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Que va devenir la Tunisie après le départ d’Ennahda?

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Le Premier ministre tunisien Ali Larayedh tarde à quitter le gouvernement. Pourtant, sa démission est attendue, conformément à la feuille de route signée au début du mois par les islamistes et l’opposition laïque. Pourquoi cette attente ?
 

Kader Abderrahim : L’opposition considère qu’Ennahda a échoué sur tous les tableaux et dans tous les registres. La situation sécuritaire s’est considérablement dégradée et aujourd’hui, l’opposition estime qu’il n’y a pas d’autres solutions que le départ du gouvernement actuel.

Les choses ne sont évidemment pas aussi simples et le rapport de forces politique est encore favorable à Ennahda qui a d’abord une légitimité populaire puisqu’ils ont gagné les élections législatives il y a deux ans et ensuite parce que la manifestation de mercredi 23 octobre a plutôt été un échec pour l’opposition qui attendait beaucoup plus de monde dans la rue.

Le Premier ministre joue donc la carte de la montre et est parvenu à gagner un peu de temps. Le dialogue national, qui devait déjà avoir démarré, a été reporté, et cette situation peut encore traîner. Pendant ce temps-là, personne ne traite des vraies questions, qui sont les questions économiques et sociales, et l’image de la Tunisie se dégrade à mesure que la situation intérieure se détériore.

En agissant ainsi, Ennahda ne risque-t-il pas de freiner le démarrage du dialogue national ? Y a-t-il une volonté de retarder ce processus ?
 

Kader Abderrahim : Il semblerait que ce soit l’opposition qui a demandé à renvoyer le démarrage de cette réunion. On ne peut donc pas dire qu’il s’agisse d’une responsabilité du gouvernement d’Ennahda.

Il y a des divergences qui ont poussé l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), syndicat qui joue l’intermédiaire dans ce dossier, à retourner voir le Premier ministre avant de lancer le dialogue. On ne sait pas sur quels sujets portent ces divergences ni quelles sont les précisions que cherchait à obtenir l’opposition, mais une date a désormais été fixée, et nous verrons si elle est tenue.

Le gouvernement ne peut pas démissionner sans rien laisser derrière lui. Il y a un pays à gérer et des institutions à faire tourner. Il faut donc déterminer qui peut prendre la succession du Premier ministre, définir un projet, des orientations, un calendrier. Des sujets qui, à ce jour, sont loin d’être réglés.

Actuellement, une personnalité se dégage-t-elle pour remplacer Ali Larayedh à la tête du gouvernement ?
 

Kader Abderrahim : Personne ne se détache du lot, et c’est une vraie question. Il n’y a pour le moment aucune alternative à Ennahda et c’est d’ailleurs dangereux de demander à un gouvernement de quitter ses fonctions sans avoir de projets pour l’après.

Personne n’en parle en Tunisie. Il y a sans doute d’excellents technocrates et techniciens en Tunisie, mais le problème réside dans le projet politique, toujours indéterminé. Il n’y a aucune perspectives et ce sujet est loin d’être réglé car non évoqué.

Que peut-on donc attendre du dialogue national tunisien ?
 

Kader Abderrahim : On peut espérer un plan de sortie de crise, mais je ne suis pas sûr qu’on y parvienne. Il y a tellement d’enjeux, d’antagonismes, d’animosités personnelles entre les différents dirigeants de l’opposition tout comme au sein de la majorité, que ce peut être très difficile.

Mais nous pouvons espérer que ces difficultés soient surmontées  pour qu’un compromis soit trouvé. L’idéal serait de trouver un accord immédiat sur l’urgence de la finalisation de la constitution. À partir du moment où une loi fondamentale est rédigée, des élections, législatives comme présidentielles, peuvent être organisées très rapidement. Le gouvernement élu aura alors cinq ans devant lui, une vraie légitimité pour agir et travailler.

Pour le moment, la rédaction de cette constitution est au point mort, depuis déjà plusieurs mois. Le processus a notamment été stoppé net au moment de l’assassinat de l’opposant politique Chokri Belaïd, puis une deuxième fois après l’assassinat de l’autre opposant Mohamed Brahmi. Les choses se sont chaque fois dégradées un peu plus et sont au point mort aujourd’hui.

Après la démission du gouvernement, Ennahda ne sera donc plus à la tête de l’Etat. Comment les islamistes vont-ils assurer leur présence sur la scène politique ?
 

Kader Abderrahim : Ennahda aura toujours la majorité à l’Assemblée. Même s’ils quittent le gouvernement, ils continueront à avoir des députés qui vont agir dans l’enceinte du Parlement sur un certain nombre de dossiers.

Tous les observateurs sont d’accord sur ce point : quoi qu’il arrive, Ennahda restera le premier parti politique en Tunisie. Cela ne voudra pas dire qu’il sera majoritaire au Parlement, mais il restera le parti le plus important.

Il ne faut pas croire qu’Ennahda n’est pas populaire en Tunisie, et il ne faut pas croire ce que dit à ce sujet l’opposition de Tunis. 80 % de la population tunisienne vit en dehors de la capitale et auprès de ces populations – même s’il y a eu un recul électoral – Ennahda reste très populaire.

La situation tunisienne est aujourd’hui extrêmement floue et on ne voit pas aujourd’hui quel type de laboratoire peut être la Tunisie dans les semaines ou les mois qui viennent, dans la mesure où personne n’a émis le moindre projet  sur ce que le pays pourrait être. Je ne suis pas très optimiste sur le court terme, d’ici la fin de l’année en tout cas.

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