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Montée du FN: vers une remise en cause du système des partis?

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Au cœur de l’affaire Leonarda, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, très critiqué par sa famille politique, a tenu à réaffirmer qu’il était de gauche. « Je suis de gauche parce que l’homme, la jeunesse, les enfants, sont une priorité. Je suis de gauche parce que l’enceinte scolaire doit être préservée de toute intervention. Je suis de gauche, parce que je pense qu’il faut une politique qui respecte la loi, le droit, l’homme, mais une politique assumée et ferme en matière de gestion des flux migratoires », a-t-il clamé devant la presse. Mais cette affirmation est-elle illusoire ? L’opposition droite-gauche a-t-elle encore un sens ? Eléments de réponse avec Guillaume Bernard, maître de conférence en histoire contemporaine.

> Lire la première partie de l’entretien

JOL Press : Pourquoi, en France, une grande coalition n’est pas possible, comme en Allemagne, par exemple ?

Guillaume Bernard : La France l’a connue, sous une forme édulcorée, et ce à trois reprises : c’est la cohabitation (1986-1988, 1993-1995, 1997-2002). Cela dit, il est vrai qu’il n’y a pas eu, sous la Ve République, d’alliance des forces modérées de droite et de gauche pour gouverner ensemble.

C’est l’élection présidentielle au suffrage universel direct et le phénomène majoritaire (le président nouvellement élu obtient une majorité parlementaire conforme à ses vues) qui n’ont pas rendu nécessaire, du moins jusqu’à aujourd’hui, un gouvernement de grande coalition.

Mais, en politique, il ne faut jamais dire jamais… Car, si le FN continue à progresser, droite modérée et centre d’un côté et gauche (plus ou moins unie) de l’autre pourraient se retrouver dans la situation où aucune de ces deux coalitions n’aurait la majorité.

JOL Press : Quoi qu’il arrive, la droite modérée n’a-t-elle pas vocation à se recomposer ? Les plus droitisants se rapprochant du FN et les plus modérés, du centre, voir d’une frange du PS…

Guillaume Bernard : Le « drame » de la droite (mais c’est la conséquence de l’histoire politique), c’est qu’elle est divisée sur des questions structurantes (construction européenne, identité nationale, mœurs et bioéthique). Jusqu’à la chute du mur de Berlin, elle pouvait trouver un semblant d’unité par rejet du camp « socialiste » en se contentant de lui opposer un discours sur le réalisme économique. Depuis la disqualification du régime soviétique, les causes de fracture interne ressurgissent.

Dans le fond, à cause du mouvement sinistrogyre[1], les plus forts clivages idéologiques passent plus au sein de la droite qu’entre celle-ci et la gauche. Pour ne rien arranger, si j’ose dire, il est sinueux, c’est-à-dire qu’il passe au sein des différentes formations et non pas entre elles. Cela peut durer un certain temps, mais sans doute pas éternellement. Il est assez vraisemblable qu’il devra y avoir une recomposition des forces politiques classées à droite sur la base de choix idéologiques clairs. Mais cela ne se réalisera sans doute pas à l’initiative des partis eux-mêmes qui ont intérêt (pour capter un électorat le plus large possible) à pouvoir tenir simultanément plusieurs discours différents (y compris contradictoires). Si cela se fait, cela viendra sans doute de la base militante et des électeurs.

La mouvance de la « Manif pour tous » (dans sa globalité et sa diversité) est peut-être une préfiguration ou du moins une illustration de ce mouvement de fond : pour un enjeu considéré comme essentiel, les manifestants ont mis leurs divergences de côté et ont pleinement assumé de défiler aux côtés de personnes n’ayant pas nécessairement la même appartenance partisane.

JOL Press : N’est-ce pas le système des partis lui-même qui est crise et pourrait se voir remis en cause ? La montée du FN ne correspond-elle pas, en grande partie, au rejet du système établi ? (Le FN mouvement, plutôt que parti…)

Guillaume Bernard : Un parti politique n’existe pas seul ; ce sont les rapports de force qu’il entretient avec les autres organisations qui font sa place dans le système partisan. Or, bien des éléments contribuent à mettre en place un système partisan : l’état de la société (« classes sociales ») et de l’opinion publique, les différentes offres idéologiques et programmatiques, mais aussi les modes de scrutin ou les dispositions concernant le financement des partis.

Ainsi, le mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours a-t-il, jusqu’à présent, empêché le FN d’avoir des élus ; cela facilitait la constitution de majorités à droite ou à gauche puisque le scrutin majoritaire décuple, en nombre de sièges, la victoire électorale. Mais il n’est pas du tout certain que, avec la progression du FN (et sa capacité de gagner certaines élections même avec un mode de scrutin qui lui est a priori défavorable puisque la droite lui refuse toute alliance), cela ne finisse pas par paralyser le jeu de l’alternance droite-gauche et ne conduise, par exemple, à un éclatement de l’UMP (en raison de sa division interne sur la question des rapprochements avec le FN, mais aussi sur d’autres thèmes comme la construction européenne).

Cela dit, malgré la perte de confiance envers les partis de gouvernement, l’opinion publique ne semble pas encore (les prochaines élections diront peut-être le contraire) déterminée dans sa majorité à balayer l’ensemble de l’actuel système partisan. Mais il est incontestable que la progression de l’abstention, d’une part, et du vote FN, d’autre part, soient le signe d’un potentiel bouleversement en profondeur. Le fait que Marine Le Pen apparaisse dans les sondages comme la personnalité incarnant le mieux l’opposition à François Hollande est une nouveauté très significative.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Guillaume Bernard est maître de conférences (HDR) à l’ICES (Institut catholique d’études supérieures). Il a enseigné ou enseigne dans les établissements suivants : Institut Catholique de Paris, Sciences Po Paris, l’IPC, la FACO… Il a rédigé ou codirigé un certain nombre d’ouvrages dont : Les forces politiques françaises (PUF, 2007), Les forces syndicales françaises (PUF, 2010), le Dictionnaire de la politique et de l’administration (PUF, 2011) ou encore une Introduction à l’histoire du droit et des institutions (Studyrama, 2e éd., 2011).

[1] Se dit d’un mouvement qui tourne, qui incline vers la gauche

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