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Pourquoi la question du droit du sol continue à faire polémique

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« Il ne s’agit pas de remettre en cause le droit du sol. Mais quand on est né en France de parents étrangers en situation irrégulière, on n’a pas vocation à y rester et il n’est pas possible d’obtenir la nationalité française. Les enfants nés de parents étrangers en situation régulière ne peuvent pas obtenir la nationalité française de manière automatique. Ils doivent en faire la demande », a déclaré Jean-François Copé. Cette question fera l’objet d’une « convention de l’UMP d’ici à la fin de l’année qui sera suivie, juste après, d’une proposition de loi. »

Avant de nous intéresser à la proposition, revenons sur l’historique de ce droit du sol avec Michèle Tribalat. Directrice de recherches à l’INED (Institut national des études démographiques), elle étudie depuis de nombreuses années les questions liées à l’immigration. Entretien.

JOL Press : D’où vient historiquement le droit du sol ?

Michèle Tribalat : Le double droit du sol apparaît en France en 1851 : pour être Français, il faut alors être né en France de père Français, la nationalité se transmettait par le père à l’époque. En 1893, la nationalité française d’un des deux parents suffit. En 1889, on a institué l’acquisition automatique de la nationalité à la majorité pour ceux qui étaient nés en France de parents étrangers. Certains font remonter le droit du sol à la Révolution française car la Constitution de 1791 précisait : « Sont Français les fils d’étrangers nés en France et qui vivent dans le royaume ». Mais cette disposition n’a été que de très courte durée.

JOL Press : Comment le droit du sol est-il arrivé dans le droit français ?

Michèle Tribalat : La question du droit du sol s’est posée pour des questions de conscription surtout. Les Français partaient faire leur service militaire, lâchaient leur travail, alors que les fils d’étrangers n’avaient pas à le faire. Ce n’était pas bien supporté, donc on a fait évoluer le droit. Par ailleurs, à partir du moment où l’immigration a été massive, il n’y avait aucune raison de fabriquer des étrangers nés en France.

JOL Press : Pour quelles raisons le droit du sol est remis en question par une partie de la droite depuis les années 90 ?

Michèle Tribalat : Le droit du sol est un modèle fondé sur l’assimilation. Il existe des conditions d’assimilation pour devenir Français. On a longtemps considéré qu’en passant par l’école, l’enfant était sociologiquement Français en en sortant. Aujourd’hui, il y a des difficultés à l’école, donc certains ont le sentiment que ce modèle ne marche plus.

La loi du 22 juillet 1993 a réformé le droit de la nationalité avec une mesure principale : les enfants nés en France de parents étrangers doivent demander la nationalité française entre 16 et 21 ans, son acquisition n’est plus automatique à la majorité. La loi érige la « manifestation de volonté » en une condition nécessaire à l’acquisition de la nationalité française. Mais le dispositif a été supprimé cinq ans plus tard.

La disposition que l’on a fait disparaître complètement, c’est la déclaration de nationalité depuis la naissance, cependant, selon le que le code de nationalité, « il est possible de demander d’acquérir la nationalité française de façon anticipée, soit à 16 ans, de sa propre initiative, soit dès l’âge de 13 ans si les parents en prennent l’initiative avec son [l’enfant] consentement. » Je crois que les remises en question de ce droit viennent davantage du défaut de fonctionnement de nos institutions que du droit lui-même.

JOL Press : Pour Pierre Henry, le directeur général de l’association France Terre d’Asile, réformer le droit du sol pourrait revenir à « fabriquer des apatrides. » Cela pourrait-il arriver ?

Michèle Tribalat : Non, on ne peut certainement pas fabriquer des apatrides parce que le code de nationalité indique que « dans des cas exceptionnels (enfant né de parents inconnus ou apatrides), un droit du sol pur permet d’attribuer la nationalité française sans autre condition que la naissance sur le sol français. » Je ne pense pas qu’un jour la loi puisse revenir sur ce point-là. Aucun gouvernement n’aurait intérêt à fabriquer des apatrides. Un enfant, avant sa majorité, a la nationalité de ses parents. Les cas d’enfants apatrides sont donc extrêmement rares.

JOL Press : Faut-il réformer le code de la nationalité ?

Michèle Tribalat : Je crois que le code de la nationalité a été suffisamment réformé. Cependant, je ne serais pas opposée à l’idée de mettre des conditions de régularité pour l’anticipation entre 13 et 16 ans. Et encore, je ne suis même pas sûre que cette disposition concerne un grand nombre de personnes.

JOL Press : Pourquoi ces sujets sont-ils si délicats à traiter en France ?

Michèle Tribalat : Si malaise il y a, il vient du fait qu’on n’a pas dit aux Français quels changements on a opéré en termes de modèles d’intégration. On parle encore d’assimilation dans la loi, alors que la France a déjà abandonné ce modèle politiquement avec ses voisins européens. Les citoyens ne sont pas vraiment au courant du nouveau modèle multiculturaliste qui arrive, leurs attentes d’assimilation ne sont pas satisfaites et cela provoque de l’irritation, immanquablement. Ce malentendu vient du manque de courage des politiques qui n’ont pas osé raconter les options dans lesquelles ils se sont engagés.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Directrice de recherches à l’INED (Institut national des études démographiques), Michèle Tribalat étudie depuis de nombreuses années les questions liées à l’immigration. Elle a publié entre autres  Assimilation : la fin du modèle français aux éditions du Toucan ((25 septembre 2013) ou Les yeux grands fermés – L’immigration en France, Denoël (18 mars 2010).

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