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Querelles idéologiques: la vie politique victime du système des partis?

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Au cœur de l’affaire Leonarda, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, très critiqué par sa famille politique a tenu à réaffirmé qu’il était de gauche. « Je suis de gauche parce que l’homme, la jeunesse, les enfants, sont une priorité. Je suis de gauche parce que l’enceinte scolaire doit être préservée de toute intervention. Je suis de gauche, parce que je pense qu’il faut une politique qui respecte la loi, le droit, l’homme, mais une politique assumée et ferme en matière de gestion des flux migratoires », a-t-il clamé devant la presse. Mais cette affirmation est-elle illusoire ? L’opposition droite-gauche a-t-elle encore un sens ? Eléments de réponse avec Guillaume Bernard, maître de conférence en histoire contemporaine.

JOL Press : La victoire du FN et l’échec de Sarkozy, la politique sociale démocrate de Hollande,  la politique spectacle de Mélenchon et le déclin du Parti communiste, interrogent sur l’avenir des partis politiques. L’opposition droite-gauche a-t-elle encore un sens ?

Guillaume Bernard : Si, d’un côté, la majorité des électeurs ont de moins en moins confiance en la droite ou la gauche pour agir avec efficacité, ils acceptent encore aujourd’hui de se positionner selon ce critère, en particulier à l’occasion du scrutin présidentiel. Il est cependant certain que, depuis le milieu des années 1980, le clivage droite-gauche est en perte de vitesse.

Du point de vue électoral, cela s’est traduit par les cohabitations et la progression du FN (malgré son exclusion des alliances électorales et gouvernementales envisageables). Du point de vue idéologique, des rapprochements ont eu lieu. D’un côté, le PS a fait son « Bad Godesberg rampant », c’est-à-dire qu’il s’est converti, sans le dire explicitement, en particulier à ses électeurs, à la social-démocratie et donc à l’économie de marché même édulcorée. De l’autre, nombreux sont les membres des partis classés à droite qui se sont révélés adhérer à des idées progressistes sur les questions de mœurs, de bioéthique ou encore d’identité culturelle.

JOL Press : Pour quelle raison le PS préférera toujours dire que le Front de gauche est son allié plutôt que le centre et le centre-droit, alors que, sur le plan des idées, les rapprochements se font davantage sur sa droite ? 

Guillaume Bernard : De la Révolution jusqu’à la chute du mur de Berlin, la vie politique française a été marquée par le mouvement sinistrogyre[1] : les nouveaux courants (idées et partis) sont venus par la gauche de l’échiquier politique et ont repoussé sur la droite les organisations nées antérieurement. C’est ainsi que, sur le long terme, le libéralisme (qui ne doit pas être confondu avec l’hostilité envers la bureaucratie et le fiscalisme) est passé de gauche (au XVIIIe siècle) à droite (au XXe siècle) après avoir incarné le centre (au XIXe siècle).

De même, sur une plus courte période, au cours de la IIIe République, le radical-socialisme est passé de l’extrême gauche au centre gauche. Le sinistrisme permet donc de comprendre deux choses.

D’une part, le fait qu’il existe, au sein de la droite, des divergences profondes (même s’il peut, naturellement, y avoir des rencontres : par exemple, la défense de l’initiative privée par le libéralisme converge avec le principe de subsidiarité du catholicisme social) entre les idées authentiquement de droite et celles de courants classés à droite (mais antérieurement de gauche). D’autre part, le fait qu’il y a plus des différences de degré (qui peuvent être très importantes, d’où de profondes animosités) que de nature (d’où la capacité à s’allier) entre les différents courants de gauche.

JOL Press : Aujourd’hui, le paysage politique pourrait se dessiner ainsi : FN – Vaste centre républicain – Pôle radical de gauche. Pour quelles raisons les partis résistent-ils à cette réalité politique ? 

Guillaume Bernard : Ce sont des raisons liées aux intérêts électifs et financiers des partis qui bloquent la recomposition du système partisan. Les cadres et élus des partis ont naturellement peur que la réorganisation de l’échiquier politique ne conduise à une redistribution des postes, et ce à leur détriment. Comme nombre d’élus (et de leurs assistants) sont des professionnels de la politique, ils auraient des difficultés à se réintégrer dans la vie active réelle…

A part pour quelques personnalités (nationales et/ou locales), c’est l’investiture (l’étiquette) qui fait l’élu ; les candidats ont donc le plus souvent besoin d’appartenir à un parti. En outre, le financement des partis repose essentiellement sur le nombre de voix obtenues lors du premier tour des élections législatives. Différents courants politiques (incapables d’être à eux seuls majoritaires) et personnalités ont donc intérêt à s’associer (même s’ils ne s’apprécient guère) pour avoir une envergure nationale.

Par conséquent, la force d’inertie d’un système partisan est assez grande. Celui-ci ne se transforme généralement en profondeur qu’à l’occasion d’un changement de régime (institutionnel) ou de bouleversements (sociaux) d’envergure. La IVe République a été facilement balayée en 1958 car, aux législatives de 1956, seul un électeur sur deux s’était prononcé pour un des partis incarnant le régime.

D’un point de vue idéologique, il semble que nous vivions la fin cycle (celui du mouvement sinistrogyre) et la naissance d’un nouveau, ce que j’ai proposé d’appeler le « mouvement dextrogyre » né de la conjonction de plusieurs événements (effondrement du régime soviétique, attentats islamistes, mondialisation incontrôlée).

Désormais, c’est par la droite que viennent les nouvelles expressions politiques (notamment le mouvement dit « populiste »). La progression des idées de droite (qui jusqu’à présent avaient été comprimées par le sinistrisme) repousse vers la gauche les organisations et idées qui occupaient l’espace politique de la droite.

Cela se traduit par une progression du FN et une droitisation des idées exprimées par la droite modérée qui se dit « décomplexée ». De même, le libéralisme est repoussé vers le centre (pensez au social-libéralisme d’un Tony Blair ou d’un Manuel Valls). Quant à l’extrême gauche, elle s’étiole, en particulier dans sa composante communiste.

Viendra peut-être le jour (mais il s’agit, là, de politique fiction et les étiquettes auront de toute façon changé) où l’UMP incarnera le centre-gauche modérée et le PS l’extrême gauche…

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Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Guillaume Bernard est maître de conférences (HDR) à l’ICES (Institut Catholique d’Etudes Supérieures). Il a enseigné ou enseigne dans les établissements suivants : Institut Catholique de Paris, Sciences Po Paris, l’IPC, la FACO… Il a rédigé ou codirigé un certain nombre d’ouvrages dont : Les forces politiques françaises (PUF, 2007), Les forces syndicales françaises (PUF, 2010), le Dictionnaire de la politique et de l’administration (PUF, 2011) ou encore une Introduction à l’histoire du droit et des institutions (Studyrama, 2e éd., 2011).

[1] Se dit d’un mouvement qui tourne, qui incline vers la gauche
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