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Libération de la Corse: les résistants se battaient avant tout pour rester Français

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Ce vendredi 4 octobre, François Hollande assistera aux cérémonies du 70e anniversaire de l’insurrection de la Corse contre l’occupation italienne qui conduisit le 5 octobre 1943, après un mois de combats, à la libération du premier territoire français métropolitain.

Au programme du chef de l’Etat : un hommage au préfet Erignac devant la plaque qui lui est dédiée, rue du Colonnel Colonna-d’Ornano, une cérémonie à la Citadelle en mémoire de Fred Scamaroni, lieu d’un premier discours, et une rencontre avec les élus, toujours à la Citadelle d’Ajaccio. François Hollande se rendra ensuite à Levie, pour une cérémonie en hommage à la Résistance devant le mémorial où il prononcera un discours, puis à Bastia pour y rencontrer, à la Citadelle, le Prince Moulay Rachid, prince héritier du trône du Maroc, frère du roi Mohammed VI.

JOL Press : Comment les Corses ont-ils vécu l’Occupation ?

Robert Colonna d’Istria : La caractéristique de l’Occupation de la Corse, c’est qu’elle était italienne et dans des proportions jamais connues ailleurs. On comptait un soldat pour deux habitants. Imaginez qu’il aurait fallu, pour conserver cette proportion, 20 millions de soldats allemands pour occuper la France continentale. La présence italienne était donc massive et tout le monde avait bien compris que le but de l’administration et de l’armée italiennes n’était pas d’occuper la Corse de façon temporaire, mais de l’annexer purement et simplement.

Les Corses ont très bien ressenti cette volonté d’annexion et ils n’ont pas aimé que leur sort soit décidé par d’autres, sans leur demander leur avis. Il y a donc eu, avant la guerre, des manifestations pro-françaises massives et le 4 décembre 1938, on se souvient du fameux « serment de Bastia » où les Corses ont affirmé : « Face au monde, de toute notre âme, sur nos gloires, sur nos tombes, sur nos berceaux, nous jurons de vivre et de mourir français. » Certes, ils ne voulaient pas être annexés par l’Italie, mais encore moins par l’Italie de Mussolini. Et cette volonté a duré jusqu’à 1943.

JOL Press : Ont-ils libéré la Corse ou la France ?
 

Robert Colonna d’Istria : Les résistants, sur le continent, ont eu des comportements héroïques, mais jamais ils ne se sont dit qu’ils étaient autre chose que Français. Les Corses ne voulaient pas du fascisme et se battaient avant tout pour rester Français.

JOL Press : S’ils sont si attachés à la France, pourquoi cette région a-t-elle toujours été à part ?
 

Robert Colonna d’Istria : La Corse est une région à part car certains éléments cristallisent sa singularité, je pense à sa culture, ou à sa langue qui a une relative vitalité. Mais je ne suis pas sûr, dans le fond, que la Corse soit plus singulière que l’Alsace, le Pays basque ou la Provence. Mis à part Paris, et encore, chaque région a sa singularité, ses traditions et ses usages.

[image:2,s]Etre attaché à ces traditions ne fera jamais de vous un mauvais Français. Sous la IIIe République, il y avait une notion, qui a un peu disparu aujourd’hui, celle de la grande et de la petite patrie, la France et sa province, et les Corses vivent ainsi leur rapport à la France.

Alors vous trouverez, bien sûr, des Corses qui diront qu’ils sont Français avant tout et qui ne mettront pas en avant la singularité de leur île, et d’autres qui ne se considèreront qu’en tant que Corses, mais ce n’est pas le sentiment majoritaire.

JOL Press : Comment qualifier les rapports entre la Corse et le continent depuis ces 70 dernières années ?
 

Robert Colonna d’Istria : La Corse a été une caisse de résonnance de tous les problèmes de la France. La Corse a subi les mutations politiques de la France depuis l’après-guerre et a toujours été sensible aux changements du pouvoir. Ce qui a surtout marqué les Corses, c’est la décolonisation. Les Corses ont été associés à l’expansion coloniale française, dans l’administration, dans l’armée, et ils ont vécu les années cinquante et soixante avec un peu de mélancolie et de nostalgie, même s’ils savaient que cet empire colonial ne pouvait plus durer. Ils ont réalisé à ce moment-là que l’idée de la grandeur de la France s’arrêtait-là.

Les Corses ont ensuite suivi les évolutions économiques et historiques du pays et ont su très bien s’en accommoder, en prenant leur part dans le développement du tourisme, par exemple.

Soulignons, malgré tout, une singularité de la région : dans les années soixante-dix, un phénomène a fait irruption dans le débat public, celui de l’identité et de la culture corses. Les Corses ont pris conscience qu’ils avaient des éléments de leur identité distincts de l’identité nationale. C’est la contestation du système centralisé, unitaire, uniforme de la France. La disparition du service militaire, par exemple, a déclenché un retour à l’identité régionale et la Corse n’a pas été la seule à être touchée par le phénomène.

JOL Press : Le Journal officiel a publié mercredi une liste de 13 hommes et 3 femmes promus ou nommés dans l’ordre de la Légion d’honneur pour leur participation à la libération de la Corse, il y a 70 ans. Faut-il y voir un coup de communication ou la reconnaissance tardive de leur mérite ?
 

Robert Colonna d’Istria : Jusqu’aux années récentes, on a continué à décorer des Poilus de la Grande guerre… Napoléon parlait des « hochets qui mènent le monde. » Je pense que les Français sont tous sensibles à ce genre de décorations, et les Corses ne font pas exception. Les Corses sont très nombreux dans les fonctions officielles et dans l’armée, les décorations ne sont donc pas si rares.

Je connaissais le président du Conseil national des pêches françaises, qui avait été indépendantiste corse et qui a accepté la Légion d’honneur l’année dernière. Il a eu beau expliquer qu’il ne la porterait pas, il ne l’a pas refusée… Disons que dans ces décorations récentes, il y a un peu de rattrapage historique, un peu d’électoralisme, et sans doute beaucoup de vrais mérites distingués.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Familier des rivages de la Méditerranée, Robert Colonna d’Istria, historien et écrivain, a publié de nombreux livres, récits de voyage ou reportages. La Corse demeure un de ses sujets de prédilection avec une quinzaine d’ouvrages.

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