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Le rapprochement entre Bayrou et Borloo est-il voué à l’échec?

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Si François Bayrou assurait, lors du Grand Rendez-Vous i>Télé/Europe1/Le Monde, que le rapprochement avec l’UDI était imminent, Jean-Louis Borloo s’est montré beaucoup plus réservé. « Nous n’avons pas d’urgence particulière », aurait-il déclaré au JDD. « Pour l’organe politique dirigeant, nous avons 70 parlementaires à proposer. Au MoDem, ils en ont trois. Il ne faut fâcher personne. Je préfère attendre deux à trois semaines de plus plutôt que de voir un accord mal ficelé », a expliqué le porte-parole du groupe UDI à l’Assemblée, Jean-Christophe Lagarde.

Ce rapprochement se fera-t-il donc ? Si oui, sur quelles bases se fera-t-il ? Eléments de réponse avec Christian Delporte, directeur du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines.

JOL Press : L’UDI de Jean-Louis Borloo et le MoDem ont entamé cet été un processus de rapprochement qui doit se concrétiser par la signature d’une charte. Borloo a évoqué certaines difficultés. De quoi peut-il s’agir selon vous ?

Christian Delporte : Au centre, il y a deux stratégies. La stratégie indépendante, celle de François Bayrou qui a fait du MoDem un parti de centre, affilié ni à la gauche, ni à la droite. Et puis il y a la position de Jean-Louis Borloo, une stratégie de centre-droit et par conséquent d’alliances naturelles avec l’UMP ; le centre-droit est allié avec les gaullistes depuis plus de quarante ans. Il peut donc y avoir entre les deux hommes un problème de positionnement.

Cependant les dernières déclarations de François Bayrou montrent qu’il est dans l’opposition. Mais être dans l’opposition implique-t-il obligatoirement d’être allié avec l’UMP ? Rien n’est moins évident. Ces différences de points de vue vont poser un problème de leadership, car si c’est le centre indépendant qui gagne, c’est Bayrou qui gagne, si les alliances avec l’UMP prévalent, c’est Borloo qui gagne. Ce n’est pas parce qu’on se rapproche qu’il n’y a pas de rivalité.

JOL Press : Ne doit-on pas justement s’attendre, dès à présent, à une guerre des chefs ?

Christian Delporte : Toute la vie politique en France est orientée vers l’élection présidentielle où il ne pourra y avoir qu’un seul représentant du centre. La rivalité sera donc inévitable. À chaque jour suffit sa peine, si un accord est trouvé pour les municipales, c’est déjà ça. La perspective présidentielle est encore loin.

L’UDI est alliée partout, pour les municipales, avec l’UMP, et le MoDem fait partie de conseils municipaux dirigés par le PS, comme à Lille. Ce rapprochement sera plus difficile pour le MoDem car il devra rompre une partie de ses alliances en vue des municipales. Rappelons qu’il n’y a pas si longtemps, avant la présidentielle, Marielle de Sarnez avait tenté des rapprochements avec Vincent Peillon. Le positionnement de l’UDI est clair, celui du MoDem l’est nettement moins.

JOL Press : Si on se met du côté des électeurs, un sympathisant du MoDem pourra-t-il donner sa voix à des alliés de l’UMP et, inversement, un sympathisant UMP pourra-t-il se rapprocher d’un mouvement dont l’un des leaders a appelé à voter François Hollande ?

Christian Delporte : C’est surtout du MoDem que peuvent venir les problèmes. Des élus comme Jean-Luc Bennahmias peuvent très bien choisir de quitter le Modem si un rapprochement se concrétise avec l’UDI. « Il faut que le parti de Jean-Louis Borloo comprenne que le Modem possède un ADN qui n’est pas celui de l’UDI », disait ce dernier récemment, dans un entretien à Libération. On risque donc d’assister à un nouvel éclatement. Mais quand on regarde les sondages sur l’électorat MoDem, on constate une aspiration majoritaire des sympathisants du parti de François Bayrou à s’allier avec l’UDI. Les électeurs centristes rêvent d’une reconstruction de l’UDF.

JOL Press : Quel intérêt ont-ils, tous les deux, à s’allier ?

Christian Delporte : Ils ont, tous les deux, intérêt à renforcer et favoriser un enracinement local, car un parti qui compte est un parti qui a des élus. Par ailleurs, il leur faut un candidat crédible pour la présidentielle, en jouant sur le désarroi d’une partie de l’UMP tentée par le Front national. L’idée est de récupérer des voix à droite mais aussi à gauche. Si Valéry Giscard d’Estaing a été élu président de la République en 1974, c’est grâce à une partie des gaullistes qui avaient lâché Jacques Chaban-Delmas. Le centre ne peut pas gagner seul, il a besoin d’alliés, c’est pourquoi l’UDF était à la remorque du RPR.

JOL Press : Sur quel point tous les centristes se retrouvent-ils ?

Christian Delporte : Les centristes sont d’accord sur un certain nombre de valeurs, notamment sur des valeurs républicaines qui excluent toute tentation d’alliances locales et a fortiori nationales avec le Front national. Un centriste ne fait pas d’alliance avec un parti qui accepterait de s’allier avec le FN.

JOL Press : Qu’est-ce qui différencie aujourd’hui un centriste d’un membre du PS ?

Christian Delporte : N’oublions pas que Borloo a été ministre de Sarkozy et qu’il n’a jamais cherché à se rapprocher de la gauche. Ce qui n’est pas le cas de Bayrou. Bayrou a tendu la main à François Hollande qui ne l’a pas prise, mais il s’est construit, lui aussi, au centre-droit. Il a été ministre de centre-droit. Aujourd’hui, Bayrou est dans une situation très délicate car s’il ne se rapproche pas de l’UDI, il ne représente plus rien et s’il se rapproche de l’UDI, il se rapproche de l’UMP. Pour gagner, il sera obligé de faire des alliances et comme cette alliance n’a pas pu se faire avec le PS, il se tourne vers l’UDI.

JOL Press : Que va faire l’électeur du MoDem face à ce changement de cap ?

Christian Delporte : L’électeur du MoDem a beaucoup évolué, dans les sondages, il prend de plus en plus de distances vis-à-vis du gouvernement, alors que ce sont en grande partie les électeurs du centre qui ont fait élire François Hollande, pour se détourner de Nicolas Sarkozy. L’électeur du centre se prononce en fonction de l’offre électorale et des valeurs. Le centre a toujours été la troisième voie entre la gauche et la droite, par définition, il attirera donc les déçus du gouvernement et de l’opposition qui ne souhaitent pas, pour autant, rejoindre le FN. Le centre s’est toujours positionné ainsi et cela n’a que très rarement marché, à vrai dire…

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Christian Delporte est professeur d’histoire contemporaine à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Spécialiste de l’histoire des médias et de la communication politique, il est l’auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels La France dans les yeux (Flammarion, 2007) et Une histoire de la langue de bois (Flammarion, 2009).

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