Site icon La Revue Internationale

Prostitution: «Responsabiliser le client pour balayer les idées reçues»

[image:1,l]

JOL Press : Votre proposition de loi constitue un renversement de la législation en vigueur. Quels en sont les grands principes ?
 

Maud Olivier : L’un des grands principes de cette proposition est de supprimer la charge pénale qui pesait jusqu’à présent sur les personnes qui se prostituent. C’est-à-dire que jusqu’à maintenant, ces personnes étaient considérées comme des délinquantes puisque le racolage était puni par la loi.

L’idée, c’est de bien faire comprendre à nos concitoyens que les prostituées sont des victimes et que la prostitution est une violence faite aux femmes et contre laquelle il faut lutter. Donc c’est faire changer les idées reçues sur le fait que si les femmes se prostituent, ce n’est pas parce qu’elles le veulent bien et qu’elles gagnent beaucoup d’argent.

En fait, ce sont très souvent des personnes qui sont victimes de la traite et des réseaux de proxénétisme (entre 85 et 90 % des prostituées), donc qui sont victimes de l’exploitation sexuelle.

Ce sont généralement des femmes qui pensaient venir sur le territoire français pour avoir une vie meilleure et certainement pas pour se livrer à la prostitution. Elles sont aussi régulièrement victimes de violences (physiques et psychologiques) puisque la relation avec les clients se passe souvent dans de mauvaises conditions. C’est une prise de conscience que je voudrais faire réaliser à nos concitoyens.

Nous souhaitons donc :

– Mettre en place un système de lutte contre les réseaux de proxénétisme, en saisissant notamment les biens des proxénètes, souvent basés à l’étranger (d’où la nécessité d’appliquer une législation européenne).

– Accompagner les personnes qui souhaitent s’en sortir avec des moyens divers comme l’aide d’associations ou la délivrance d’une carte de séjour.

– Faire comprendre à nos jeunes que le corps n’est pas une marchandise, qu’il faut respecter le corps de l’autre et qu’on ne peut pas tout se permettre avec de l’argent.

– Responsabiliser le client en lui faisant comprendre qu’à partir du moment où l’on va poser un interdit dans la loi, s’il transgresse cet interdit, il y aura sanction.

JOL Press : Vous êtes vous inspirée des politiques d’autres pays européens ?
 

Maud Olivier : Oui, tout à fait. Nous nous sommes rendus en Suède, puisque cette législation existe là-bas depuis 14 ans. Nous avons pu vérifier qu’il n’y avait pas plus de violences faites aux femmes depuis que la loi existe. Il y a aussi la Norvège, la Finlande et l’Islande qui ont mis en place des législations similaires. En Angleterre, également, il y a une législation qui pénalise les clients des victimes de la traite.

JOL Press : Sur quelles expériences vous fondez-vous pour considérer que la solution puisse être la responsabilisation du client, plutôt que la pénalisation du racolage ?
 

Maud Olivier : On voit que la pénalisation du racolage ne fonctionne pas. Quand on pénalise les personnes qui font du racolage, on pénalise la victime, car si elle se livre à la prostitution, c’est qu’elle y est contrainte pour des raisons économiques dans la grande majorité des cas. Je considère donc que c’est une double peine.

Par contre, il me paraît clair qu’il faut réduire la demande, il faut décourager les clients. Et pour les décourager, on voit bien que la sanction peut être un élément fort.

Et même sans vouloir à tout prix sanctionner, car ce n’est pas mon état d’esprit, c’est surtout le travail sur la prise de conscience qui est primordial, et un processus de responsabilisation peut conduire à cette prise de conscience que les clients participent aussi à financer et alimenter des réseaux de traite et de proxénètes.

JOL Press : Vous avez évoqué la mise en place de stages de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution… De tels stages peuvent-ils être suffisants ?
 

Maud Olivier : Des stages existent déjà pour les conjoints violents dans plusieurs départements français comme en Essonne, et ce sont des stages qui fonctionnent bien. La personne est prise en charge et passe quelques jours avec une association.

Pour certains cela peut être suffisant, ils pourraient se rendre vraiment compte de la vie des prostituées, et prendre conscience qu’ils font quelque chose à quelqu’un qui y est souvent forcé. L’expérience sur les conjoints violents a généralement porté ses fruits.

JOL Press : Que répondez-vous aux associations de prostituées qui dénoncent votre proposition et y voient une entrave à leur liberté de travailler ?
 

Maud Olivier : Ce n’est pas une entrave à leur liberté de travailler. Nous ne sommes pas liberticides, nous n’obligeront personne à sortir de la prostitution, mais nous souhaitons faire en sorte qu’elle diminue. Les prostituées ne seront plus considérées comme des délinquantes, donc elles seront plus à même de se défendre par rapport à un client violent ou qui les oblige à faire des choses qu’elles ne veulent pas faire. Elles pourront plus facilement porter plainte auprès des services de police – même si l’on sait que cette démarche n’est pas forcément facile pour elles.

JOL Press : N’y a-t-il pas un risque que la menace de contrôle ne conduise davantage certaines prostituées à exercer leur activité dans des zones reculées, et donc plus dangereuses ?
 

Maud Olivier : Tout d’abord, il faut bien savoir que la prostitution se fait de plus en plus par Internet.

Par ailleurs, j’entends ce que disent les détracteurs de la proposition de loi, comme les syndicats des travailleurs du sexe – même si pour moi ils n’existent pas parce que je considère que vendre son corps n’est pas un travail en tant que tel. Je comprends leurs craintes, sauf que nous sommes allés voir ce qui se passait en Suède et, comme je l’ai dit, il n’y a pas davantage de violence ou de prostitution cachée depuis l’entrée en vigueur de cette législation.

JOL Press : Que répondez-vous à ceux qui pensent que les hommes ont des « besoins irrépressibles », et à ceux qui pensent que la prostitution n’est après tout que « le plus vieux métier du monde » ?
 

Maud Olivier : Encore une fois, il faut balayer les idées reçues. Il faut aussi savoir que 80 % des hommes ne vont pas voir de prostituées. Ensuite, pourquoi les hommes auraient des « besoins irrépressibles » et pas les femmes ?

Je suis pour la liberté sexuelle, c’est-à-dire la liberté d’éprouver un désir partagé. Mais on ne peut pas parler de « besoins irrépressibles » : c’est une idée culturelle qui fait penser aux hommes qu’ils ont le droit de disposer du corps de la femme comme ils le souhaitent et qu’ils peuvent exercer sur elle leur « domination ».

JOL Press : Quelle est votre position sur l’ouverture de maisons closes ou d’endroits spécialisés ?
 

Maud Olivier : Il y a trois types de législation : l’abolitionnisme (que je soutiens), c’est-à-dire que l’on n’interdit pas la prostitution mais on responsabilise le client ; le prohibitionnisme, qui interdit toute forme de prostitution ; et le règlementarisme (comme en Allemagne, aux Pays-Bas ou en Suisse) qui organise la prostitution (maisons closes, « sex boxes »). C’est donc l’Etat qui organise, et devient proxénète.

La France n’est pas un pays règlementariste, mais bien abolitionniste depuis 1960, et en aucun cas il n’est question de revenir aux maisons closes. De plus, il n’y a souvent aucune protection pour les prostituées dans ces lieux. Une de nos parlementaires, qui vient de la région de Perpignan et connaît bien le fameux village de la Jonquera en Espagne [qui tire ses principales ressources économiques de la prostitution], a pu constater que les personnes n’étaient absolument pas protégées là-bas, et sont souvent atteintes de nombreuses maladies.

JOL Press : Comment votre proposition de loi a-t-elle été accueillie par vos collègues député-e-s ?
 

Maud Olivier : La proposition est présentée par des groupes parlementaires – le groupe majoritaire est le groupe socialiste, qui a déposé la proposition de loi. Celle-ci a été signée par 120 parlementaires. Concernant l’accueil de cette proposition, il y a bien sûr des idées reçues qui ont la vie dure chez certains députés qui préfèrent ne rien changer à la loi en vigueur et ne pas perdre leurs « privilèges » en tant qu’hommes…

Mais de manière générale, je pense que les gens commencent à prendre conscience des enjeux fondamentaux de cette proposition de loi, et je continuerai à me battre pour leur faire comprendre que cette prise de conscience est essentielle.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

Quitter la version mobile