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Les élections municipales en ligne de mire de Jean-Luc Mélenchon

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JOL Press : Selon vous, quelle stratégie, pour les élections municipales de 2014, sera adoptée par le Parti de gauche, lors de sa convention nationale le 13 octobre ?
 

Eddy Fougier : Le Parti de gauche réclamera sans aucun doute des listes autonomes du Front de gauche pour les élections municipales, dans les villes de plus de vingt mille habitants. Son fondateur, Jean-Luc Mélenchon, l’a d’ailleurs répété à plusieurs reprises dans les médias et refuse absolument de se présenter avec le Parti Socialiste dans les circonscriptions.

Se présentant comme un parti d’opposition, le Parti de gauche critique systématiquement le gouvernement et la politique du président de la République François Hollande. Et en ce sens, il diffère totalement du Parti Communiste qui a, à la fois un pied dans l’opposition, et un pied dans la majorité, étudiant au cas par cas, les lois et les duels aux municipales.

Il est utile de rappeler que le Front de gauche réunit neuf partis, qui ne se reconnaissent pas nécessairement dans l’orientation du Parti Socialiste, autour principalement du Parti Communiste et de la personnalité de Jean-Luc Mélenchon – candidat du Front de gauche aux élections présidentielles en 2012. Ces partis regroupés connaissent toutefois des divergences.

JOL Press : Justement, le Parti de gauche faisant partie du Front de gauche, sa stratégie « autonomiste » pour les élections municipales ne risque-t-elle pas de créer des distorsions, voire une rupture, au sein du Front ?
 

Eddy Fougier : Au sein du Front de gauche, il existe clairement des différences de stratégies vis-à-vis des municipales, et notamment entre le PCF et le Parti de gauche. Alors que les communistes défendent  une vision plus souple, c’est-à-dire qu’ils choisiront au cas par cas s’ils optent pour des listes autonomes, comme à Marseille, ou pour des listes communes avec le PS, comme à Paris, le Parti de gauche réclame exclusivement des listes autonomes.

Ces distorsions de stratégies s’expliquent par le fait que les deux partis n’obéissent pas aux mêmes intérêts. Le PCF gère déjà des villes – il y a environ sept cents maires et huit mille conseillers municipaux communistes aujourd’hui en France. Cela n’est pas du tout le cas du Parti de gauche, créé très récemment en 2008.

Le responsable du PCF, Pierre Laurent a appelé à l’union dès le premier tour avec les listes d’Anne Hidalgo, la candidate socialiste des élections municipales de Paris mercredi 9 octobre. Ses déclarations ont beaucoup irrité Jean-Luc Mélenchon. Le Parti de gauche a même soulevé à cette occasion, la question de l’avenir incertain du Front de Gauche.

JOL Press : Quelles est la réelle ligne idéologique du Front de gauche, regroupant notamment le PCF et le Parti de gauche ?
 

Eddy Fougier : Le Front de gauche se positionne sur le papier comme un véritable courant de gauche, défendant de « vraies » idées de gauche, comme la solidarité, la redistribution, la justice sociale, un fort service public et un Etat qui joue un rôle important. Alors que le Parti Socialiste représenterait la gauche corrompue par les contraintes européennes, les marchés financiers et les idées sur la sécurité et l’immigration – thèmes à la mode en ce moment -, le Front de gauche serait la gauche par essence, la plus pure.

Il reproche notamment au Parti Socialiste de mener une politique d’austérité. Et qui dit politique d’austérité, dit politique de droite. La personnalité qui énerve le plus Jean-Luc Mélenchon, patron du Parti de gauche, est sans aucun doute Manuel Valls aujourd’hui. Il parle du ministre de l’Intérieur comme étant « l’extrême-droite du PS », et nomme le Parti Socialiste « les Solfériniens », montrant tout le mépris qu’il a à son encontre.

JOL Press : Aujourd’hui quel est le profil sociologique des électeurs du Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon, étant donné que l’on sait que les classes populaires ont tendance à lui préférer le Front National ?
 

Eddy Fougier : La gauche en général, et le Parti de gauche en particulier, se heurtent à une difficulté de taille : ils ont de plus en plus de mal à attirer cet électorat, qui nous le savons, soit vote majoritairement pour le Front National, soit s’abstient. Cela s’est particulièrement révélé lors des élections présidentielles de 2012. Alors que Jean-Luc Mélenchon, en campagne, avait su insuffler une nouvelle dynamique, les chiffres montrent, qu’au final, le soutien des ouvriers au Front de gauche est très faible. Nous sommes très loin du PCF des années 1950 qui réunissait la grande majorité des ouvriers.

Aujourd’hui les électeurs du Parti de gauche constituent un électorat de gauche assez classique, comme par exemple des personnes qui travaillent dans la fonction publique, des enseignants, et dans certains cas, quelques « bobos » que l’on aperçoit sur les plateaux télévisés.

JOL Press : Est-il possible lors des élections municipales qu’une future alliance se concrétise entre le Parti de gauche, et plus généralement le Front de gauche, avec les Verts ?
 

Eddy Fougier : Tout d’abord, le rêve Jean-Luc Mélenchon est de créer une majorité alternative. Les neuf partis du Front de gauche souhaiteraient s’allier avec ceux qui refusent la politique d’austérité du gouvernement, c’est-à-dire, avec une partie des écologistes, voire avec l’aile gauche du PS. La démission de Noël Mamère d’Europe Ecologie Les Verts le 25 septembre dernier, a été accueillie positivement par Jean-Luc Mélenchon, qui s’est empressé de lui tendre la main.

Du côté des Verts, c’est plus compliqué. Ils sont dans une logique un petit peu schizophrénique. L’aile gauche des Verts se montre de plus en plus critique vis-vis du gouvernement qui ne traite pas suffisamment de l’écologie à leurs yeux. Et d’autres, comme Cécile Duflot, ministre du Logement, préfèrent être au gouvernement pour faire avancer le combat écologique. Pour le moment rien n’est totalement tranché.

JOL Press : Comment le gouvernement socialiste appréhende la stratégie du Parti de gauche en vue des élections municipales de 2014 ?
 

Eddy Fougier : En plus des distorsions traditionnelles au sein-même du Front de gauche, et avec le Parti Socialiste, un nouveau facteur cristallise les tensions entre ces différents partis : la montée du Front National. La gauche, qui s’était présentée divisée lors de la cantonale de Brignoles dimanche 6 octobre, ne s’est même pas qualifiée pour le second tour. Le deuxième coup dur vient du sondage Ifop publié dans le Nouvel Observateur mercredi 9 octobre : le FN arrive avec 24 % en tête des intentions de vote pour les élections européennes de 2014.

Il va donc y avoir une grosse pression de la part du Parti Socialiste et du gouvernement pour que la gauche se présente unie lors des prochaines élections municipales. Ceux qui appellent à la division, notamment Jean-Luc Mélenchon, seront sans aucun doute tenus responsables de la victoire de la droite ou de l’extrême-droite. Et Jean-Luc Mélenchon lui-même expliquera la montée du FN par la politique d’austérité menée par le gouvernement. Chacun se renverra certainement ainsi la balle, si les municipales signent l’échec de la gauche.

Propos recueillis par Carole Sauvage pou JOL Press

Eddy Fougier est politologue, chercheur associé à l’IRIS. Ses domaines d’expertise sont l’altermondialisme, les mouvements protestataires et le débat sur la mondialisation ; la vie politique française, les analyses électorales et l’évolution des idées politiques ; l’opinion publique et les questions internationales et européennes.

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