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Les prix littéraires, des «labels qualité» indispensables pour les éditeurs

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JOL Press : L’année 2013 marquera les 110 ans du Prix Goncourt, à l’origine un simple prix de commémoration. À quoi servent les prix littéraires aujourd’hui ? 
 

Sylvie Ducas : Cette dimension commémorative existe toujours aujourd’hui, mais les prix servent surtout à donner une autorité critique à certaines instances : je pense par exemple au Prix des bibliothécaires et à celui des libraires. Ces récompenses permettent de trier dans une pléthore éditoriale. D’un point de vue économique, elles servent à écouler de la marchandise, notamment la surproduction romanesque. À l’origine, il y avait aussi des enjeux de valeur littéraire : certains prix peuvent aider dans une carrière d’écrivain, permettant d’asseoir sa reconnaissance littéraire.

JOL Press: Dans votre livre La littérature à quel(s) prix ?, vous parlez de « labels vendeurs ». Les prix sont-ils réduits à cette logique commerciale aujourd’hui ?
 

Sylvie Ducas : Les prix littéraires sont des « labels qualité », à la manière du « label rouge », mais un peu aussi comme une légion d’honneur : c’est là que repose toute l’ambiguïté. Il y a des logiques marchandes et des logiques symboliques plus prestigieuses. 

Les prix facilitent la découverte d’un auteur à une époque où l’on n’a que quelques mois pour se faire connaître. C’est un effet un peu pervers car l’on monte en épingle une poignée d’auteurs lors de la course aux prix littéraire, et des œuvres excellentes restent dans l’ombre. Certains livres mériteraient d’être reconnus, parfois plus que ceux qui reçoivent des prix.

Les récompenses ouvrent aujourd’hui sur des littératures qui étaient jusque-là considérées comme mineures ou pas légitimes comme le genre policier, la fantaisie, la bande dessinée. Cette diversification permet d’avoir des jurys différents avec des attentes, des passions et des goûts de lecture qui divergent.

JOL Press : Pour les éditeurs, les prix littéraires sont-ils fondamentaux pour survivre aujourd’hui ?
 

Sylvie Ducas : Beaucoup d’éditeurs m’ont dit que le système des prix littéraires était nécessaire pour survivre aujourd’hui, même pour les plus élitistes et les plus prestigieux d’entre eux.  Jérôme Lindon, des Editions de Minuit, avait ainsi reconnu avoir été sauvé du dépôt de bilan grâce aux prix littéraires, notamment le prix Goncourt décerné à Marguerite Duras pour l’Amant en 1984, et celui accordé Jean Rouaud en 1990 pour son premier roman Les Champs d’honneur.  

JOL Press : Existe-t-il aujourd’hui des prix qui échappent aux labels commerciaux ?
 

Sylvie Ducas : Près de 2 000 prix existent en France. Il y en a parmi eux qui ne sont pas du tout vendeurs : des prix en poésie, le prix Décembre – antichambre des prix plus vendeurs – , le prix du Livre Inter…

JOL Press : Les prix littéraires sont-ils une spécificité française ?
 

Sylvie Ducas : Effectivement, les prix sont une spécificité française, ils sont très liés à notre histoire littéraire, à la place que l’on a accordée à la littérature dans notre pays : nous sommes une « nation littéraire », comme l’a dit très justement une sociologue étrangère. Les prix sont des avatars de traditions littéraires beaucoup plus anciennes comme les cénacles, les salons mondains, les endroits où se jouait la carrière littéraire. Il existe des prix littéraires dans d’autres pays, mais pas autant qu’en France. Et puis il y a un prix qui sort du lot, c’est le prix Goncourt, qui a une valeur emblématique plus importante que les autres. C’est l’un des plus anciens, composé d’un jury d’écrivains, avec une Académie. Comme nos maîtres-queux en cuisine, nous avons les prix littéraires : c’est un phénomène très franco-français.

JOL Press: Quel est l’impact des récompenses sur le lauréat ?
 

Sylvie Ducas : Les grands prix littéraires d’automne ont un impact financier considérable : les lauréats sont sûrs de dépasser les 100 000 exemplaires, et beaucoup plus pour le Prix Goncourt. Il faut également prendre en compte les éditions dérivées qui découlent d’un prix : les traductions, les passages en poche, etc.  Au-delà de la dimension économique, lorsqu’un écrivain obtient le prix Goncourt, c’est une récompense qui le suit à vie : une sorte de carte de visite qui facilite des négociations avec les éditeurs. Ces prix permettent d’entrer dans ce que j’appelle les réseaux de sociabilité littéraire.   

JOL Press : Avec l’avènement d’Internet, quel avenir voyez-vous pour le système des prix littéraires ? 
 

Sylvie Ducas : Je ne m’inquiète pas pour l’avenir de ce système. Avec Internet, nous sommes même en train d’assister à la création de prix numériques… Nous sommes dans une époque où nous avons besoin de prix et de sélection. Nous sommes dans des logiques d’industrie culturelle. Pour pouvoir se retrouver dans la jungle littéraire, mais aussi culturelle, nous avons besoin d’instances de prix. Même si le système est loin d’être parfait, il a le mérite d’exister et de proposer un mode de sélection. Il n’y a pas tellement d’espaces et de lieux où l’on peut désigner de la valeur et pas uniquement marchande. Le livre doit rester u objet culturel, un vecteur de pensée, et de création littéraire.

JOL Press: Quels sont vos pronostics pour les grands prix d’automne?
 

Sylvie Ducas : Je ne vous dirai rien… Il y a quelques années, j’ai donné les bons résultats pendant deux ou trois ans de suite, et les journalistes ne m’ont plus lâchée après ça ! J’aimerais bien que les femmes soient davantage récompensées cette année. J’aime bien le livre de Véronique Olmi, j’adore Sylvie Germain… Seulement 10 % de femmes sont sélectionnées aujourd’hui, à l’exception du grand prix des lectrices d’Elle et du prix Femina. Ce n’est pas suffisant. 

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