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Les islamistes ont-ils encore leur place en Tunisie?

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Dès les premiers lendemains des révolutions arabes, le tournant islamiste que semblait prendre la Tunisie étonnait les experts de la région. En effet, la Tunisie s’est toujours placée comme « pays des lumières » du Maghreb et les scores surprenants des islamistes d’Ennahda laissait penser qu’en faisant sa révolution, la Tunisie avait également transformé son ADN.

Le vrai visage de la Tunisie est-il islamiste

« Le parti islamiste Ennahda a créé une véritable surprise en étant propulsé au pouvoir. Un choix surprenant puisqu’il va à l’encontre de la tradition laïque de la société tunisienne », commentait alors Barah Mikaïl, directeur de recherche pour le think tank espagnol Fride.

Dans les premiers jours qui ont succédé au départ de Ben Ali, semblaient alors se dessiner deux sociétés tunisiennes. Celle des réformes du président Habib Bourguiba, père de l’indépendance qui a notamment tant fait pour le droit des femmes, et celle de Rached Ghannouchi, pour qui « la charia est la source principale de toute législation, le rôle d’un chef d’Etat est d’accomplir la religion, d’éduquer l’Oumma selon l’islam » et pour qui « le souverain doit être impérativement musulman ».

Ennahda a voulu aller trop vite

Or en Tunisie comme en Egypte, les islamistes arrivés au pouvoir par la force révolutionnaire, ont voulu en faire trop. En Egypte, les Frères musulmans réprimés pendant des décennies étaient à peine arrivés au pouvoir, il y a plus d’un an, que déjà ils étaient accusés de ne gouverner qu’en faveur de leur confrérie et de mener l’Egypte vers l’islam radical, au mépris des minorités et de la masse des Egyptiens laïcs, eux aussi révolutionnaires de la place Tahrir.

En un sens, l’erreur des islamistes tunisiens d’Ennahda a été la même, tel qu’en témoigne Souhayr Belhassen, présidente d’honneur de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH).

Interrogée par le site fait-religieux.com, à l’occasion d’une conférence internationale sur le dialogue des cultures et des religions, Souhayr Belhassen explique que c’est en voulant imiter le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, que Rached Ghannouchi a poussé trop loin et trop rapidement ses ambitions politiques et religieuses pour la Tunisie.

« Rached Ghannouchi, le président du parti Ennahda qui est le véritable détenteur du pouvoir même s’il n’est pas au gouvernement, fait constamment référence à Erdogan, le Premier ministre turc ‘islamiste modéré’ » explique-t-elle.

« Sauf que les islamistes turcs sont au pouvoir depuis dix ans et qu’ils poussent leurs pions avec prudence, tandis qu’Ennahda a voulu mettre à bas l’héritage de Bourguiba en quelques mois. La référence rassurante à la Turquie est uniquement pour l’extérieur, à l’intérieur il faut entendre les discours qui sont tenus. Un député a dit qu’il faudrait couper la main droite et le pied gauche « en diagonale » aux grévistes qui barrent les routes ! », explique-t-elle encore.

« A bas les oppresseurs du peuple »

C’est ainsi que les islamistes d’Ennahda se sont fait leurs ennemis, bien avant d’être accusés d’avoir participé, de près ou de loin, aux assassinats d’opposants politiques dont le leader syndical, Chokri Belaïd, ou encore l’opposant Mohamed Brahmi, en sont les emblèmes.

« Le soulèvement du 14 janvier 2011 qui a renversé Ben Ali était tout à fait laïque. Le slogan était : « Travail, Liberté, Dignité ». Dieu n’était pas là. Les islamistes ont récupéré le mouvement, explique Souhayr Belhassen, et, quel paradoxe, ont été élus pour défendre un projet contraire au leur. La majorité du parlement est islamiste et c’est elle qui prétend « réaliser les aspirations du peuple » : mais quelles aspirations, et quel peuple ? ».

Aujourd’hui, c’est au second plan politique que sont relégués ces islamistes qui ont voulu trop et trop vite. Considérés comme les acteurs du blocage institutionnel tunisien, les membres d’Ennahda ont été priés de quitter le gouvernement pour laisser place à des indépendants, capables de nommer un Premier ministre lui-même indépendant.

Nul ne dit que la crise politique tunisienne sera réglée dans les mois à venir, mais la masse des Tunisiens lassés de l’islam politique, et qui manifestent depuis des semaines sur la place du Bardo, aux cris de « Le sang a coulé, plus de légitimité pour Ennahda », « Brahmi martyr, sur tes pas nous marcherons » ou encore, « A bas les oppresseurs du peuple, à bas la bande des Frères », sera désormais prête à écouter ce que le nouveau gouvernement peut proposer.

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