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Mais que se passe-t-il pendant les conseils des ministres?

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Le débat démocratique a-t-il cours au salon Murat ? Y règle-t-on ses comptes ? Qui sont les bavards ou les taiseux, les bons élèves ou les cancres ? Quelle place pour les femmes, les ministres d’ouverture ou ceux de la société civile ? La gauche a-t-elle changé la donne ? Les différents présidents de la Ve ont-ils préservé, modernisé ou galvaudé ce rendez-vous instauré par le général de Gaulle ?

Un président, une cinquantaine de ministres, Premiers ministres ou secrétaires généraux de toutes les époques depuis 1959 ont raconté « leur » Conseil à Bérengère Bonté, qui a recoupé ces témoignages avec de très nombreuses archives inédites.

Des manifestations de Mai 68 aux nationalisations de 1981, du lyrisme d’André Malraux aux familiarités de Nicolas Sarkozy, en passant par le testament de Georges Pompidou, Dans le secret du Conseil des ministres révèle la comédie humaine et politique qui se joue dans le huis clos le mieux gardé de la République. Jamais filmé ni enregistré, mais… photographié en cachette par un ministre de Jacques Chirac.

Extraits de Dans le secret du Conseil des ministres – Enquête dans les coulisses du salon Murat, du Général de Gaulle à François Hollande, de Bérengère Bonté (Editions du Moment  – 10 octobre 2013)

Au Conseil des ministres, le plan de table ne relève évidemment pas du hasard. Ni même d’une quelconque négociation. Inconcevable. En novembre 2010, Luc Chatel a bien tenté, malgré une promotion qui le ramenait plus au centre de la pièce, de rester au bout, près du très stratégique secrétaire général Claude Guéant. Le Premier ministre François Fillon a tranché : refusé !

Aucune place n’est toutefois définitivement attribuée à un ministre. En juin 2007, au bout d’un mois de présidence Sarkozy, Jean-Louis Borloo change même de côté et passe de la droite du Premier ministre à la droite du chef de l’État. Non parce qu’il ne s’entend pas avec son ancien voisin, François Fillon – le mot est faible, ils se détestent. En réalité, à la faveur du remaniement post-législatif, l’ex-maire de Valenciennes remplace le battu Alain Juppé et devient donc numéro deux du gouvernement. Tout se joue en effet dans l’ordre protocolaire en vertu d’un savant système en croix. Le numéro deux s’installe à la droite du Président, le numéro trois à la droite du Premier ministre. Le numéro quatre prend place de l’autre côté, à la gauche du chef de l’État, le numéro cinq face à lui en diagonal, à la gauche du chef du gouvernement. Et ainsi de suite : le ministre « six » à côté du ministre « deux », le « sept » à côté du « trois », le « huit » à côté du « quatre », etc. Certains, comme Bernard Laporte, n’ont toujours pas pigé la mécanique au bout d’un an. Peu importe, ils n’ont qu’à suivre les étiquettes et s’asseoir derrière leur nom.

[image:2,s]Le système entraîne quelques voisinages savoureux : François Mitterrand et son meilleur ennemi Michel Rocard en mai 81 ; Jacques Chirac et le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy en 2005. Le système permit aussi à de Gaulle de toujours « siéger » avec Malraux à sa droite. Il lui suffisait pour cela d’en faire son premier « ministre d’État ». Lui qu’il appelait l’« ami génial », « fervent de hautes destinées ». « Sa présence à mes côtés me préserve du terre-à-terre », se justifie de Gaulle dans ses Mémoires d’espoir.

Autre duo inséparable au Conseil : les secrétaires généraux. Celui de la présidence de la République et celui du gouvernement siègent côte à côte sur une petite table à l’écart. On croirait deux élèves punis, au coin, près des fenêtres qui donnent sur le parc. Ce sont pourtant deux des plus importants personnages de l’État.

Valéry Giscard d’Estaing[1] les observe dans « leur petite voiture de foire ». « Ils restent dans leur coin, ne prennent jamais la parole », s’amuse aujourd’hui encore l’ancien Président. Ils sont les seuls habilités à prendre des notes, en dehors du porte-parole qui assure le compte rendu à la presse. Un verbatim aussi exhaustif que possible dans le cas du secrétaire général du gouvernement. Son procès-verbal détaillé, sorte de compte rendu officieux du Conseil, ne sort pas du palais, il atterrit ensuite aux Archives, non consultable – sauf dérogation – pendant parfois cinquante ans. Greffier, mais aussi notaire, le secrétaire général pilote la préparation du Conseil en amont et le suivi en aval. Un véritable chef d’orchestre, voire homme-orchestre à lui tout seul.

Dix heures. L’huissier-chef – redingote bleue – se redresse devant la porte du salon Murat et claironne : « Monsieur le président de la République ! »

Les deux gardes républicains hissent le sabre bien haut. Chaque ministre, droit comme un I derrière sa chaise, fait silence. Le Président entre par le fond de la pièce, suivi du Premier ministre et des secrétaires généraux. Tour de table pour de Gaulle qui prend cinq ou dix minutes afin de serrer chaque main. Sarkozy se contente d’attraper les quelques-unes qu’il croise jusqu’à sa place. En 2013, Hollande ne prend même plus cette peine. L’huissier déplace légèrement le fauteuil présidentiel – différent de celui des ministres. Sa Majesté s’assied. Ses troupes font de même. L’huissier quitte la pièce et ferme les portes. Le huis clos commence.

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Bérengère Bonté, journaliste à Europe 1, présente le Grand Journal de 8 heures. Elle a publié en 2010 Saint Nicolas, unique biographie de Nicolas Hulot.

[1] Entretien avec Valéry Giscard d’Estaing, le 13 mai 2011.
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