « La Cyrénaïque – Benghazi et son entourage, à l’est du pays – veut quitter l’ensemble libyen […], le sud veut prendre ses distances et la Tripolitaine, qui reste le siège du gouvernement, n’a cependant pas de pouvoir, pas de gouvernement. »

Au sein de ces trois grands ensembles qui s’affrontent, ont ressurgi depuis deux ans des rivalités que le clan Khadafi était parvenu à maîtriser grâce à une politique très conciliante envers certaines tribus.

« Mouammar Kadhafi s’est fortement appuyé sur les tribus et a largement joué avec le facteur tribal de son pays. Certaines tribus ont été favorisées durant son règne au détriment d’autres », expliquait Said Haddad, spécialiste de la Libye.

« S’il y a des conflits tribaux, il y a également des logiques territoriales et économiques qui sous-tendent certains de ces conflits. Notamment pour ce qui concerne le commerce transfrontalier ou les bénéfices attendus de la manne pétrolière au sud du pays. A cela s’ajoute ce qui relève, sans nul doute, de règlements de compte postrévolutionnaire », note encore cet expert.

La base arrière du Sahelistan

Comme pour achever le sort de la Libye, elle est également un pays gangréné par le terrorisme. L’enlèvement du Premier ministre libyen en est l’exemple le plus récent.

Les terroristes qui ont revendiqué ce kidnapping, et qui se présentent comme étant d’anciens rebelles au régime de Mouammar Khadafi sont en fait les membres de la nébuleuse terroriste qui a fait son nid au sud de la Libye, carrefour de tous les terrorismes du Sahel.

« Le sud est un sanctuaire terroriste qui est en train de se constituer », qui accueille notamment « ceux qui ont survécu à l’attaque au Nord-Mali et qui sont venus se réfugier », explique Antoine Basbous sur France 2.

Venus du Nord-Mali et chassés par les forces françaises durant l’opération Serval, ils semblent nombreux à avoir trouvé refuge dans ce « sanctuaire terroriste ».

« La situation malienne cache l’incendie qui est actuellement en train de se développer dans la zone péri Tchadique. Le chaos en retour se fait en effet sentir dans tout le sud de la Libye, cependant que la contagion n’est plus qu’une question de temps au Tchad et au Darfour avec le risque de voir un continuum fondamentaliste s’établir avec les islamistes de Boko Haram du nord Nigeria. Quant au sud de la Tunisie, la contamination y a largement commencé », écrivait récemment l’Africaniste Bernard Lugan.

Un pays morcelé et en proie à tous les terrorismes. La Libye, souvent qualifiée de « base arrière du Sahélistan », n’est en fait jamais sortie de sa révolution. Alors que chez ses voisins tunisien et égyptien, la construction postrévolutionnaire se fait dans le vacarme des manifestations et des remous politiques, la Libye est comme muette depuis deux ans et seuls des attentats terroristes viennent parfois perturber cette paralysie de l’Etat.

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