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L’éternelle difficulté du FN à recruter des cadres structurés et compétents

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Né en 1972, le FN ne cesse de se métamorphoser. Il est temps de s’interroger sur son histoire, plus mouvementée qu’il n’y paraît, des origines méconnues du parti jusqu’à la présidentielle de 2012. Plongeant dans les arcanes du parti, interrogeant des témoins, des sympathisants, des dirigeants du FN, sans oublier leurs adversaires, Dominique Albertini et David Doucet retracent quarante ans de la vie politique française, dans leur Histoire du Front national. Fruit d’une enquête de trois ans, ce livre révèle les dessous d’un parti qui fascine autant qu’il inquiète.

Extraits d’une Histoire du Front national, de Dominique Albertini et David Doucet (Editions Tallandier – septembre 2013).

Après avoir fait main basse sur le parti, Marine Le Pen se rend compte qu’elle manque de cadres sur lesquels s’appuyer pour mener sa campagne présidentielle. Problème : ses rares prises de guerre virent au fiasco. « Lorsque j’ai été élue présidente, j’avais le choix entre renouveler entièrement le bureau politique ou me limiter à l’entrée de nouvelles personnalités. C’est le choix que j’ai fait, mais Laurent Ozon et David Mascré furent deux erreurs de casting dont j’assume la responsabilité », regrette-t-elle aujourd’hui.

Alors âgé de 43 ans, dirigeant d’une entreprise spécialisée dans les technologies de contrôle et la sécurité informatique, Laurent Ozon a rejoint le FN en janvier 2011, au moment de l’avènement de Marine Le Pen. Présenté comme un ancien membre des Verts, Laurent Ozon est surtout un pur produit de la Nouvelle Droite, qui défend une vision identitaire et différentialiste de l’écologie. Il voit les sociétés humaines comme autant d’écosystèmes régis par des règles d’essence biologique. Aussitôt installé au bureau politique, Ozon fait figure d’invité-surprise dans la nouvelle équipe dirigeante, où il devient délégué national à la formation. « On l’a pris pour qu’il parle d’écologie, explique aujourd’hui un proche de Marine Le Pen. Mais il a commencé à vouloir toucher à tout, à devenir son éminence grise. »

[image:2,s]Sa trajectoire au FN sera pourtant éphémère. Le vendredi 22 juillet 2011, Anders Breivik, un militant norvégien d’extrême droite, assassine 77 personnes à Oslo puis sur l’île d’Utoya. Pour conjurer les amalgames, le Front national s’empresse de condamner « ces actes barbares et lâches et exprime sa totale solidarité avec le peuple norvégien ». Quelques jours plus tard, cependant, sur le réseau social Twitter, Laurent Ozon poste une série de messages tendant à « expliquer » le geste de Breivik par l’immigration extra-européenne en Norvège.

Très embarrassé par le scandale qui s’ensuit, l’état-major frontiste ne tarde pas à désavouer son étoile montante. En vacances sur une île bretonne, Ozon reçoit l’appel d’une Marine Le Pen furibarde : « Tu sais que ton compte Twitter n’est pas privé, pourquoi tu as écrit ça ? Tu es naïf ou quoi ? » Laurent Ozon ne parvient pas à apaiser sa présidente et démissionne de toutes ses fonctions le 14 août.

Autre prise d’ouverture qui n’a pas fait long feu : David Mascré, 40 ans en 2011. Présenté comme « le grand intello du FN », ce quadra au visage émacié et aux lunettes rondes est promu délégué national aux études et aux argumentaires par Marine Le Pen. Armé de deux doctorats, ce cadre B du Quai d’Orsay se présente abusivement comme chargé de cours en mathématiques à l’université Paris- Descartes, professeur en géopolitique à l’École des hautes études internationales et politiques, et intervenant à HEC. Dans ces trois institutions, il n’est en réalité intervenu que de manière ponctuelle ou comme vacataire[1].

Et c’est de manière assez piteuse que Mascré sera évacué du FN. En juillet 2012, il assiste à un bureau politique du FN à Nanterre. L’homme, méchamment surnommé « Concombre Mascré » pour sa transparence, ne prend pas part aux discussions. Assise en face de lui, la responsable du FNJ, Nathalie Pigeot, est intriguée par la posture de son vis-à-vis. Se penchant sous la table, elle aperçoit, troublée, un objet calé entre les cuisses de Mascré. Discrètement, Pigeot photographie l’entrejambe du surdiplômé avec son téléphone et envoie l’image à Bruno Bilde, assis à l’autre bout de la salle. « Quand je reçois la photo, je vois un truc dépasser mais je ne sais pas ce que c’est, raconte celui- ci. Elle me faisait des grands yeux, mais je ne comprenais rien. »

Le directeur de cabinet de Marine Le Pen s’approche de Nathalie Pigeot, qui a identifié l’étrange objet comme un dictaphone. Sitôt prévenue, Marine Le Pen convoque Mascré dans son bureau. Rapidement, l’intéressé reconnaît avoir enregistré les débats du bureau politique. « Je fais ça dans un cadre historique afin de capter les derniers instants de la vie politique de Jean- Marie Le Pen », tente- t-il de se justifier. Mais la présidente du FN, furieuse, l’expulse sur-le-champ. Comment Mascré comptait- il utiliser ses enregistrements ? Mystère. Au FN, on évoque les réseaux « cathos tradis » ou l’UMP. Quoi qu’il en soit, sa sortie de scène illustre l’éternelle difficulté du parti à recruter et conserver des cadres structurés et compétents.

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Dominique Albertini est journaliste à LibérationDavid Doucet est journaliste aux Inrockuptibles.

[1] Rue89, 31 août 2011.

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