Site icon La Revue Internationale

Le successeur d’Hamid Karzaï devra réparer ses erreurs et réunir les Afghans autour de lui

candidats-afghanistan.jpgcandidats-afghanistan.jpg

[image:1,l]

Dans quel état le président Hamid Karzai laissera-t-il son pays, lorsqu’il quittera son poste en avril prochain ?
 

Georges Lefeuvre : Le président Karzai ne laisse véritablement pas son pays en bon état, ce qui n’est pas uniquement de sa faute – il ne faut pas oublier que la coalition internationale est très présente – mais Hamid Karzai, qui était la caution pachtoune du nouveau régime issu des accords de Bonn en décembre 2001, et qui avait de surcroît la confiance des Américains, n’a pas réussi à regagner la confiance du Sud et de l’Est pachtoune à forte tendance insurrectionnelle, alors qu’il a en même temps perdu la confiance de l’ancienne Alliance du Nord, essentiellement Tadjik, Ouzbek et Hazara, c’est-à-dire ceux qui l’avaient porté au pouvoir. Ses tentatives de réconciliation avec les Taliban font froid dans le dos des gens qui ont combattu ces mêmes Taliban et qui ont participé à leur déroute en 2001. Au niveau de l’équilibre ethnique des pouvoirs, donc de la réconciliation nationale, et la tâche n’était pas facile, Hamid Karzaï a échoué.

Il a également terriblement échoué en ne parvenant pas à mettre en place un gouvernement assurant une bonne gouvernance du pays. Ce qui est une façon pudique de dire qu’en Afghanistan, la corruption est partout et à tous les étages de l’administration. C’est un pays dont l’économie est tout à fait irréelle et repose soit sur des trafics notoires – notamment la drogue – ou sur l’aide internationale qui, avec la corruption, fait que beaucoup de fonds distribués n’arrivent jamais à destination.<!–jolstore–>

La campagne électorale devrait donc bientôt débuter, les Afghans ont-ils confiance en leur processus démocratique ? Comment s’annonce cette période électorale ?
 

Georges Lefeuvre : La démocratie, disait l’écrivain Tahar Ben Jelloun, n’est pas une technique mais une culture. Le processus démocratique que l’Occident a soutenu, voire imposé, est assez artificiel.

L’erreur qu’a fait l’Occident, et que j’ai dénoncé depuis 2001, c’est d’avoir cru, comme en Irak, qu’il était possible d’imposer une forme de démocratie. Or cela n’a été qu’un échec, en Irak comme en Afghanistan. Cela a échoué car nous n’avons pas pris la mesure de ce que j’appelle l’anthropologie politique.

Malheureusement, les élections ne se présentent pas bien. Elles se présentent d’autant plus mal que 2014 correspondra également au départ des troupes de l’OTAN. On se retire au moment où l’insécurité est à son maximum et où la police et l’armée nationale afghane seront parfaitement incapable de maintenir un équilibre sociétal au milieu des turbulences de cette élection.

Cette année, durant les élections législatives pakistanaises, les talibans ont multiplié les attaques et les attentats – notamment contre certains candidats – à l’approche du scrutin. Doit-on s’attendre à une situation similaire en Afghanistan ?
 

Georges Lefeuvre : Bien entendu, les Taliban vont boycotter ces élections et vont appeler à les boycotter. Cependant, il n’est pas évident d’assister à une recrudescence d’actes terroristes.

Il faut distinguer deux sortes de Taliban. Les Taliban « historiques », ceux de Mollah Omar, sont tous des Pachtounes d’Afghanistan. Ils ont été écartés en 2002 et ne rêvent que de la reconquête du pouvoir. Ils mènent un djihad national.

En revanche, sur la zone frontalière des zones tribales pakistanaises et des provinces afghanes voisines, les Taliban ne sont plus des « historiques ». Ils ont été « wahhabisés », ou encore « al-qaïdisés » – c’est d’ailleurs dans cette zone que se trouve le berceau d’Al-Qaïda. Ces Taliban ne visent pas prioritairement la reconquête nationale mais le djihad mondial. Leurs camps d’entraînement sont d’ailleurs les pourvoyeurs de combattants et terroristes au Yemen, au Mali, aujourd’hui en Syrie… 

Les Taliban « historiques » pourront mener des actions pour décourager les gens d’aller voter, pour faire en sorte que l’abstention soit massive, mais cela n’ira pas loin. A contrario, les Taliban « wahhabisés » peuvent semer un vrai désordre, que ce soit pendant les élections où à n’importe quel moment d’ailleurs et n’importe où, contre des cibles qui ne seront pas obligatoirement liées à l’organisation du scrutin. 

Qui sont les grands favoris de cette élection présidentielle ?
 

Georges Lefeuvre : Aujourd’hui, la liste des candidatures est close et il y a 27 candidats, parmi lesquels, deux grands challengers.

 

Le Dr Abdullah Abdullah est un candidat sérieux, il a déjà défié Hamid Karzai en 2009 et avait obtenu 31% des voix alors qu’on sait très bien que le scrutin avait été truqué au bénéfice du président sortant.

Ancien ministre des Affaires étrangères, il est également une passerelle ethnique puisque son père est Tadjik et sa mère est Pachtoune – ce qui lui est très favorable – il a également pris comme vice-présidents candidats, un Pachtoune combattant et un Hazara du centre de l’Afghanistan qui représente également la minorité chiite.

Une autre candidature sérieuse est celle de Zalmai Rassoul. Il était, jusqu’à il y a quelques jours, le ministre des Affaires étrangères d’Hamid Karzai et a démissionné pour être candidat. Pachtoune très connu, il a pris comme vice-présidents, un Tadjik et une Hazara, qui a en plus l’avantage d’être une femme.

Ces deux personnages ont la volonté de créer une sorte d’union sacrée ethnique autour de leur personne.

Derrière ces deux candidats, on trouve également le frère d’Hamid Karzaï, Qayum Karzai. Il porte un nom mais n’est pas adoubé par le président. Certes il est le frère du président, mais il n’a pas beaucoup de chances de l’emporter.

Une autre figure qui étonnera est celle d’Ashraf Ghani, également Pachtoune. Economiste, il a été fonctionnaire de la Banque mondiale, ce qui pourrait lui donner une certaine stature. Cependant, il a choisi comme vice-président un général ouzbek, ancien du régime communiste qui s’est ensuite allié avec Massoud et l’Alliance du Nord. La cruauté de cet homme n’est plus à démontrer et il s’est notamment fait connaître en 2001 en menant le massacre de Dasht-i Leili qui a conduit à la mort de près de 5 000 prisonniers Taliban. La plupart sont morts par étouffements dans les wagons qui les transportaient d’une prison à une autre.

Ce choix de vice-président suffira à mettre la candidature d’Ashraf Ghani en difficulté.

Enfin, un cinquième personnage, Abdul Sayyaf. Curieusement, il a également été adoubé par le président Karzaï alors qu’il est un wahhabite dangereux, un véritable chef de guerre.

Quels sont, selon vous, les enjeux de ce scrutin ?
 

Georges LefeuvreCette guerre en Afghanistan ne cessera jamais tant que la question pachtoune, au Pakistan comme en Afghanistan, ne sera pas réglée, les zones pachtounes insurrectionnelles resteront le terreau fertile pour une autre forme d’insurrection qui est le terrorisme de type Al-Qaïda.

Il faut donc absolument que le futur président soit à l’écoute des Pachtounes de la zone sans être déconsidéré par les gens du nord, Tadjiks, Ouzbeks et Hazaras. C’est vraiment l’enjeu primordial de ces élections. Le futur président devra avoir la confiance du Nord non-pachtoune et gagner celle du Sud et de l’Est pachtoune pour assurer la sécurité du pays, préalable indispensable à tout espoir de réconciliation nationale, par réduction significative des terrains insurrectionnels et terroristes de la ceinture pashtoune. Car la seule manière de lutter contre le terrorisme le plus exacerbé qui soit, c’est d’assécher le terrain fertile sur lequel il se développe, et ce terrain fertile, c’est la sourde souffrance des peuples, selon l’expression de Pierre Lafrance, ancien ambassadeur de France au Pakistan.

L’autre enjeu important sera l’exploitation des importantes ressources pétrolières et  gazières récemment découvertes dans le nord de l’Afghanistan. L’environnement sécuritaire de cette exploitation dépendra évidemment du succès ou de l’insuccès du futur président en termes d’apaisement national et inter provinces. Dès maintenant, les marchés ayant été attribués, il s’agit de construire les infrastructures d’extraction puis les gazoducs, encore à l’état de projet, dont celui qui permettrait l’exportation vers la Chine via le Tadjikistan. L’enjeu est importa pour une augmentation sensible du PIB afghan sur la base d’une économie réelle. 

Quitter la version mobile