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Quand le conseil des ministres se transforme en cour d’école…

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Le débat démocratique a-t-il cours au salon Murat ? Y règle-t-on ses comptes ? Qui sont les bavards ou les taiseux, les bons élèves ou les cancres ? Quelle place pour les femmes, les ministres d’ouverture ou ceux de la société civile ? La gauche a-t-elle changé la donne ? Les différents présidents de la Ve ont-ils préservé, modernisé ou galvaudé ce rendez-vous instauré par le général de Gaulle ?

Un président, une cinquantaine de ministres, Premiers ministres ou secrétaires généraux de toutes les époques depuis 1959 ont raconté « leur » Conseil à Bérengère Bonté, qui a recoupé ces témoignages avec de très nombreuses archives inédites.

Des manifestations de Mai 68 aux nationalisations de 1981, du lyrisme d’André Malraux aux familiarités de Nicolas Sarkozy, en passant par le testament de Georges Pompidou, Dans le secret du Conseil des ministres révèle la comédie humaine et politique qui se joue dans le huis clos le mieux gardé de la République. Jamais filmé ni enregistré, mais… photographié en cachette par un ministre de Jacques Chirac.

Extraits de Dans le secret du Conseil des ministres – Enquête dans les coulisses du salon Murat, du Général de Gaulle à François Hollande, de Bérengère Bonté (Editions du Moment  – 10 octobre 2013)

« Bernard, ce week-end, il y a France-Serbie de foot, tu y vas ? Je peux venir avec toi ? » Le petit mot, manuscrit, vient du bout de la table. Confidentiel ! L’éphémère secrétaire d’État aux Sports de Nicolas Sarkozy le regarde passer de main en main avec l’appétit de l’entraîneur de rugby du Sud-Ouest qu’il est resté. Il ne fréquente pas souvent le « terrain » du salon Murat – environ une fois par mois – mais, chaque fois, c’est sa fête. Dés réception, il plaque à la régulière cette feuille pliée en deux sur laquelle figurent son nom et son prénom : Bernard Laporte. Pour les matchs, ça vient toujours des mêmes, les copains – enfin, qui le sont devenus – Éric Besson, Hubert Falco, Alain Joyandet, « de vrais amateurs de sport, ils me demandent aussi pour des petits matchs, des Marseille-PSG[1]… » C’est dire !

[image:2,s]La grande mêlée des petits mots fait en tout cas figure de sport national dans « le stade » de l’Élysée. Les ministres sont des grands gosses qui, comme à l’école, trompent l’ennui en papotant avec leurs voisins et en communiquant par petits papiers. Seule contrainte : éviter l’obstacle Président. Infranchissable. Malheur au voisin du chef de l’État qui veut passer un pli au ministre assis de l’autre côté. Il lui faudra l’envoyer faire le tour complet de la table en priant pour qu’il ne soit pas stoppé avant d’arriver à son destinataire. Le voyage prend parfois un quart d’heure lorsque tout le gouvernement siège, comme sous Chirac ou Sarkozy à partir de mai 2011. Plus de quarante personnes en tout.

Contrairement à l’hôte élyséen, les Premiers ministres en revanche jouent de bonne grâce les facteurs. Sous Jean-Pierre Raffarin (2002-2005), on se débrouille simplement pour procéder à des transmissions groupées. Résultat sans doute de son expérience de trois-quarts aile en universitaire, il attend que le pack soit au complet et c’est par piles entières que le Premier ministre finit par faire la passe décisive. François Fillon non plus ne rechigne pas, lui-même gros consommateur. Les seules missives qu’il bloque sont celles qui sont destinées à Claude Guéant, l’influent et très courtisé – trop, selon le Premier ministre ? – secrétaire général de l’Élysée. Qu’à cela ne tienne, la parade est vite trouvée. On les adresse au ministre assis devant la petite table des secrétaires généraux. Et hop, d’une rotation d’épaule elles atteignent leur destinataire.

Les plus chahuteurs décorent les papiers. Pour Nathalie Kosciusko-Morizet, on ajoute : « À ma chérie » avec un gros cœur. Ou « À toi, mon amour ». Pierre Lellouche, le secrétaire d’État au Commerce extérieur, y va même de son coup de crayon pour croquer le collègue d’en face qui s’est emmêlé les pinceaux dans sa communication. Ou pour « éditorialiser » l’actualité du moment. Durant le Conseil du 13 juillet 2011, Eva Joly qui vient de faire main basse sur la primaire d’Europe Ecologie les Verts, finit en abeille butineuse à lunettes. Dessin offert au ministre de l’Agriculture Bruno Lemaire. Ce jour-là, écoutant François Baroin, le nouveau jeune patron de Bercy aux airs de petit sorcier à lunettes rondes, Lellouche dessine une ménagère baissée en train de passer le balai qui lâche : « Moi je comprends tout quand Harry Potter y parle à la télé. » « C’est du Cabu! » jure son copain Dominique Bussereau qui admirait déjà son coup de crayon sur les bancs de Sciences Po.

Début mai 2011, quelques jours après la publication de la photo polémique de Dominique Strauss-Kahn montant dans sa Porsche, il dessine encore le toujours favori des sondages à la présidentielle, détendu, au volant d’un bolide. Laissant Washington derrière lui, il suit la flèche « Paris »… qui le précipite droit dans le vide d’une falaise. La légende revisite le slogan mitterrandien : « La Porsche tranquille. » Quelques jours plus tard, DSK sera arrêté à New York et démissionnera de la tête du FMI. Au centre de la table, en tout cas, les patrons laissent faire. « Je ne suis même pas sûr que Sarko soit au courant, feint de croire le Cabu de l’UMP. Tout le monde sait que je prends des notes, ça oui. Mais pas pour les dessins… D’ailleurs je ne les signe jamais. Pas fou[2]. »

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Bérengère Bonté, journaliste à Europe 1, présente le Grand Journal de 8 heures. Elle a publié en 2010 Sain Nicolas, unique biographie de Nicolas Hulot.

[1] Entretien avec Bernard Laporte, le 22 novembre 2010.

[2] Entretien avec Pierre Lellouche, le 12 juillet 2011.

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